Dans cette seconde partie d'une exposition de la théorie de la relativité intriquée, Futura s'est tourné vers le chercheur qui l'a proposée, Olivier Minazzoli, et qui a bien voulu répondre à nos questions. C'est un astrophysicien relativiste, membre du laboratoire Artemis de l'Observatoire de la Côte d'Azur, laboratoire très impliqué dans la détection des ondes gravitationnelles. L'exploration de cette théorie ne fait que débuter mais on peut déjà la présenter comme un exemple particulier des théories dites tenseur-scalaires proposées pour aller au-delà de la théorie de la relativité générale d'Einstein.


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    Les tentatives pour dépasser les équations de la théorie de la relativité générale sont presque aussi anciennes que la théorie relativiste de la gravitation qu'EinsteinEinstein a publiée à la fin de l'année 1915 dans sa forme finale. Einstein, lui-même, avait modifié ces équations dès 1919 dans le but d'aider à comprendre les particules élémentaires connues à son époque, à savoir les électrons et les protons (sur la découverte de ces particules on pourra consulter le livre que le prix Nobel Steven Weinberg a consacré à ce sujet pour le grand public The discovery of subatomic particles).

    En effet, les physiciensphysiciens du début du XXe siècle avaient besoin de considérer l'électron comme une distribution étendue de charge électrique mais il fallait alors expliquer pourquoi il n'explosait pas sous l'effet de la répulsion électrostatiqueélectrostatique de ses parties. Poincaré avait donc postulé l'existence d'une nouvelle force contrecarrant cette répulsion, comme l'explique dans son cours de physique, Richard Feynman. Einstein, lui, faisait tout simplement intervenir la force de la gravitationforce de la gravitation.

    Quelques années plus tard, en 1933, Max BornMax Born et Leopold Infeld allaient chercher une solution dans une autre direction, celle d'une modification non linéaire des équations de Maxwelléquations de Maxwell avec une théorie qui se réduisait à celle du physicien britannique lorsque les champs électriqueschamps électriques et magnétiques ne sont pas très intenses.

    Des équations non linéaires, une clé pour de la nouvelle physique

    En fait, on peut dire que souvent des progrès en physiquephysique ont résulté du passage d'équations dites linéaires, parce que la somme de deux solutions de ces équations était encore une solution, à des équations non linéaires n'ayant plus cette propriété mais qui se réduisaient aux premières dans les cas considérés initialement. C'est précisément le cas de la théorie de la gravitation d'Einstein qui remplace les équations linéaires que l'on doit à NewtonNewton, Laplace et PoissonPoisson par des équations non linéaires.

    Il est donc naturel de se demander si des équations encore plus non linéaires que celles d'Einstein ne pourraient pas constituer une extension de sa théorie, capables notamment d'expliquer la nature des particules élémentaires, voire même de remplacer l'équation linéaire fondamentale de la mécanique quantiquemécanique quantique, comme le pensait déjà Einstein (des tentatives en ce sens existent avec des versions non linéaires de l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger, notamment pour résoudre l'épineux problème de la mesure en théorie quantique).


    Sous sa forme la plus visible, il régit la propagation et la réflexion de la lumière mais il s’applique aussi aux ondes radar, aux rayons dits rampants, au mouvement des corps solides… Fruit de plusieurs siècles de formalisation, voici le principe de moindre action. © CEA Recherche

    On peut aborder la nouvelle théorie de la gravitation proposée par l'astrophysicienastrophysicien OlivierOlivier Minazzoli sous cet angle. La théorie de la relativité intriquée est en effet une généralisation non linéaire des équations d'Einstein, comme Futura a commencé à l’expliquer dans un précédent article sur cette théorie.

    Nous avions alors expliqué qu'il existait un cadre fondamental de toutes les équations centrales de la physique théorique reposant sur ce que l'on appelle le principe de moindre action et le formalisme de Lagrange. La théorie de la gravitation peut ainsi être dérivée d'une expression que l'on appelle un lagrangienlagrangien noté R et le reste de la physique un lagrangien noté Lm. Notons au passage que la théorie de Maxwell peut se dériver d'un lagrangien que l'on notera LF et que celle de Born-Infeld se déduit d'un lagrangien qui est une fonction non linéaire de LF à savoir (1+βLF)1/2 de sorte que lorsque les champs électriques et magnétiques ne sont pas intenses ce nouveau lagrangien se réduit à (1/2)βLF où β est une constante (notons qu'une version étendue de la théorie de Born-Infeld joue un rôle important en théorie des supercordesthéorie des supercordes).

