Un des grands noms de la radioastronomie et de la recherche de la communication avec des civilisations extraterrestres, dans le cadre du programme Seti, vient de nous quitter. Le Russe Nikolaï Kardashev, surtout connu pour sa classification en trois types de ces civilisations, est en effet décédé à Moscou ce 3 août 2019.


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    Il y a presque une semaine, on apprenait le décès d'une légende de l'astrophysique russe, également pionnier du programme Seti dans l'Union soviétique des années 1960 et 1970, à savoir Nikolaï Semenovitch Kardashev. Né le 25 avril 1932 à Moscou, ce compatriote du mythique Lev Landau est donc décédé dans sa ville de naissance ce 3 août 2019 à Moscou. Pour le grand public occidental, Kardashev est surtout connu pour sa classification en trois types des civilisations extraterrestres connue sous le nom d'Échelle de KardashevÉchelle de Kardashev. Une classification qui a été popularisée par un autre grand nom du programme Seti, Carl Sagan, et qui est très souvent mentionnée lorsque l'on traite d'une civilisation E.T. à la technologie si avancée qu'elle peut construire au moins une sphère de Dyson.

    Nikolaï Kardashev à la conférence USTI-URSS Seti, tenue à l'université de Californie à Santa Cruz en 1991, peu avant l'effondrement de l'Union soviétique. © S. Shostak
    Nikolaï Kardashev à la conférence USTI-URSS Seti, tenue à l'université de Californie à Santa Cruz en 1991, peu avant l'effondrement de l'Union soviétique. © S. Shostak

    Nikolaï Kardashev, un pionnier de la VLBI pour les trous noirs

    Pour les astrophysiciensastrophysiciens, Kardashev est avant tout un brillant radioastronome qui, en 1964, avait prédit la présence au centre de la nébuleuse du Crabe d'un objet très compact, doté d'un champ magnétique, pouvant être détecté dans les ondes radio. Il annonce ainsi, trois ans avant leur découverte par Jocelyn Bell, l'existence des pulsars. Surtout, il a joué un rôle important dans la mise au point de la technologie permettant de combiner des radiotélescopes pour faire de la synthèse d'ouverture par interférométrieinterférométrie en Union soviétique, au cours des années 1960.

    Pour être précis, Kardashev a participé au développement de l'interférométrie à très longue base (ou VLBIVLBI pour Very Long Baseline Interferometry) dont la nécessité devenait évidente pour plusieurs groupes de radioastronomes, en Russie, au Canada et aux États-Unis. À ce moment-là, on soupçonnait l'existence de sous-structures dans les images de sources radio, tels les quasarsquasars, déjà obtenues par interférométrie avec des radiotélescopes. Il s'agissait donc d'aller au-delà des travaux réalisés en particulier par le prix Nobel Martin Ryle, afin de gagner en résolutionrésolution avec ces instruments. Les premiers à faire de la VLBI furent les Canadiens en 1967.


    Une présentation de RadioAstron. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Роскосмос ТВ

    Cette implication précoce dans le développement de la VLBI va conduire plus tard Kardashev a être à la tête du projet RadioAstronRadioAstron alias Spektr-R, le Hubble russe de la radioastronomie. Ce dernier va permettre de combiner les observations d'un radiotélescope dans l'espace avec celles d'instruments restés au sol, ce qui a permis d'observer des sources radio comme si l'on disposait d'un radiotélescope de plusieurs centaines de milliers de kilomètres de diamètre. Un de ces objectifs était l'étude des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies dont on pense qu'ils sont le produit de l'activité d'un trou noir supermassiftrou noir supermassif, mais qui pourraient tout aussi bien être causés par la présence d'un trou de ver.

    Cette dernière hypothèse semble peut probable actuellement grâce au dernier succès en date qu'a permis la VLBI, rien de moins que l'obtention de la première image de ce qui semble bel et bien être un trou noir au cœur de la galaxie M87M87 avec l'Event Horizon Telescope.

    Kardashev s'est aussi beaucoup impliqué ces dernières années dans le développement d'un autre télescopetélescope en orbiteorbite de la fameuse série de quatre instruments projetée en Russie dès les années 1980, Spektr M, qui devrait faire un jour suite à Spektr-R et Spektr-RG. Appelé aussi Millimetron, ce télescope spatialtélescope spatial de 10 mètres est conçu pour étudier divers objets de l'UniversUnivers à des longueurs d'ondelongueurs d'onde millimétriques et infrarougesinfrarouges comprises entre 0,02 et 17 millimètres. On peut le considérer comme un successeur du satellite Herschel de l’ESA.


    Kardashev nous parle du projet Millimetron. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en russe devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Роскосмос ТВ

    Revenons maintenant à ce qui a fait la célébrité planétaire de Nikolaï Kardashev. En 1959, le programme de recherche Seti prend sa source avec le fameux article publié dans Nature par Giuseppe Cocconi et Philip MorrisonSearching for Interstellar Communications.

