L'héritage d'Einstein est bien vivant, la preuve : l'une de ses tentatives pour unifier la physique des particules de matière avec celle des champs de force contient peut-être en germe une des clés de la solution de l'énigme de l'énergie noire en physique quantique.


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    Comme nous l'avons expliqué dans un précédent article introductif sur la géométrie non-commutative en physique, Albert EinsteinEinstein a très tôt entrepris d'aller au-delà de sa propre théorie de la relativité générale. L'objectif était double car il s'agissait non seulement de découvrir une théorie unifiée qui aurait réuni le champ de gravitation avec le champ électromagnétique au sein d'un seul champ mais également une théorie non dualiste de la matière et des champs. Rappelons qu'en ce qui concerne les particules de matière à la fin des années 1910, cela voulait dire les protons et les électronsélectrons, puisque le neutron, les neutrinosneutrinos et les mésonsmésons étaient alors inconnus.

    Avant sa formulation finale de la théorie de la relativité générale, en novembre 1915, Einstein avait déjà réfléchi, comme plusieurs de ses contemporains et en particulier Poincaré, à des modèles décrivant la structure et les propriétés des particules chargées, en l'occurrence, les électrons. Poincaré avait montré que l'on pouvait retrouver plusieurs phénomènes liés aux propriétés de l'électron en le considérant comme une répartition étendue de charge qui n'explosait pas sous l'effet de la répulsion électrostatiqueélectrostatique de ses parties si l'on supposait qu'une autre force s'y opposait.

    En 1919, Einstein avait été conduit à modifier légèrement les équationséquations de la relativité générale, dans le cadre de ses recherches sur une théorie non dualiste de la matière et du champ (supposant donc que les particules sont des concentrations d'énergieénergie dans un champ unitaire et pas des objets étrangers à ce champ qu'il fallait postuler). Il avait alors obtenu pour la première fois ce que les physiciensphysiciens actuels appellent la théorie unimodulaire de la gravitation.


    Le vide en physique est un concept difficile à définir. On pourrait penser qu'il désigne l’absence de tout, mais en mécanique quantique il semblerait que cela ne soit pas vraiment le cas… Futura-Sciences a interviewé Claude Aslangul sur ce sujet. © Futura-Sciences

    L'énergie noire, la pire prédiction de la physique théorique

    Magiquement, cette théorie prédisait l'existence d'une force de pressionpression issue de la gravitégravité capable de jouer le rôle, en théorie du moins, de la force postulée par Poincaré. On peut montrer que cette théorie reproduit bon nombre des prédictions de la relativité générale, sauf qu'elle peut conduire à des violations de la conservation de l'énergie !

    Nous n'avons pas de raisons valables de douter de cette loi, très bien vérifiée par l'expérience, mais cela n'a pas empêché les physiciens, qui ne sont ni dogmatiques ni étouffés par une soi-disant pensée unique, d'explorer plusieurs théories qui d'une façon ou d'une autre peuvent conduire à des violations de la conservation de l'énergie. Il existe par exemple des modifications des équations de la mécanique quantique, notamment dans l'étude de l'évaporation des trous noirstrous noirs par rayonnement Hawking, qui violent cette conservation de l'énergie.

    Indépendamment de cette problématique, le physicien Lee Smolin, entre autres, a montré que la théorie unimodulaire de la gravité contenait peut-être la solution d'une énigme parfois considérée comme la pire prédiction de la physiquephysique. En effet, la théorie quantique tend à prédire que les champs de matière et de forces possèdent une énergie minimale colossale, c'est-à-dire qu'ils doivent se manifester sous la forme d'une densité d'énergie du vide quantique, la fameuse énergie noireénergie noire, possédant une valeur extraordinairement élevée.

    Problème, la valeur calculée de cette énergie est 10120 fois plus élevée (1 avec 120 zéros !) que ce que montrent les observations depuis 1998. On a bien du mal à produire des théories qui s'accordent avec cette observation et elle est troublante à plus d'un titre car selon la théorie d'Einstein, comme Pauli l'avait compris dès les années 1920 (voir l'article ci-dessous), une telle densité d'énergie doit tellement courber l'espace sur lui-même qu'il serait plus petit que la Terre. Or il semble bel et bien que la théorie unimodulaire de la gravité supprime automatiquement l'effet de l'énergie du vide sur la courbure de l'espace-tempsespace-temps, tout en introduisant une constante cosmologiqueconstante cosmologique qui se manifeste par une accélération de l'expansion de l'universaccélération de l'expansion de l'univers observable depuis quelques milliards d'années.


    Giancarlo Ghirardi est un physicien italien bien connu notamment pour la théorie qu'il a proposée en 1985 avec Alberto Rimini et Tullio Weber. Il nous parle de la théorie quantique. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © QTWOIII

    L'énergie noire et le problème de la mesure en physique quantique

    Le journal Science vient d'attirer l'attention sur l'un des derniers travaux qui spéculent sur la pertinence de la théorie proposée par Einstein en 1919. Il s'agit d'un article déposé sur arXiv par trois physiciens, Thibault Josset et Alejandro Perez, de l'université d'Aix-Marseille, en compagnie de leur collègue Daniel Sudarsky, de l'université nationale autonome du Mexique (Universidad Nacional Autónoma de México, UNAM).

    Les trois chercheurs montrent que l'on peut connecter la valeur de la constante cosmologique actuelle à la quantité d'énergie non conservée impliquée par la gravité unimodulaire. Il faut pour cela relier cette violation de la conservation de l'énergie à celle intervenant notamment dans une classe de théories modifiant les équations de la mécanique quantiquemécanique quantique afin d'expliquer certains de ses paradoxes.