    On peut commencer à caractériser la théorie de la gravitation intriquée en disant qu'elle dérive d'un lagrangien avec une certaine fonction non linéaire f(R,Lm). Mais avant tout, précisons tout de suite que pour autant qu'on le sache à ce stade, il n'y a aucun lien entre cette théorie en cours d'exploration et la notion d'intrication quantiqueintrication quantique.

    Ajoutons également quelques prolégomènes supplémentaires au sujet de ce que l'on appelle des théories tenseurtenseur-scalaires.

    Albert Einstein et le système d'équations aux dérivées partielles non linéaires de la théorie de la relativité générale. Le membre de gauche décrit la courbure de l'espace-temps alors que le membre de droite décrit les distributions d'impulsions et d'énergies, que ce soit la matière, la lumière ou l'énergie noire. La constante à droite peut être vue comme une constante d'un milieu élastique comme celle d'un ressort et les équations d'Einstein comme la manifestation de la loi de déformation de l'espace-temps en réponse à une contrainte mécanique, celle du tenseur impulsion-énergie. © Nasa,<em> Nobel Foundation</em>, Oren Jack Turner
    Albert Einstein et le système d'équations aux dérivées partielles non linéaires de la théorie de la relativité générale. Le membre de gauche décrit la courbure de l'espace-temps alors que le membre de droite décrit les distributions d'impulsions et d'énergies, que ce soit la matière, la lumière ou l'énergie noire. La constante à droite peut être vue comme une constante d'un milieu élastique comme celle d'un ressort et les équations d'Einstein comme la manifestation de la loi de déformation de l'espace-temps en réponse à une contrainte mécanique, celle du tenseur impulsion-énergie. © Nasa, Nobel Foundation, Oren Jack Turner

    Les théories tenseur-scalaires

    Comme le nom de tenseur l'indique, ce type de grandeur mathématique qui généralise celle de vecteur elle-même sous forme d'une colonne de nombres, a été découvert en développant la mécanique des milieux élastiques déformables sous l'effet de pressionspressions et de tensions (voir le traité très complet de Léon Brillouin à ce sujet). Dans sa forme la plus simple, un tenseur est alors un tableau de nombres définit en chaque point d'un corps élastique, tout comme l'est un vecteur vitessevitesse pour un fluide en mouvementmouvement.

    Un scalaire est un simple nombre, comme une température en chaque point d'un corps élastique chauffé. Un tel corps est défini grossièrement en donnant des constantes élastiques qui permettent de calculer comment il va se déformer en réponse à des contraintes données, par exemple en se dilatant. L'exemple le plus simple est celui de la constante k d'un ressort qui s'allonge d'une longueur x en réponse à une force F selon l'équation F=kx. Mais souvent, des termes non linéaires doivent être ajoutés de sorte que l'on aurait F=ax+bx2+cx3+... pour rendre mieux compte du comportement d'un système physique.

    On peut définir ce que l'on appelle un tenseur métrique noté gμν, un tableau de nombres où les indices indiquent des lignes et des colonnes, qui fixe la géométrie d'une surface et plus généralement de l'espace, voire de l'espace-tempsespace-temps dans le cadre de la théorie d'Einstein. Le tenseur métrique peut varier dans l'espace et dans le temps et donc indiquer une variation dynamique de la courbure d'un espace, par exemple une sphère qui gonfle ou devient un ellipsoïde.

    Une théorie relativiste de la gravitation est donc d'une certaine manière une théorie avec des équations qui décrivent comment le milieu élastique qu'est l'espace-temps peut se déformer et onduler en réponse à son contenu. C'est une théorie dite tensorielle ou encore métrique mais qui ne coïncide pas forcément avec celle d'Einstein, de sorte que l'on a des théories alternatives à la théorie de la gravitation d'Einstein qui n'ont en commun que l'existence d'une métrique de l'espace-temps avec le tenseur gμν.

    Une théorie tenseur-scalaire de la gravitation serait alors celle de l'analogue d'un milieu élastique avec un champ de température modifiant l'état des contraintes et les constantes élastiques de ce milieu. L'une de ces constantes modifiables pourrait être la constante de la gravitationconstante de la gravitation de Newton mais aussi la constante cosmologiqueconstante cosmologique d'Einstein. En poursuivant l'analogieanalogie, il aurait donc un champ scalaire noté Φ couplé au champ métrique gμν. Ce champ pourrait très bien ne pas avoir la même valeur qu'aujourd'hui pendant le Big BangBig Bang où à l'intérieur d'astresastres très denses comme une étoile à neutronsétoile à neutrons, de sorte que les manifestations de la physique de l'espace-temps selon la valeur de Φ seraient aussi différentes que celle d'une roche à basse température ou sous forme de lavelave pâteuse, ou encore aussi différente que lorsqu'un métalmétal est supraconducteursupraconducteur ou cesse de l'être.

