L'hypothétique planète 9 contenant environ 10 masses terrestres, dont l'existence est conjecturée depuis quelques années bien au-delà de l'orbite de Pluton, pourrait être un trou noir primordial. On pourrait le croire encore moins facilement décelable, mais ce n'est peut-être pas le cas car il pourrait sporadiquement faire des éruptions en dévorant une comète. L'événement serait détectable avec le LSST.


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    Dans son célèbre roman de science-fiction La Guerre éternelle (titre original en anglais : The Forever War), paru en 1974, l'écrivain américain Joe Haldeman, diplômé en mathématique, astronomie et informatique et également vétéran de la guerre du Viêt Nam, imaginait qu'à la fin du XXe siècle un collapsar, (contraction des termes anglais collapse, effondrementeffondrement, et star, étoile), une étoile effondrée ayant donné une sorte de trou noir, plus exactement un trou de ver, avait été découvert dans le Système solaire au-delà de l'orbite de PlutonPluton. Les héros du roman de Haldeman s'en servaient alors pour voyager dans la Voie lactée en contournant le murmur de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière

    La réalité va-t-elle rejoindre la fiction ? On peut se poser la question en prenant connaissance d'un article déposé sur arXiv par le célèbre et prolifique Avi Loeb de l'université d'Harvard. Il semble avoir pour habitude de lancer ses étudiants en master sur des sujets excentriquesexcentriques mais fascinants en astrophysiqueastrophysique, ce qui leur donne l'occasion de rédiger un petit article qui les introduit donc dans le monde scientifique. En l'occurrence, l'étudiant en question se nomme Amir Siraj et avec Loeb, il se penche sur l'hypothèse déjà avancée, comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, que la neuvième planète qui existe peut-être dans le Système solaire soit en fait un trou noir. On pourrait tout aussi bien imaginer qu'il s'agit d'un trou de ver ou d'un astreastre compact exotiqueexotique, ce qui compte c'est qu'il soit massif, très sombre donc difficile à détecter. Les deux chercheurs pensent pouvoir valider cette hypothèse avec le LSST (Large Synoptic Survey TelescopeLarge Synoptic Survey Telescope) en cours de constructionconstruction.

    Le LSST (Large Synoptic Survey Telescope), un télescope d'un nouveau genre, va ouvrir grand les yeux sur le ciel... Sa mission : photographier le ciel austral et réaliser un film de l’Univers en trois dimensions. Un composant crucial de la caméra du LSST, l’échangeur de filtres, a été développé en France par cinq laboratoires. Son rôle consiste à repositionner rapidement et très précisément les filtres de couleur les plus grands du monde, pour obtenir les plus belles images du spectacle céleste. © CNRS

    Rappelons que la neuvième planète est un corps céleste dont la massemasse est estimée de 5 à 15 fois celle de la Terre existant bien au-delà de l'orbite de Pluton et dont la présence serait trahie par les orbites particulières de petits corps célestes faisant partie des astres appelés des objets transneptuniens (TNO, en anglais Transneptunian Objects). Ces TNO - qui ont intrigué les astronomesastronomes Konstantin Batygin et Mike Brown - auraient subi l'influence gravitationnelle de cette hypothétique planète. Elle pourrait être une superterre formée à l'origine du Système solaire puis éjectée rapidement par ses interactions avec d'autres planètes massives, ce qui l'aurait conduit sur une orbite dont la taille serait d'environ 200 unités astronomiquesunités astronomiques.

    Un minitrou noir de la taille d'un pamplemousse dans le Système solaire

    Très peu lumineuse et se déplaçant très lentement sur la voûte céleste, pour des observateurs sur Terre - à cause de l'une des lois de Keplerlois de Kepler -, elle n'aurait donc pas encore été repérée ce qui n'est guère étonnant. Mais certains se sont tout de même étonnés et ils ont donc proposé que la neuvième planète soit en réalité un représentant des mythiques trous noirs primordiaux qui sont peut-être nés pendant le Big bangBig bang alors que le plasma primordial était très dense et donc susceptible de s'effondrer rapidement en minitrous noirs. Dans le cas présent, avec environ 10 fois la masse de la Terre, le trou noir en question aurait la taille d'un pamplemoussepamplemousse.

