On l'appelle le paradoxe de l'information. Cette vieille énigme de la physique théorique vient de recevoir une solution possible, proposée par Abhay Asthekar, un des créateurs de la théorie de la Loop Quantum Gravity (LQG), ou gravitation quantique en boucles. Inspiré par les résultats de ses collègues Smolin, Rovelli et Bojowald, cet éminent spécialiste explique que, contrairement à ce qu’affirmait initialement Hawking, l’information serait bien conservée lors de l’évaporation d’un trou noir.

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    Abhay Ashtekar. Crédit : Kavli Institute

    Abhay Ashtekar. Crédit : Kavli Institute

    Imaginez le rayon laser d'un graveur de CDCD chauffant un morceau de charboncharbon. Contrairement à la lumière du laser, presque monochromatique, celle émise par le charbon chauffé sera composée d'un très grand nombre de longueurs d'ondes différentes. Le rayonnement du morceau de charbon peut en effet être considéré comme celui d'un corps noir avec un spectre continu. Si les photonsphotons initiaux du laser ont tous presque la même longueur d'onde et qu'ils constituent un ensemble considéré comme pur selon la terminologie des physiciensphysiciens, les photons ré-émis par le morceau de charbon seront constitués d'un mélange hétéroclite possédant de grandes différences du point de vue des longueurs d'ondes.

    Ce rayonnement peut être vu comme très désordonné par opposition à la régularité de celui du laser. Si de plus le graveur de CD était en train de transmettre la bande son d’Iron Man, celle-ci sera inaudible dans le rayonnement thermiquerayonnement thermique final du morceau de charbon.

    Il n'en est rien pour un observateur microscopique utilisant les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique. Pour lui, de subtiles corrélations dans les états des photons émis par le morceau de charbon sont bien présentes et son assimilation à un corps noir n'est qu'une approximation, excellente  mais fausse : il est toujours possible d'écouter la bande originale du film de Marvel si l'on s'y prend bien.

    Dans le cas d'un trou noirtrou noir s'évaporant par effet Hawking, les lois de la mécanique quantique exigent l'apparition d'un spectre de corps noir. Le problème est que l'existence d'un horizon, et aussi d'une singularité à l'intérieur de celui-ci, impose que le trou noir rayonne avec un spectre de corps noir parfait durant la très grande majorité de son existence et enfin, que son état final lié à la singularité soit trop chaotique pour retenir l'information qui ne s'est pas échappéeéchappée par rayonnement Hawking durant son évolution.

    On aboutit ainsi au paradoxe de l'information. Si, d'un côté, les lois de la mécanique quantique exigent que l'information ne soit jamais perdue dans l'évolution d'un système physiquephysique, appliquées à un trou noir elles exigent que le CD de Iron Man qui aurait été avalé par le trou noir ne puisse jamais être écouté en enregistrant et en analysant le rayonnement Hawking.

    Ce problème, qui a de nombreux aspects, est l'un des plus importants de la physique et sa solution doit très probablement nous donner la clé de la physique du XXI ième siècle.

    A gauche, Stephen Hawking et à droite John Preskill. En 2004, Hawking concéda qu'il avait perdu son pari sur la destruction de l'information par un trou noir. Preskill, qui avait soutenu la conservation de l'information et en avait fait le pari avec Hawking, tient son prix, une encyclopédie du baseball. Crédit : <em>Caltech University</em>

    A gauche, Stephen Hawking et à droite John Preskill. En 2004, Hawking concéda qu'il avait perdu son pari sur la destruction de l'information par un trou noir. Preskill, qui avait soutenu la conservation de l'information et en avait fait le pari avec Hawking, tient son prix, une encyclopédie du baseball. Crédit : Caltech University

    Un toy model en 2D pour l'évaporation des trous noirs

    Abhay Ashtekar est un chercheur de renommé mondiale et c'est l'un des pères de la gravitation quantiquegravitation quantique à boucle. Comme bien d'autres chercheurs de son calibre avant lui, il vient de proposer un début de solution au paradoxe de l'information qui lui a été inspiré par le traitement nouveau des singularités en LQG.

    La LQG indique que l'espace-tempsespace-temps serait fondamentalement granulairegranulaire et que la description continue que nous avons n'est pas plus justifiée que celle que l'on emploie en mécanique des fluides. En réalité, lorsque que l'on s'approche de la longueur et du temps de Plancktemps de Planck, le caractère quantique de l'espace-temps imposerait une élimination des singularités prédites par la théorie de la relativité généralerelativité générale classique. Ce fait aurait de profondes répercussions sur l'état final d'un trou noir en fin d'évaporation, atteignant le régime de Planck.

    Bien qu'Ashtekar et ses collaborateurs Victor Taveras et Madhavan Varadarajan déclarent tenir compte des résultats de la LQG, ils ne les emploient pas techniquement. Ils se concentrent sur un modèle jouet (toy model en anglais) de trou noir en deux dimensions déjà considéré en théorie des cordesthéorie des cordes et contrôlé par un champ scalaire, le dilaton.

    Ce modèle simplifié permet de traiter quantiquement de l'état de la géométrie d'un trou noir en train de s'évaporer. Ils montrent alors que si la singularité n'existe plus au moins dans l'état final de l'évaporation d'un trou noir de ce type, alors l'information n'est pas perdue et le paradoxe disparaît. Les trois chercheurs pensent donc que si un traitement plus rigoureux et surtout en 4 dimensions de l'évaporation d'un trou noir était effectué dans le cadre de la LQG, ce résultat particulier pourrait fort bien être générique.

    Si l'on ne sait pas encore traiter de l'évaporation d'un trou noir avec la LQG, on pense que les résultats impliquant l'élimination de la singularité au cœur d'un trou noir de Schwarzschild sont néanmoins assez solidessolides dans le cadre de cette théorie.

    La théorie des cordes elle-même n'est pas favorable à la destruction de l'information par un trou noir et c'est en partie à cause d'elle que Hawking a fini par changer d'avis en 2004. Il est possible que ce résultat puisse servir à connecter les deux théories, LQG et théorie des cordes...