    Pour en savoir plus, nous nous sommes tournés vers Olivier Minazzoli qui a bien voulu répondre à nos questions.

    Chercheur en astrophysique relativiste, Olivier Minazzoli a notamment travaillé pour la Nasa au JPL (<em>Jet Propulsion Laboratory</em>), à Pasadena, en Californie, aux États-Unis. © Olivier Minazzoli
    Chercheur en astrophysique relativiste, Olivier Minazzoli a notamment travaillé pour la Nasa au JPL (Jet Propulsion Laboratory), à Pasadena, en Californie, aux États-Unis. © Olivier Minazzoli

    Futura : L'une des qualités que vous mettez en avant pour présenter la théorie de la relativité intriquée c'est qu'elle fournit une illustration concrète du principe de Mach.

    Olivier Minazzoli : Absolument, mais il est nécessaire de donner quelques précisions à ce sujet. Tout d'abord, c'est à Einstein que l'on doit essentiellement ce nom en référence à des idées exposées par Ernst Mach au XIXe siècle, un physicien autrichien dont les écrits, comme celui portant sur le développement historique de la science de la Mécanique, ont beaucoup influencé le père de la théorie de la relativité.

    Mais Mach lui-même n'a pas proposé de théorie bien précise et on peut se poser la question de savoir ce qu'il avait vraiment en tête et si cela correspondait bien à ce qu'Einstein a appelé le principe de Mach. À sa suite, il y a d'ailleurs eu des dizaines de formulations différentes de ce Principe comme on peut s'en convaincre en lisant l'ouvrage édité par le physicien britannique Julian Barbour, Mach's Principle : From Newton's Bucket to Quantum Gravity. Il faut donc bien déterminer de quoi on parle dans toute discussion à ce sujet.

    Futura : Qu'entendez-vous donc par principe de Mach ?

    Olivier Minazzoli : Tout simplement ce qu'en a dit Einstein lui-même à plusieurs reprises et notamment en réponse à un journaliste lors de sa première visite aux États-Unis en 1921 : « On croyait auparavant que si toute matièrematière de l'UniversUnivers disparaissait, l'espace et le temps, eux, continueraient d'exister. Alors que selon la théorie de la relativité, ils disparaissent aussi. » On connaît aussi de lui une déclaration plus technique : « Selon mon opinion, la théorie de la relativité générale est un système satisfaisant s'il montre que les qualités physiques de l'espace sont complètement déterminées par la seule matière. Pour cette raison, aucun champ gμν ne peut exister (c'est-à-dire aucun continuum d'espace-temps) sans la matière qui le génère. » 

    Avec la théorie d'Einstein, la physique connue repose sur la somme de deux lagrangiens, R pour la gravitation et Lm pour la matière et en fait toutes les autres particules et forces du Modèle standardModèle standard. Le lagrangien total de l'Univers L pourrait donc s'écrire pour faire simple sous la forme L= R+ Lm mais dans le cas de la théorie de la relativité intriquée, la géométrie de l'espace-temps ne peut plus exister sans l'existence d'un contenu, que ce soit un champ électromagnétiquechamp électromagnétique, des neutrinosneutrinos ou le champ du bosonboson de Brout-Englert-Higgs. La nouvelle théorie va beaucoup plus loin, pour paraphraser John Wheeler, que d'avoir la géométrie de l'espace-temps qui est fixée par son contenu et cette géométrie qui dit elle-même aux corps matériels ou aux rayons lumineux comment se mouvoir.

    En effet, le nouveau lagrangien du Monde s'écrit L = L2m / R et on voit donc clairement que si Lm est nul alors L l'est aussi et la théorie ne peut même plus être définie.

    Futura : La forme du lagrangien est très surprenante, comment en êtes-vous arrivé à la postuler ?

    Olivier Minazzoli : Elle est effectivement tout à fait étonnante et contre-intuitive aussi ! Tout a démarré avec des travaux de recherche menés sur les théories tenseur-scalaires de la gravitation avec mon collègue et ami Aurélien Hees. On trouve des théories de ce genre dans plusieurs alternatives à la théorie de la gravitation d'Einstein ou des tentatives pour unifier les forces de la physique comme dans le cadre des théories de Kaluza-Klein (KK) ou des supercordes, mais l'une des premières théories populaires de ce genre a été proposée au début des années 1960 par Brans et Dicke. Dans le cas des théories KK les plus simples, on voit déjà apparaître un champ scalaire provenant de l'ajout d'au moins une dimension spatiale supplémentaire et dans celle des supercordes il y a un champ scalaire très important que l'on appelle le dilaton.