    Il se trouve que l'espace n'est pas vide au-delà de l'orbite de Pluton car jusqu'à environ une année-lumièreannée-lumière du SoleilSoleil, il serait un immense réservoir cométaire, celui postulé sous le nom de nuage de Oortnuage de Oort afin d'expliquer l'apparition des comètes longues périodes.

    Siraj et Loeb pensent que les rencontres rapprochées entre certaines de ces comètescomètes et le trou noir qui se cache peut-être au loin du Soleil ne seraient pas rares, de sorte qu'elles seraient détruites par le trou noir, ce qui alimenterait un disque d'accrétiondisque d'accrétion où la matièrematière chauffée se mettrait à rayonner. On aurait donc l'équivalent d'une éruption de lumière transitoire mais difficile à observer avec la sensibilité des instruments actuels et littéralement aussi cachée comme une aiguille dans une botte de foin sur la voûte céleste.

    Heureusement, le LSST (Large Synoptic Survey Telescope) aujourd'hui renommé Observatoire Vera-C.-Rubin (Vera C. Rubin Observatory) et qui sera l'un des télescopestélescopes les plus puissants du monde dans les années 2020, a précisément été conçu pour chasser ce type d'événement transitoire. Avec son miroirmiroir de 8,4 mètres de diamètre, il sera équipé de la plus puissante caméra numériquenumérique jamais réalisée, capable de photographier la totalité du ciel visible de l'hémisphère Sudhémisphère Sud en seulement trois nuits, en prenant une image de 9,6 degrés carrés, soit 47 fois la taille de la Pleine LunePleine Lune, toutes les 20 secondes.

    La détection d'un tel trou noir nous forcerait à revoir nos idées sur la nature de la matière noire.


    Si la planète 9 est introuvable, c'est peut-être parce que... c'est un trou noir !

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer publié le 30/09/2019

    Une planète insaisissable. Un trou noir hypothétique. Des physiciensphysiciens ont rapproché les deux pour élaborer une nouvelle théorie quant à la nature de la fameuse planète 9. Il ne s'agirait justement pas d'une planète, mais... d'un petit trou noir !

    Cela fait maintenant près de cinq ans que les astronomes attribuent les orbites perturbées de quelques objets distants de notre Système solaire à l'existence d'une planète non encore identifiée. Ils l'appellent parfois planète X, d'autres fois planète 9. Elle présenterait une masse comprise entre cinq et quinze fois celle de notre Terre. Et elle se cacherait bien au-delà de l'orbite de NeptuneNeptune à une distance située entre 45 et 150 milliards de kilomètres du Soleil. De quoi rendre sa détection par un télescope plutôt délicate.

    Plusieurs candidates ont pourtant été avancées. Il a même été imaginé que la planète 9 pourrait finalement orbiterorbiter plus près de nous que prévu. Mais certains pensent depuis quelques mois que ce n'est peut-être pas une planète qu'il faut chercher. Pourquoi pas un anneau de petits corps glacés dont la masse totale atteindrait bien les dix masses terrestres ?

    Et aujourd'hui, des physiciens avancent une hypothèse un peu plus folle encore. La planète 9 ne serait pas une planète, mais un petit trou noir ! Un trou noir pas plus gros qu'une boule de bowling. Un trou noir ne résultant pas de l'effondrement gravitationnel d'une étoile, mais plutôt l'un de ces trous noirs, encore hypothétiques, qui se seraient formés dans des régions particulièrement denses de l'UniversUnivers primitif. Les astronomes parlent de trou noir primordial.

    Selon les physiciens, un trou noir primordial de la taille d’une boule de bowling pourrait expliquer les anomalies gravitationnelles observées aux confins de notre Système solaire. © Skitterphoto, Pixabay License
    Selon les physiciens, un trou noir primordial de la taille d’une boule de bowling pourrait expliquer les anomalies gravitationnelles observées aux confins de notre Système solaire. © Skitterphoto, Pixabay License

    Chercher du côté des rayons gamma

    « Certains de nos confrères imaginent que la planète 9 est une planète flottante qui a été capturée par notre Système solaire. Selon nous, la probabilité pour qu'un trou noir primordial soit capturé de la même manière est comparable », expliquent Jakub Scholtz et James Unwin, les deux auteurs de l'étude.

