Soumises à des musiques de styles différents durant leur affinage, des meules de fromages ont été dégustées par des experts qui sont formels : le hip-hop donne un meilleur goût. Cette curieuse discipline a même un nom, c'est la sonochimie.


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    La région de l'Emmental est célèbre pour son fromage éponyme au lait cru, reconnaissable immédiatement à ses nombreux trous. Sa fabrication n'a pas fondamentalement évolué depuis le XIIIe siècle, mais il est possible d'obtenir un grand nombre de texturestextures et de saveurs, en jouant par exemple sur la durée d'affinage, l'humidité, la température ou les bactéries utilisées. Mais un autre critère pourra désormais être mis en œuvre : la musique. Persuadé que celle-ci influence le goût du fromage, Beat Wampfler a voulu en avoir le cœur net. Ce fromager-affineur de Berthoud, dans l'ouest de la Suisse, a convaincu la Haute école des Arts de Berne de mener une expérience scientifique sur le sujet. Intitulée « Insonifier le fromage : entre acoustique et gastronomie », celle-ci a démarré en août dernier.

    La Flûte enchantée de Mozart ou Heaven de Led Zeppelin ?

    De petites meules d'emmental d'environ 40 cm de diamètre ont été installées dans des caisses en boisbois avec une enceinte diffusant de la musique en continu et par en-dessous, un fromage non sonorisé servant de référence. Parmi les huit mélodies testées : la Flûte enchantée de Mozart, Stairway to Heaven de LedLed Zeppelin, un morceau du groupe de hip-hop A Tribe called quest, un morceau de techno et des sons « sinusoïdaux » (des ondes sonores uniformes de hauteurs différentes).

    Un jury d’experts s’est réuni le 16 mars dernier à Berthoud pour déterminer si les meules d’Emmental avaient un goût différent selon la musique à laquelle elles avaient été exposées. © Fabrice Coffrini, AFP
    Un jury d’experts s’est réuni le 16 mars dernier à Berthoud pour déterminer si les meules d’Emmental avaient un goût différent selon la musique à laquelle elles avaient été exposées. © Fabrice Coffrini, AFP

    Après huit mois de cet affinage un peu spécial, un jury d'experts a évalué les résultats au cours d'une dégustation à l'aveugle le 16 mars dernier. Et l'expérience s'est avérée plus que concluante. « Il y a des différences vraiment marquées, au point où l'on se demande si c'était le même fromage au début », assure le chef Benjamin Luzuy, membre du jury, à la Radio Télévision Suisse (RTS). « Le fromage soumis au hip-hop se révèle particulièrement fruité, tant en termes d'odeur que de goût, et se distingue donc clairement des autres échantillons », précise le communiqué de presse de la Haute Ecole des Arts de Berne. Les basses fréquences de cette musique donneraient « des notes beaucoup plus douces et beaucoup plus florales ». Les meules ayant bénéficié du Mozart auraient, quant à elles, un goût plus équilibré.

    La sonochimie ou l’étude des vibrations sonores sur les objets

    Une troisième étude sera menée pour déterminer s'il y a des différences dans la composition chimique du fromage, indique Peter Kraut, directeur adjoint du département musique de la Haute Ecole des Arts de Berne et porteporte-parole du jury. Pour Beat Wampfler, pas de doute : les bactériesbactéries sont vivantes et certainement sensibles aux ondes. Il existe même un nom pour cette discipline s'intéressant à l'influence des ondes sonores et l'effet des résonances sur des corps solides : la sonochimie.

    Une nouvelle piste de création culinaire ?

    Au-delà du « coup de com », cette expérience ouvre la voie à un « travail créatif des aliments », juge la Haute école des Arts de Berne. Il pourrait également y avoir un intérêt économique, avec la possibilité de raccourcir la période d'affinage et donc d'avoir une période de stockage moins longue - un facteur de coût important dans la branche.

    Beat Wampfler n'est pas le seul à croire en la sonochimie. Le groupe de heavy metal américain Metallica fabrique par exemple son propre whisky bourbon appelé Blackened, où les fûts sont exposés à un morceau dont les ondes de basse fréquence ont été amplifiées afin « d'améliorer la structure moléculaire du whisky », indique le distilleur Dave Pickerell qui a aidé à concevoir ce breuvage.