André Brahic est décédé du cancer il y a cinq ans déjà. Il était professeur à l’université de Paris-VII Denis Diderot et directeur de l’équipe universitaire « Gamma-Gravitation » au Commissariat à l’énergie atomique (CEA Saclay), mais il était surtout une figure passionnée et passionnante de la vulgarisation scientifique, bien connue du grand public. Il avait d’ailleurs reçu le prix Carl-Sagan 2000 aux États-Unis et le prix Jean-Perrin 2006 pour cette raison. Pour ses collègues, il était le co-découvreur des anneaux de Neptune et une figure importante des missions Voyager et Cassini.


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    « Quel est le but qui vaudrait que l'on choisît de naître plutôt que de ne pas exister ? Spéculer sur le ciel et sur l'ordre du cosmoscosmos entier », ainsi s'exprimait le philosophe grec Anaxagore au Ve siècle av. J.-C. Il était difficile de ne pas partager cette idée lorsque l'on écoutait André BrahicAndré Brahic nous parler, avec un enthousiasme communicatif, des dernières avancées de la planétologie via les grands projets de sondes spatiales comme Voyager et Cassini, et tout simplement de la Science. Son bouillonnement intellectuel émaillé de traits d'humour, parfois corrosifs, avait fait de l'astrophysicienastrophysicien de réputation mondiale, qui avait co-découvert en 1984 les anneaux de NeptuneNeptune, un habitué des plateaux de télévision depuis les années 1980 où on le trouvait parfois en compagnie d'Hubert Reeves et de Jean-Pierre Luminet, autres grands vulgarisateurs.

    Il est, hélas, décédé le 15 mai 2016 des suites d'un cancercancer.

    En 2011, il avait accordé une longue interview à Futura-Sciences, malgré le fait qu'il était débordé par ses multiples activités, notamment en tant que membre de l'équipe d'imagerie de la mission Cassini, explorant actuellement SaturneSaturne et ses lunes. Le chercheur nous avait expliqué son parcours.


    À l’occasion de la fin de la mission Cassini le 15/09/17, hommage à André Brahic, astrophysicien français de renom et grand artisan de la mission d'exploration de Saturne. Remerciements : Festival d'astronomie de Fleurance. © CNES

    De la simulation des galaxies aux images des anneaux planétaires

    Né le 30 novembre 1942 à Paris, il commence tout comme Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet, par faire des études de mathématiques. En licence, comme bien d'autres astrophysiciens français devenus célèbres, c'est sous l'influence des cours (qu'il prend en option) et de l'enthousiasme d'Evry Schatzman qu'il a définitivement basculé dans le monde de l'astrophysique. Le charisme et la personnalité de celui qui fut le père de l'astrophysique française l'influencent profondément, mais c'est sa rencontre avec le mathématicienmathématicien et astronomeastronome Michel Hénon, son directeur de thèse, qui a joué un rôle essentiel dans sa carrière.

    Hénon est considéré comme l'un des meilleurs scientifiques de la fin du XXe siècle. Ses travaux sur la dynamique stellaire et les problèmes à N corps font autorité. Dans la lignée d'Henri PoincaréHenri Poincaré, il explora la physique du chaos et découvrit le célèbre attracteur étrange qui porteporte son nom. André Brahic lui rendra hommage dans une passionnante conférence que l'on peut trouver dans une vidéo de l'Institut Henri Poincaré.

    Au début des années 1970, André Brahic étudiait les collisions d'un système de N nuages interstellaires afin de comprendre l'aplatissement des galaxies spiralesgalaxies spirales et la formation des disques. Pour tester son modèle, il l'appliqua à la formation des anneaux de Saturneanneaux de Saturne, considérés comme un ensemble de N corps tournant autour de la planète et subissant d'incessantes collisions mutuelles. Cet astreastre lui avait paru initialement, a priori, peu intéressant, comparé au monde des étoilesétoiles et des galaxies, jusqu'au moment où il réalisa que les plus grands noms de l'astronomie s'y étaient cassé les dents. GaliléeGalilée, Cassini, Laplace, Maxwell et Poincaré, pour ne citer qu'eux, y ont consacré une partie de leur vie sans pouvoir résoudre tous les problèmes posés par ces anneaux.