    L’hypothèse du trou noir primordial est convaincante

    « Et comme les recherches conventionnelles portant sur la planète X n'aboutissent pas alors que les preuves d'anomalies gravitationnelles se multiplient, l'hypothèse du trou noir devient une explication plus convaincante. »

    Théoriquement, un tel trou noir de masse planétaire devrait être entouré d'un disque de matière noire d'un diamètre pouvant aller jusqu'à un milliard de kilomètres. Et les interactions qui s'y joueraient - notamment les collisions entre particules de matière noirematière noire et antiparticulesantiparticules de matière noire - pourraient émettre des éclairséclairs de rayons gammarayons gamma, trahissant la présence même de l'objet.

    Jakub Scholtz et James Unwin suggèrent donc d'inclure aux recherches de la fameuse planète 9, des recherches dans le domaine des rayons Xrayons X et des rayons gamma par exemple. Ceux-ci pourraient fournir des indices de l'existence d'un trou noir. Ils ont eux-mêmes décidé d'analyser pour cela les données du Fermi Gamma-ray Space Telescope de la NasaNasa. Lancé en 2008, il balaie depuis le ciel dans toutes les directions. Et les physiciens espèrent y trouver des groupes de flashsflashs gamma sporadiques qui se déplaceraient lentement et qui viendraient alors confirmer leur théorie du trou noir primordial.


    Et si l'énigmatique planète Neuf n'était qu'un anneau de petits astres glacés ?

    Une population de petits corps, glacés et rassemblés dans un anneau contenant au total environ dix fois la masse de la Terre, pourrait rendre compte des orbites singulières d'autres objets transneptuniens qui avaient conduit à supposer l'existence d'une neuvième planète géanteplanète géante dans le Système solaire.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 25/01/2019

    Une vue d'artiste de la neuvième planète qui existe peut-être, ou pas, à plus de 200 fois la distance de la Terre au Soleil, loin au-delà de l'orbite de Pluton. Actuellement, sa masse est estimée à environ 10 fois celle de la Terre. Elle devrait, logiquement, être enveloppée par une épaisse atmosphère d'hydrogène et d'hélium qui la ferait ressembler à Neptune. © Caltech, R. Hurt (Ipac)
    Une vue d'artiste de la neuvième planète qui existe peut-être, ou pas, à plus de 200 fois la distance de la Terre au Soleil, loin au-delà de l'orbite de Pluton. Actuellement, sa masse est estimée à environ 10 fois celle de la Terre. Elle devrait, logiquement, être enveloppée par une épaisse atmosphère d'hydrogène et d'hélium qui la ferait ressembler à Neptune. © Caltech, R. Hurt (Ipac)

    Il y a presque trois ans, les astronomes Konstantin Batygin et Mike Brown publiaient un article retentissant : une planète contenant environ 10 fois la masse de la Terre était probablement en orbite, autour du Soleil, à environ 200 unités astronomiques. Très peu lumineuse et se déplaçant très lentement sur la voûte céleste, pour des observateurs sur Terre -- à cause de l'une des lois de Kepler --, elle n'avait donc pas encore été repérée et ce, même en ce début du XXIe siècle.

    Comme Futura l'expliquait (lire article ci-dessous), l'existence d'une neuvième planète principale dans le Système solaire en avait été déduite à partir de la présence de plusieurs dizaines de petits corps célestes, appelés des objets transneptuniens (TNO, en anglais Transneptunian Objects) ; ce sont des corps du Système solaire dont l'orbite est entièrement, ou en majeure partie, au-delà de celle de la planète Neptune et dont certains font donc partie du nuage d'Oort. Ces corps se trouvaient sur des orbites elliptiques dont les caractéristiques ne semblent pas compatibles avec des distributions dues au hasard. Cela pouvait donc traduire l'existence d'un corps massif dont le champ de gravitationgravitation forçait ces corps à adopter des orbites quelque peu singulières.