    Un champ scalaire découle de ces théories mais il existe aussi des cas, notamment avec les théories avec un lagrangien de type f(R), donc sans champ scalaire initialement, où on peut  montrer que son contenu est mathématiquement et physiquement équivalent à la théorie d'Einstein couplée d'une façon bien particulière à un champ scalaire.

    Toutefois, l'existence de ce champ scalaire peut être très problématique car si on peut parfois s'en servir pour construire, par exemple, des modèles d'énergie noireénergie noire, cela conduit à l'existence d'une sorte de cinquième force qui va modifier les mouvements des corps célestes ou des rayons lumineux dans certains cas en donnant des effets que contredisent les observations. Si l'on ne veut pas perdre les avantages de la théorie unifiée étudiée, il faut s'assurer qu'il existe des mécanismes de découplage entre le champ scalaire et la géométrie de l'espace-temps dans les situations qui sont problématiques.

    On peut prendre par exemple le cas de la théorie dite « caméléon » d'un champ scalaire particulier imaginé pour rendre compte de l'énergie noire. La massemasse de ces particules associées au champ scalaire y est fonction de la densité de l'environnement dans lequel elles se trouvent. Elles seraient légères dans des environnements proches du vide tels que l'espace inter-sidéral, mais lourdes par exemple dans une étoile comme le SoleilSoleil. Le nom « caméléon » lui a donc été attribué dans la mesure où cette particule s'adapte en quelque sorte à son environnement. De cette façon, il est possible de concilier aussi bien les observations dans le Système solaireSystème solaire qu'au niveau des amas de galaxiesamas de galaxies.

    Avec Aurélien Hees, nous avions trouvé une classe de théories tenseur-scalaires qui semblait permettre automatiquement le découplage nécessaire pour tenir compte des contraintes connues à l'époque, en particulier des observations du Système solaire. La prochaine étape a consisté à chercher s'il existait une fonction f(R) bien particulière, ou plutôt f (R, Lm) en l'occurrence, correspondante à cette théorie.

     


    Petite vidéo exposant la différence formelle entre la relativité générale et la relativité intriquée. © Olivier Minazzoli

     

    Futura : Qu'est-ce qui vous a guidé pour déterminer cette fonction ?

    Olivier Minazzoli : En fait, cela s'est fait par essais et erreurs en postulant différentes formes possibles et en testant à chaque fois si l'on pouvait retomber sur les équations de la théorie tenseur-scalaire initiale, ce que j'ai réussi à faire avec l'aide, en 2015, de mon étudiant de l'époque alors en thèse, Hendrik Ludwig. Nous avons ensuite fait vérifier nos calculs par l'un des experts des théories alternatives à la théorie d'Einstein, Salvatore Capozzielo, qui n'a pas trouvé d'erreurs.

    Ce qui nous a sauté aux yeuxyeux et qui a été complètement inattendu est que sous cette forme, la théorie ne pouvait même plus être définie sans définir la matière en même temps. D'ailleurs, les deux formes, f (R, Lm) d'une part et tenseur-scalaire d'autre part, ne sont équivalentes que si l'on impose à la matière d'exister dans la définition des deux théories.

    Comme je l'explique dans un communiqué du laboratoire Artemis (CNRS-UCA-OCA), c'est ensuite, en 2021, qu'avec deux étudiants, Denis Arruga et Olivier Rousselle, l'idée nous est venue de baptiser cette nouvelle théorie du nom de théorie de la « relativité intriquée » car, par constructionconstruction, matière et courbure de l'espace-temps y sont inséparables.

    Futura : Comme Karl Popper l'a bien montré, une théorie scientifique doit faire des prédictions, ou des postdictions, peu importe, que l'on puisse comparer à l'expérience et qui permettent si ce n'est de réfuter en bloc la théorie, ce qui est bien sûr l'idéal à chercher à atteindre, de montrer qu'il y a très probablement au moins quelque chose de faux à réviser sérieusement. Qu'en est-il pour la théorie de la relativité intriquée ?

    Olivier Minazzoli : Jusqu'à présent la théorie passe les tests dans le Système solaire en régime de champs faibles où elle redonne les effets de la théorie de la relativité générale d'Einstein, eux-mêmes corrections mineurs aux équations des mouvements des planètes déduites de la théorie de Newton.