    Les deux physiciensphysiciens tenaient le raisonnement suivant : si des civilisations extraterrestres avancées existent dans la Galaxie elles communiquent probablement entre elles ou avec leurs colonies à l'aide d'ondes radio. En considérant les longueurs d'onde les plus propices à la transmission lointaine de signaux clairs, malgré le bruit de fond radio galactique, ils avaient conclu que la bande radio la plus adaptée était celle, étroite, entourant la longueur d'onde de 21 centimètres.

    De plus, cette bande correspond à une transition dite hyperfine dans l'atomeatome d'hydrogènehydrogène neutre, l'élément le plus abondant de l'Univers. C'était donc un bon moyen pour établir un standard de communication, naturellement adopté par toute civilisation développée. Le jeune radioastronome Frank DrakeDrake était parvenu aux mêmes conclusions à peu près au même moment et il lança donc le projet Ozma, du nom d'une princesse du pays d'Oz, avec l'écoute du ciel via le radiotélescope de Green Bank à partir du 8 avril 1960. Elle dura un mois, s'arrêta pendant une duréedurée équivalente avant de se terminer en juillet au bout d'un autre mois. Pendant ces deux périodes, Drake et ses collègues écoutèrent à raison de six heures par jour deux étoilesétoiles semblables au SoleilSoleil et situées à moins de 15 années-lumièreannées-lumière, Tau Ceti et Epsilon Eridani. Le résultat fut négatif mais le contraire eût été étonnant et Drake ne s'arrêta pas en si bon chemin.

    Seti et les civilisations extraterrestres de Kardashev

    Cette même année, c'est le radioastronome ukrainien et soviétique Iossif Chklovski qui prend au sérieux l'article de Cocconi et Morisson et qui initie donc le Seti en Russie. Ce n'est guère étonnant car vers 1958, Iossif Chklovski avait fait grand bruit en suggérant que le satellite de Mars, PhobosPhobos, pourrait être une structure artificielle. Or il se trouve que Chklovski, en poste à l'Institut astronomique Sternberg (la mecque de l'astronomie et de l'astrophysique russe) avait été le directeur de la thèse de Kardashev passée en 1962, et qui tout naturellement va se mettre à étudier le programme Seti.

    C'est plus ou moins en cherchant à déterminer les énergiesénergies nécessaires pour rendre détectables des civilisations technologiquement avancées à de grandes distances qu'il va donc introduire sa fameuse échelle classifiant en trois types ces civilisations dans un article et à l'occasion, en 1964, d'une conférence à Byurakan (Arménie).

     

    Les trois types de civilisations définis par Kardashev à partir de la puissance qu'elles tirent des étoiles. Ces chiffres sont variables mais le concept reste le même (voir les explications ci-dessous). © CC by-sa 3.0, Indif, Wikipédia
    Les trois types de civilisations définis par Kardashev à partir de la puissance qu'elles tirent des étoiles. Ces chiffres sont variables mais le concept reste le même (voir les explications ci-dessous). © CC by-sa 3.0, Indif, Wikipédia
    • Une civilisation de type I utilise toute l'énergie disponible sur sa planète, essentiellement l'énergie de son étoile arrivant sous forme de lumière à la surface de sa planète.
    • Une civilisation de type II utilise toute l'énergie émise par son étoile hôte, c'est-à-dire qu'elle a réalisé une sphère de Dysonsphère de Dyson autour de son étoile.
    • Une civilisation de type III utilise des sphères de Dyson autour de toutes les étoiles de sa galaxie.

    Au cours des années, des évaluations précises des chiffres associés à la puissance utilisée par une civilisation d'un type donné ont un peu évolué et ont une certaine ambiguïté. En effet, une civilisation autour d'une naine rougenaine rouge ne dispose pas de la même puissance que celle autour d'une étoile de type solaire par exemple. Enfin, Carl SaganCarl Sagan a proposé une division plus fine des types de civilisation en tenant compte de la puissance effectivement utilisée via un logarithme. L'Humanité serait ainsi une civilisation de type « Type 0,7 » car elle consommerait environ 0,16 % de la puissance disponible sur Terre.

    Pour en savoir plus sur l'impact de Kardashev sur le programme Seti, on pourra consulter l'article que lui a consacré sur son blog Élisabeth Piotelat, représentante bien connue sur Futura de la Seti League en France.

    Pour terminer, laissons la parole à Kardashev lui-même en citant un passage d'un article qu'il a écrit en 1980 : « La détection et l'étude de civilisations extraterrestres constituent un problème d'une grande importance pour le progrès de l'humanité, pour sa culture et sa philosophie. La découverte d'une vie intelligente dans l'Univers fournirait une ligne de conduite au développement possible de notre civilisation au cours des futurs temps astronomiques. »