    Une vue d'artiste de la ceinture de Kuiper. Les distances entre les TNO sont considérablement plus grandes dans la réalité. © ESO/M. Kornmesser
    Une vue d'artiste de la ceinture de Kuiper. Les distances entre les TNO sont considérablement plus grandes dans la réalité. © ESO/M. Kornmesser

    Dix fois la masse de la Terre mais dans un anneau de TNO

    Un tel corps pouvait fort bien être une superterresuperterre éjectée à grande distance du Soleil au tout début de la formation du Système solaire. L'étude des exoplanètesexoplanètes et des phénomènes de migrations planétaires renforçait, d'ailleurs, l'idée que le Système solaire manquait curieusement d'une ou de plusieurs superterres. Elles pouvaient tout aussi bien avoir été avalées par le Soleil qu'être placées sur des orbites lointaines, voire carrément expulsées dans le milieu interstellaire pour devenir des planètes nomadesplanètes nomades. Symétriquement, la neuvième planète de Batygin et Brown pouvait être une exoplanète capturée ayant, par exemple, appartenu au frère jumeau (ou à la sœur jumelle) du Soleil.

    Toutefois, il ne pouvait être exclu que l'effet des perturbations gravitationnelles supposées d'une neuvième planète ne soit en réalité dû à une ceinture d'objets transneptuniens dont la masse totale soit justement équivalente à 10 masses terrestres. C'est précisément cette autre hypothèse qui a été développée concrètement par deux autres astronomes de l'université de Cambridge et de l'université américaine de Beyrouth, Antranik Sefilian et Jihad Touma. Elle a donné lieu à une publication dans Astronomical Journal, en accès libre sur arXiv.

    Les deux chercheurs montrent que la présence de ce disque de petits corps glacés est parfaitement en mesure de rendre compte des observations qui avaient motivé l'introduction de l'hypothèse d'une  neuvième planète. On a donc une dégénérescence des modèles car deux modèles, pour l'instant en tout cas, sont également capables de rendre compte des mêmes observations.

    Cela changerait évidemment si l'on découvrait effectivement la neuvième planète que l'on chasse d'ailleurs toujours activement.


    La neuvième planète : les raisons d'y croire

    Article de Laurent Sacco publié le 22/01/2016

    L'hypothèse d'une cinquième planète géante dans le Système solaire est si époustouflante, puisqu'elle n'a pour le moment pas été observée, que l'on peut naturellement avoir du mal à la prendre au sérieux. Pourtant, les analyses qui ont conduit à cette idée sont solidessolides et cette hypothèse a déjà permis de prédire, et même de découvrir, des caractéristiques de corps de la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper. Des télescopes pourraient la débusquer d'ici cinq ans

    C'est au biologiste britannique Thomas Henry Huxley que l'on attribue généralement une déclaration qui se résume en ces termes : « la Science, c'est de belles théories détruites par des faits horribles ». Espérons qu'elle ne s'appliquera pas à l'hypothèse que viennent d'avancer Konstantin Batygin et Mike Brown, à savoir l'existence d'une nouvelle planète géante dans le Système solaire, peut-être aussi massive et grande que Neptune. Très éloignée du Soleil, elle serait donc restée longtemps indétectable directement.

    Comme nous l'avions expliqué dans un précédent article, cette hypothèse n'est pas complètement nouvelle. Depuis des décennies, des astronomes suspectaient la présence d'une nouvelle planète au-delà de l'orbite de Pluton et qui avait été baptisée la planète X (X étant ici une lettre, comme celle désignant une quantité inconnue en algèbre et pas un chiffre). Plusieurs mécaniciens célestes explorant la genèse des systèmes planétaires, dont le Système solaire, au moyen de simulations numériquessimulations numériques avaient depuis quelques années proposé que des planètes géantes autres que JupiterJupiter, SaturneSaturne, UranusUranus et Neptune aient pu exister au début de l'histoire du Système solaire. Elles auraient ensuite été englouties par le Soleil ou bien auraient migré à grande distance, voire auraient été éjectées du Système solaire. De quoi accréditer l'existence d'une planète X encore à découvrir. Surtout, l'existence de ces géantes disparues ou cachées permettait de mieux comprendre des caractéristiques du Système solaire, notamment celle de la ceinture de Kuiper.

    L'hypothèse de la neuvième planète est-elle testable ?