    Mais l'invention des ordinateursordinateurs qui permettent de faire des simulations numériquessimulations numériques complexes et le lancement des sondes spatiales qui donnent la possibilité d'observer de près les astres du Système solaireSystème solaire ont tout changé. Les anneaux de Saturne sont devenus de véritables laboratoires de physique, à portée de main, et il nous faudra quelques siècles supplémentaires pour tout comprendre.

    Finalement, alors qu'il ne pensait consacrer que quelques mois à l'étude des anneaux, André Brahic y aura passé plus de trente-cinq ans. Il ne le regrettait pas car cette décision va être la chance de sa vie. En effet, quand les travaux de préparation des missions Voyager ont été lancés, personne au monde n'étudiait l'évolution et la dynamique des anneaux de Saturne. C'est tout naturellement qu'on proposa alors au chercheur français de rejoindre l'équipe d'imagerie de Voyager pour analyser les données concernant les anneaux.


    Des extraits d'une conférence d'André Brahic. © Ideas in Science

     

    L’aventure des sondes Voyager et la découverte des anneaux de Neptune

    Les sondes Voyager I et Voyager II ont été construites au Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory à Pasadena en Californie. Le JPL dépend du fameux California Institute of TechnologyRichard Feynman était l'un des professeurs. Au début des années 1960, en conclusion d'un de ses célèbres cours de physique sur l'hydrodynamique, le grand théoricien des particules élémentairesparticules élémentaires prophétisait que lorsque l'exploration du Système solaire serait plus avancée, ce serait une leçon salutaire pour la physique. On verrait alors qu'une grande richesse de phénomènes, largement imprévisibles au stade de développement actuel de l'intelligenceintelligence humaine, émergerait de simples équationséquations comme celles des lois de la mécanique et de la gravitationgravitation de NewtonNewton, et surtout celles de la mécanique des fluides de Navier-Stokes.

    Cette richesse et cette diversité, qui ne cessent de surprendre les chercheurs, sont bien présentes dans le Système solaire, comme le montre magnifiquement l'ouvrage d'André Brahic qu'il avait publié chez Odile Jacob et intitulé De feufeu et de glace, planètes ardentes. L'auteur y raconte d'ailleurs l'anecdote suivante, parmi bien d'autres : « Au sein de l'équipe d'imagerie des sondes Voyager, dans les années 1980, nous nous amusions avant chaque rencontre à prédire la physionomie des astres juste avant de les visiter. Celui qui perdait les paris que nous lancions invitait ses collègues dans le meilleur restaurant des environs. À l'arrivée, tout le monde a invité tout le monde ! D'astronomes, nous devenions gastronomes ! ».

    Richard FeynmanRichard Feynman, André Brahic n'a fait que l'apercevoir à plusieurs reprises, mais au début des années 1980, une autre star était bien présente dans l'équipe d'imagerie des sondes Voyager au JPL : Carl Sagan. Ils deviendront des amis très proches et c'est ainsi que l'un des hommes à l'origine du programme Seti et du Golden Record de Voyager donnera une conférence grand public en compagnie d'André Brahic à Toulouse. Comme il l'a confié à Futura-Sciences, André Brahic se sentait en parfait accord avec la démarche de Carl SaganCarl Sagan, pour qui, comme il l'a fait avec sa célèbre série Cosmos, il est important de faire partager au plus grand nombre la culture scientifique, l'esprit scientifique et rationaliste qui la fonde, et l'émerveillement devant le spectacle des lois de la nature à l'œuvre en astrophysique.