    Par contre nous avons montré que la théorie a des conséquences intéressantes, et peut-être mesurables pour les étoiles à neutrons, les trous noirstrous noirs et la cosmologiecosmologie, mais il s'agit encore de travaux en cours avec des résultats préliminaires. Il est donc encore tout à fait possible que la théorie ne sera pas aussi efficace que la relativité générale pour expliquer les observations dans leur ensemble de notre Univers.

    D'autres travaux sur des théories voisines semblent en revanche indiquer qu'il ne devrait pas non plus y avoir de modification de la forme des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles en ce qui concerne les trous noirs binairesbinaires. Il pourrait peut-être en être autrement pour les binaires d'étoiles à neutrons, mais dans ce cas il y a une dégénérescence potentielle entre l'incertitude sur les équations d'états de la matièreétats de la matière constituant les étoiles à neutrons et les différences engendrées par différentes théories relativistes.

    Futura : Il y a donc bien des prédictions nouvelles qui montrent des écarts avec celles de la théorie de la relativité générale, voire d'autres théories tenseur-scalaires ?

    Olivier Minazzoli : Oui, il y a des raisons de penser que lorsque la densité de matière devient importante, la gravitation pourrait devenir répulsive, ce qui pourrait aussi bien supprimer les singularités au cœur des trous noirs de la relativité générale que conduire naturellement à une phase d'inflation pendant le Big Bang. Si cette phase d'inflation avec une expansion très rapide de l'espace mais transitoire a été suffisante, elle permettrait de résoudre certaines énigmes en cosmologie. Mais cela reste à être démontré.

    Le Lagrangien de la théorie de la relativité intriquée est similaire dans une certaine limite à celui d'une certaine forme approximative de la théorie des cordesthéorie des cordes à basse énergie, avec un dilaton comme champ scalaire. On connaît des solutions de cette théorie effective qui sont les équivalentes des trous noirs chargés de la relativité générale avec un dilaton. Avec un étudiant en thèse, Edison Santos, nous avons donc pu montrer rapidement que dans la limite où la charge de ces trous noirs devenait négligeable, on retombait sur la solution de Schwarzschild classique, qui est donc une solution approximative de la théorie de la relativité intriquée. La question de l'occurrence d'une singularité au cœur de la solution exacte reste ouverte, mais pour le moment on peut penser que dans bien des cas en pratique, les solutions de trous noirs des deux théories de la relativité sont indiscernables.

    Là encore, bien du travail reste à faire.

    Par contre, avec les étoiles à neutrons, on voit clairement des différences potentiellement mesurables. Les étoiles à neutrons pourraient être plus massives de presque 8 % par rapport à celles de la théorie d'Einstein qui conduit à une masse limite en conjonctionconjonction avec ce que l'on sait de l'état de la matière dans ces étoiles. Surtout, la théorie prévoit des différences potentiellement observables avec les pulsations X des étoiles à neutrons, des différences que l'on pourrait peut-être mettre en évidence avec l'instrument Neutron Star Interior Composition Explorer (Nicer). Il est à bord de la Station spatiale internationaleStation spatiale internationale depuis le 3 juin 2017. Nous sommes en train d'étudier cette voie.

    Pour terminer, mais là aussi des travaux sont en cours et nous n'en sommes encore qu'au début de l'exploration des conséquences de la théorie de la relativité intriquée, on ne peut pas introduire directement la constante cosmologique d'Einstein dans la théorie car cela conduirait à des violations du principe d'équivalence que l'on n'observe pas.

    Or nous constatons bel et un bien que nous vivons dans un univers observable avec une expansion accélérée. Si la théorie de la relativité intriquée est vraie, l'accélération de l'expansion de l'Universaccélération de l'expansion de l'Univers doit être due à autre chose, et vraisemblablement le modèle ΛCDM ne peut pas être correct. J'ai récemment proposé une hypothèse qui pourrait expliquer cette accélération sans avoir besoin d'un nouveau champ (la fameuse énergie noire). Cette hypothèse est pour l'heure très loin d'être vérifiée, et elle n'est peut-être pas non plus la bonne explication de l'accélération de l'expansion de l'Univers dans le cadre de la relativité intriquée. Dans tous les cas, beaucoup de choses restent à faire pour évaluer la pertinence de cette nouvelle théorie et de son adéquation avec les lois de la nature !

    À noter

    Pour ceux que les développements techniques ne rebutent pas, il existe une excellente revue des alternatives à la théorie de la gravitation relativiste d'Einstein et que l'on peut trouver sur arXivarXiv. On la doit à Salvatore Capozziello et Mariafelicia De Laurentis. Elle complétera la présentation technique faite par Olivier Minazzoli dans la vidéo ci-dessous.


    Une présentation pour les experts de la théorie de la relativité intriquée. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Olivier Minazzoli

    Références :