    Batygin et Brown, en étudiant les caractéristiques des plus lointains objets connus de la ceinture de Kuiper, comme SednaSedna et 2012 VP113, sont donc parvenus à la conclusion qu'une superterre, ou l'équivalent de la planète Neptune, se trouvait probablement sur une orbite elliptique dont le périhéliepérihélie serait à environ 200 unités astronomiques (UA) du Soleil et l'aphélieaphélie à 600 voire 1.200 UA. Les lois de Kepler nous disent deux choses au sujet de cette hypothétique planète.

    Sa période de révolutionpériode de révolution doit être grande, car elle augmente avec la distance au Soleil, et elle doit se déplacer sur la voûte céleste plus vite près du périhélie qu'à l'aphélie. 200 UA, c'est 30 milliards de kilomètres du Soleil. Cette distance correspond à une période orbitaleorbitale que les deux chercheurs estiment comprise entre 10.000 et 20.000 ans. Selon eux, ce corps céleste pourrait peser autant que 10 fois la Terre.


    Une présentation de la possible découverte d'une neuvième planète dans le Système solaire. Notez les caractéristiques des orbites des 6 objets transneptuniens tous rassemblés dans une même configuration très improbable. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En cliquant ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK » © Science Magazine

    La neuvième planète, si elle existe, est observable

    Toujours selon eux, si la planète était actuellement proche de son périhélie, elle serait suffisamment lumineuse et se déplacerait suffisamment rapidement sur la voûte céleste pour qu'on l'ait déjà découverte. Elle doit donc nécessairement se trouver pas trop loin de son aphélie. Un télescope puissant, comme HubbleHubble ou le KeckKeck à Hawaï, pourrait toutefois la mettre en évidence mais le problème est qu'ils ne peuvent examiner qu'une petite portion de la voûte céleste. Trouver avec eux un corps faiblement lumineux se déplaçant si lentement qu'il peut être pris pour une étoile lointaine équivaut donc à chercher une aiguille dans une botte de foin.

    Heureusement, le télescope japonais Subaru, installé lui aussi au sommet du Mauna Kea, est d'une conception différente du Keck. Son champ de vision est 75 fois plus large que celui du Keck, de sorte qu'en cinq ans tout au plus il devrait être possible de fouiller toute la région où pourrait se trouver la planète X.

    On pourrait bien ne pas avoir à attendre autant. Les observations du satellite de la Nasa Wise (Widefield Infrared Survey Explorer), que l'astronome brésilien Denilso Camargo a par exemple utilisé avec des collègues pour préciser la structure de la Voie lactée, contiennent peut-être un trésor caché. Ces observations ont été conduites dans l'infrarougeinfrarouge et elles permettent de détecter des astres froids comme les naines brunesnaines brunes. Elles pouvaient donc révéler la présence de la planète X. Elles n'en ont rien fait mais les astrophysiciensastrophysiciens considèrent qu'elles n'ont en faite réfuté que l'existence de corps plus massifs que Saturne à des distances pouvant être de 10.000 UA. Il est possible que Wise ait bien observé la neuvième planète si elle se trouve dans les 20 % de la voûte céleste qui ont été explorés aux longueurs d'ondelongueurs d'onde les plus grandes, et donc pour des objets particulièrement froids. L'astronome Kevin Luhman de la Pennsylvania State University effectue en ce moment des analyses pour en avoir le cœur net.

    Wise (<em>Wide-field infrared survey explorer</em>, soit en français « Explorateur à grand champ pour l'étude dans l'infrarouge ») est un télescope spatial américain dont la mission consiste à réaliser une cartographie complète des sources infrarouges afin de repérer en particulier les astéroïdes comme les géocroiseurs, les étoiles peu visibles proches du Soleil et les étoiles de notre Galaxie masquées en lumière visible derrière des nuages interstellaires, comme c'est le cas de certains amas ouverts d'étoiles. © Nasa, JPL-Caltech
    Wise (Wide-field infrared survey explorer, soit en français « Explorateur à grand champ pour l'étude dans l'infrarouge ») est un télescope spatial américain dont la mission consiste à réaliser une cartographie complète des sources infrarouges afin de repérer en particulier les astéroïdes comme les géocroiseurs, les étoiles peu visibles proches du Soleil et les étoiles de notre Galaxie masquées en lumière visible derrière des nuages interstellaires, comme c'est le cas de certains amas ouverts d'étoiles. © Nasa, JPL-Caltech