    En 1995, dans l’émission Cassiopée, André Brahic et sa collaboratrice Cécile Ferrari nous parlent de la découverte des anneaux des planètes dans le Système solaire. © Jean-Pierre Luminet

    Des anneaux de Saturne aux anneaux de Neptune

    En 1989, la sonde Voyager 2Voyager 2 permettra de photographier pour la première fois les anneaux de Neptune dont l'existence avait été démontrée en 1984 grâce au programme d'observation d'occultationoccultation d'étoiles proposé par André Brahic et ses collègues, Bruno Sicardy et Françoise Roques de l'Observatoire de Paris-Meudon, et réalisé par Patrice Bouchet, Reinhold Häfner et Jean Manfroid à l'Observatoire de La Silla (ESOESO). Une confirmation a été également donnée par les observations de F. Vilas et L.-R. Elicer, suivant un programme conduit par Williams Hubbard. Les cinq anneaux de Neptune sont nommés d'après les astronomes qui ont contribué à d'importants travaux sur la planète à savoir Galle, Le Verrier, Lassell, Arago et Adams. En 1989 également, on découvre avec Voyager trois arcs dans le dernier anneau (Adams) qui furent baptisés Liberté, Égalité et Fraternité. Cécile Ferrari découvrit en fait qu'il existait un quatrième arc baptisé depuis Courage, le « c » faisant dit-on référence à l'astronome française.

    En juin 1980, alors que la sonde Voyager 1 était sur le point d'arriver aux abords de Saturne et devant le succès, déjà remporté par Voyager avec l'exploration de JupiterJupiter, André Brahic et quelques-uns de ses collègues réfléchissaient déjà à la prochaine étape, c'est-à-dire la mise en orbiteorbite d'une sonde autour de Saturne, après les survolssurvols de Voyager 1 et 2. Toutefois, tous ne sont pas enthousiastes, pensant que le projet est trop ambitieux et trop coûteux.

    André Brahic apostropha donc ses collègues un peu frileux en leur disant : « dans la vie, il suffit de dire qu'une chose est impossible pour qu'elle le devienne ». Il faudra tout de même dix ans pour que la NasaNasa et l'ESAESA se mettent d'accord pour construire la sonde Cassini qui sera lancée en 1997. La mission elle-même aura coûté environ 4 milliards de dollars, c'est-à-dire presque aussi cher que la constructionconstruction du LHCLHC et elle sera finalement prolongée au moins jusqu'en 2017, date à laquelle André Brahic comptait bien encore travailler dans l'équipe d'imagerie de la mission Cassini, allergique à l'idée de prendre sa retraite. Il se serait bien vu d'ailleurs, toujours vivant, comme membre d'une mission spécialement dédiée à l'étude de Neptune et ses anneaux, à l'horizon 2060.

    Interrogé sur la possibilité de découvrir de la vie extraterrestre dans un futur proche, la grande passion de Carl Sagan, André Brahic se montrait très prudent, mais probablement confiant. « À la question de savoir si une vie extraterrestre existe, un scientifique ne peut répondre que : je ne sais pas et c'est pour cela que nous cherchons ! » insistait-il et il n'est pas vraiment possible de faire un pronosticpronostic selon lui. « Sans doute, si l'on découvrait prochainement une véritable exoterreexoterre, beaucoup de moyens seraient mis en œuvre pour détecter une biosignature dans les dizaines d'années qui suivraient. Nous pourrions alors espérer une réponse avant la fin du XXIe siècle », ajoutait le chercheur. Il avait consacré son dernier livre, Terres d’ailleurs, à cette question en compagnie de l'astrophysicien Bradford Smith.

     

    Cinq images de 450 secondes de pause ont été prises le 15 mai 2016, entre 20 h 11 et 20 h 52, de l'astéroïde (3488) Brahic, nommé ainsi en l'honneur de l'astrophysicien. On voit donc les étoiles défiler, et l'astéroïde lui-même est bien visible dans le cercle en haut à droite de cette image composite. © David Romeuf
    Cinq images de 450 secondes de pause ont été prises le 15 mai 2016, entre 20 h 11 et 20 h 52, de l'astéroïde (3488) Brahic, nommé ainsi en l'honneur de l'astrophysicien. On voit donc les étoiles défiler, et l'astéroïde lui-même est bien visible dans le cercle en haut à droite de cette image composite. © David Romeuf

     

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