    Des calculs mathématiques pour explorer et comprendre le Système solaire

    Comme dans le cas de toute bonne théorie scientifique au sens de Karl Popper, les travaux de Konstantin Batygin et Mike Brown conduisent donc à une prédiction qui peut être testée dans un avenir proche. En fait, comme nous allons le voir, les deux comparses, le premier un jeune théoricien de 29 ans et le second un observateur chevronné et talentueux de 50 ans, ont déjà fait une prédiction que la nature a vérifiée. C'est pour cela qu'ils sont passés d'un scepticisme de bon aloi à une confiance prudente mais enthousiaste et entendent bien confirmer leur hypothèse avec les observations en cours du télescope Subaru.

    Depuis la découverte de l'existence de la planète Neptune en 1846 par Urbain Le VerrierUrbain Le Verrier et John Couch Adams au moyen du calcul infinitésimal et des lois de NewtonNewton, bien des spécialistes de la mécanique céleste ont tenté d'utiliser les méthodes des mathématiciensmathématiciens Gauss et Lagrange pour tenter de découvrir de nouvelles planètes dans le Système solaire. Tout comme leurs illustres prédécesseurs, Batygin et Brown se sont donc basés sur la théorie des perturbations gravitationnelles mutuelles des corps célestes. Des irrégularités des mouvementsmouvements d'Uranus, causées par ces perturbations, avaient en effet trahi la présence de Neptune. D'autres irrégularités semblaient indiquer celles de nouveaux corps célestes à découvrir et, pendant une grande partie du XXe siècle, alors que Pluton était encore la neuvième planète du Système solaire, les spécialistes ont cherché activement la fameuse Planète X, ainsi nommée par Percival Lowell au début du siècle dernier avant la découverte de la planète naineplanète naine

    Un premier coup d'arrêt à ces recherches a été donné pendant les années 1990, quand les analyses des mouvements de la sonde Voyager 2 ont montré que les irrégularités constatées dans l'orbite d'Uranus étaient dues à une légère surestimation de la masse de Neptune. C'est toutefois à cette période que les premiers objets de la ceinture de Kuiper ont été découverts. Ils font partie des objets transneptuniens (TNO, d'après le nom anglais Transneptunian Objects), c'est-à-dire des corps du Système solaire dont l'orbite est entièrement, ou pour la majeure partie, au-delà de celle de la planète Neptune (certains font donc partie du nuage d'Oort).

    Or, justement, dès 2003, alors qu'il avait découvert le TNO qui sera baptisé Sedna, un fait étrange avait mis la puce à l'oreille de Mike Brown.

    Dans le cas des orbites elliptiques du Système solaire, il faut six paramètres pour définir la position d'un objet à un instant donné. Il y a notamment le demi-grand axe a et l'excentricité e qui définissent l'ellipse dans un plan (P1). Les trois suivants, longitude du nœud ascendant Ω, inclinaison i et argument du périastre (P) ω, définissent l'orientation du plan de l'orbite dans l'espace par rapport au plan de l'écliptique (P2), celui de la Terre autour du Soleil. © Brandir, ArtMechanic, Wikipédia, CC BY-SA 3.0
    Dans le cas des orbites elliptiques du Système solaire, il faut six paramètres pour définir la position d'un objet à un instant donné. Il y a notamment le demi-grand axe a et l'excentricité e qui définissent l'ellipse dans un plan (P1). Les trois suivants, longitude du nœud ascendant Ω, inclinaison i et argument du périastre (P) ω, définissent l'orientation du plan de l'orbite dans l'espace par rapport au plan de l'écliptique (P2), celui de la Terre autour du Soleil. © Brandir, ArtMechanic, Wikipédia, CC BY-SA 3.0

    Des paramètres orbitaux contrôlés par les résonances en mécanique

    Pour comprendre vraiment de quoi il retourne, quelques petits rappels de mécanique céleste sont indispensables. La première loi de Keplerpremière loi de Kepler nous dit que les orbites des planètes sont des ellipses dont un foyerfoyer est occupé par le Soleil. Mais celles-ci peuvent être plus ou moins allongées ou au contraire proches d'un cercle. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessus, la taille des ellipses est donnée par un paramètre que l'on appelle la longueur de son demi-grand axedemi-grand axe et son écart par rapport à un cercle est donné par un autre paramètre que l'on appelle l'excentricitéexcentricité. Bien qu'ayant un même foyer, les orbites des planètes ne sont pas forcément dans un même plan de sorte qu'il faut d'autres paramètres pour caractériser l'orientation de ces plans par rapport à celui dans lequel évolue la Terre et que l'on appelle le plan de l'écliptiqueplan de l'écliptique.

    Sous l'influence des perturbations gravitationnelles des planètes entre elles, ces divers paramètres ne restent pas fixes dans le temps. Le périhélie d'une planète, par exemple, peut se déplacer, de sorte que l'ellipse de l'orbite d'un astre comme MercureMercure va elle-même tourner lentement autour du Soleil. On parle de précessionprécession du périhélie.

    Un phénomène important peut se produire du fait de ces perturbations, la résonancerésonance. Il n'est pas difficile à comprendre. Si l'on pousse à une certaine fréquencefréquence une personne sur une balançoire, son mouvement va être amplifié ou au contraire freiné. Lorsque des planètes se rapprochent périodiquement les unes des autres, il se peut que les forces exercées entre elles soient telles qu'elles vont amplifier des dérives de certains des paramètres des orbites ou au contraire les réduire.

    En fait, toutes ces considérations sont valables pour tous les corps célestes du Système solaire, y compris les lunes. A priori, lors de sa formation, les paramètres des orbites sont aléatoires et ils évoluent dans le temps pour adopter parfois des valeurs proches ou au contraire s'en écarter. C'est pour cela que les planètes principales sont dans des plans proches de celui de l'écliptique ou qu'il existe au contraire des lacunes dans la distribution des astéroïdesastéroïdes de la ceinture principale. Les résonances gravitationnelles sont ubiquistes dans la Système solaire et elles conduisent à des structures qui pointent vers l'influence de certains corps massifs et qui gardent la mémoire de son histoire.

    Lorsque Brown a considéré les paramètres orbitaux de Sedna, il a découvert que son périhélie était particulièrement éloigné de Neptune, de sorte que la planète naine était peu influencée gravitationnellement par la géante, contrairement aux objets typiques de la ceinture de Kuiper. La présence de Sedna aussi loin du Soleil et dans cette configuration était en fait étrange, sauf si on supposait qu'un corps massif l'avait fait dériver bien au-delà de Neptune.

    En 2014, lorsque Brown a pris connaissance des travaux de Chad Trujillo et Scott Shepherd sur une douzaine de TNO présentant aussi des caractéristiques étranges explicables par la présence d'autres corps célestes massifs au-delà de Pluton, il a commencé à regarder cette histoire de plus près. Peut-être n'était-il pas nécessaire de postuler l'existence d'une nouvelle planète, car on pouvait supposer qu'une étoile avait cheminé suffisamment près du Soleil dans un passé pas trop lointain pour influencer sa bordure. D'ailleurs, il y a un an, des astronomes ont annoncé avoir découvert qu'il y a environ 70.000 ans, l'étoile de Scholz (une binairebinaire) ne se trouvait qu'à 0,8 année-lumière du Soleil.

    Sur ce diagramme, on constate que les axes des orbites des plus lointains corps de la ceinture de Kuiper connus (comme Sedna) sont étrangement regroupés dans des directions voisines mais aussi que, sur leurs orbites, ces corps eux-mêmes sont rassemblés dans une région. Selon les chercheurs, de telles caractéristiques n'ont que 0,007 % de chance d'être l'œuvre du hasard. Cependant, elles s'expliquent très bien en postulant dans des simulations numériques un corps céleste d'environ 10 fois la masse de la Terre sur une orbite opposée aux précédentes et actuellement éloigné des autres objets, comme le montre le dessin de l'artiste. Il s'agirait de la Planète 9, <em>Planet Nine</em> en anglais. C'est son champ de gravitation qui piègerait en quelque sorte les orbites des petites planètes, les empêchant de dériver pour adopter des caractéristiques dispersées. © Caltech/R. Hurt (IPAC)
    Sur ce diagramme, on constate que les axes des orbites des plus lointains corps de la ceinture de Kuiper connus (comme Sedna) sont étrangement regroupés dans des directions voisines mais aussi que, sur leurs orbites, ces corps eux-mêmes sont rassemblés dans une région. Selon les chercheurs, de telles caractéristiques n'ont que 0,007 % de chance d'être l'œuvre du hasard. Cependant, elles s'expliquent très bien en postulant dans des simulations numériques un corps céleste d'environ 10 fois la masse de la Terre sur une orbite opposée aux précédentes et actuellement éloigné des autres objets, comme le montre le dessin de l'artiste. Il s'agirait de la Planète 9, Planet Nine en anglais. C'est son champ de gravitation qui piègerait en quelque sorte les orbites des petites planètes, les empêchant de dériver pour adopter des caractéristiques dispersées. © Caltech/R. Hurt (IPAC)

    Des prédictions spectaculaires mais fragiles

    Brown a voulu en avoir le cœur net et il a entamé une collaboration discrète avec Batygin qui dure depuis plus d'un an et demi. Il est devenu clair que, en particulier dans le cas de six TNO, les périhélies étaient proches les uns des autres alors que les dérives gravitationnelles prévues auraient dû les distribuer au hasard autour du Soleil. Pire, ces mêmes objets ont des plans orbitaux qui sont tous inclinés d'environ 30° par rapport à l'écliptique (voir ces orbites dans la vidéo en début de l'article. Un calcul conduit à une probabilité de seulement 0,007 % que ce phénomène soit dû au hasard. Dans le langage technique des physiciens des hautes énergiesénergies mais aussi des astronomes, cela revient à dire que l'on est à un écart de 3,8 sigma par rapport aux prédictions d'un effet du hasard. Il faudrait 5 sigma pour que l'on commence à pouvoir parler d'une découverte.

    Or, il n'est pas rare en science que des coïncidences étranges au-dessus de 3 sigma finissent par être interprétées comme du hasard quand les données augmentent et les mesures se précisent. C'est pourquoi au moins un des collègues de Brown et Batygin, Dave Jewitt, le découvreur de la ceinture de Kuiper, exhorte à la prudence. Il suffirait de découvrir au moins un autre TNO dont les caractéristiques orbitales soient très différentes de celles des corps considérés pour démolir cette hypothèse. Au final, les alignements observés pourraient bien ne rien avoir de représentatif sur la population des TNO éloignés de Neptune.

    Brown et Batygin ont tout de même décidé de tester à l'aide de simulations numériques l'existence d'un corps céleste massif dont l'influence gravitationnelle confinerait les paramètres orbitaux de corps comme Sedna et 2012 VP113 autour de valeurs similaires. Ils ont obtenu des résultats significatifs en supposant qu'une hypothétique neuvième planète entourait les orbites des six TNO. Mais c'est en considérant à l'inverse que l'orbite de la neuvième planète était orientée en direction opposée qu'ils ont obtenu l'accord le plus convaincant avec les observations. Il y avait en particulier le fait qu'une résonance gravitationnelle permettait paradoxalement à ces objets de ne pas entrer en collision, bien qu'ils soient sur des orbites rapprochées.

    Toutefois, leur scepticisme a commencé à céder du terrain après une découverte étonnante, qu'ils ont faite il y a quelques mois. Les simulations numériques qui fonctionnaient le mieux avec une planète entre 5 et 15 fois plus massive que la Terre et une orbite anti-orientée à celles des six TNO prédisaient l'existence de petits corps qui devaient se trouver sur des orbites bien précises, presque perpendiculaires au plan de l'écliptique. Brown, astronome expérimenté, a soudain réalisé que ces prédictions pouvaient correspondre à quatre objets repérés depuis trois ans ! En étudiant en détail les orbites de ces corps, Brown avoue aujourd'hui avoir failli décrocher sa mâchoire. Ils correspondaient parfaitement aux calculs.

    Mais comme on l'annonçait en début de cet article, il reste encore à observer directement la neuvième planète pour clore le débat et on ne peut pas exclure qu'une autre explication vienne rendre compte des observations. D'ici le milieu des années 2020, le Large Synoptic Survey Telescope (LSST) devrait être pleinement opérationnel au Chili. Il est particulièrement bien adapté pour découvrir une hypothétique planète X. Espérons que Subaru le précédera...