    En effet, la théorie quantique autorise en quelque sorte une particule à être en plusieurs endroits à la fois. Comment se fait-il que nous n'observions rien de tel à l'échelle macroscopique ? C'est un avataravatar d'un célèbre problème en physique quantiquephysique quantique et qui se cache sous les désignations ésotériques de problème de la réduction du paquetpaquet d'onde ou encore de l'effondrementeffondrement du vecteur d'état, ou, plus sobrement, de problème de la mesure. En 1985, les physiciens Ghirardi, Rimini et Weber ont proposé un mécanisme impliquant une modification de la théorie quantique et forçant une particule à se localiser au bout d'un temps souvent très long. L'effet est très faible mais les objets macroscopiques contenant au moins des millions de milliards de milliards de particules et parfois bien plus, le mécanisme est finalement très rapide.

    La théorie de Ghirardi-Rimini-Weber a par la suite été étendue et elle a donné finalement ce qu'on appelle la théorie de la localisation continue spontanée ou CSL (pour continuous spontaneous localization). C'est cette théorie qui a été mise en connexion avec la gravité unimodulaire et la cosmologiecosmologie.

    Tout ceci reste bien sûr très spéculatif. Pour aller plus loin, il faut explorer toutes les voies ouvertes au-delà de la physique du modèle standardmodèle standard. De plus, l'idée qu'il est nécessaire de modifier les équations et l'interprétation de la mécanique quantique, en particulier avec l'introduction de phénomènes non linéaires, ce qui est bien le cas avec la théorie CSL, est complétement dans l'esprit d'Einstein. L'avenir pourrait montrer que le père de la théorie de la relativité, et dans une certaine mesure de la mécanique quantique, avait des décennies d'avance, voire un siècle...


    Schrödinger et Einstein avaient entrevu l'énergie noire

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 16/12/2012

    Albert Einstein a publié en 1917 son modèle d'univers dans lequel il introduisait la désormais célèbre constante cosmologique. En relisant deux articles concernant un débat entre Einstein et Schrödinger au sujet de cette constante en 1918, un physicien américain s'est rendu compte qu'Einstein avait entrevu la possibilité que sa constante se comporte comme certains modèles d'énergie noire actuels.

    Lorsque Albert Einstein a publié en 1917 son premier modèle cosmologique issue des équations de la relativité générale, il avait utilisé une possibilité au départ purement mathématique dictée par la théorie des invariantsinvariants en géométrie différentielle. Il s'agissait aussi de trouver des solutions décrivant la géométrie de l'espace-temps à grande échelle produite par une distribution d'étoilesétoiles censée représenter l'univers et en accord avec une idée à laquelle Einstein tenait par-dessus tout : le principe de Mach.

    Einstein obtenait au final un système d'équations exprimant la structure de l'espace-temps en cosmologie avec une constante notée lambda, ajustée pour contrebalancer par des forces répulsives les forces d'attraction d'une distribution uniforme d'étoiles dans un espace-temps clos, fini et éternel. Sans ces forces répulsives, l'univers ne serait pas stable, en contradiction avec ce que l'on pensait savoir à l'époque. La constante d'Einstein allait devenir célèbre et aujourd'hui tout le monde en a entendu parler sous le nom de constante cosmologique.

    Erwin Schrödinger et Albert Einstein partageaient bien des choses en commun, comme un intérêt pour la philosophie et une insatisfaction devant l'interprétation orthodoxe de la mécanique quantique. Ils ont travaillé sur des thèmes identiques en relativité générale, de la cosmologie à une théorie unifiée de la gravitation et du champ électromagnétique. © DP
    Erwin Schrödinger et Albert Einstein partageaient bien des choses en commun, comme un intérêt pour la philosophie et une insatisfaction devant l'interprétation orthodoxe de la mécanique quantique. Ils ont travaillé sur des thèmes identiques en relativité générale, de la cosmologie à une théorie unifiée de la gravitation et du champ électromagnétique. © DP

    En 1918, Erwin SchrödingerErwin Schrödinger, le futur découvreur de la mythique équation gouvernant le monde de la mécanique quantique, proposa dans un court article de traiter différemment la constante cosmologique d'Einstein. Non comme un paramètre de la partie des équations d'Einstein traitant de la courbure de l'espace-temps, mais comme l'effet d'une densité de matière ou d'énergie encore inconnue. En des termes modernes, comme le fait remarquer aujourd'hui le physicien Alex Harvey, professeur à la City University of New York, dans un article publié sur arxiv, Schrödinger introduisait implicitement le concept d'énergie noire en cosmologie.

    Schrödinger, précurseur pour le concept d’énergie noire

    Le génial Schrödinger arpenta plus tard de nouveaux sentiers de la cosmologie relativiste avec des décennies d'avance. En effet, en 1939, il a découvert que dans un univers en expansion, les lois de la mécanique quantique et de la relativité générale peuvent conduire à la création de particules. Il avait donc 30 ans d'avance sur Zel'dovich, Starobinsky et Hawking qui, entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, ont exploré les conséquences de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe au début de l'univers ou au voisinage des trous noirs.

    Einstein ne tarda pas à répondre aux remarques de Schrödinger. Il avait bien sûr eu la même idée, mais n'en avait pas parlé dans son article de 1917, parce que cela aurait ouvert la boîte de Pandore. En effet, si on considère que la constante cosmologique est la manifestation d'une distribution de matière-énergie, il faut admettre qu'elle peut varier dans le temps et dans l'espace selon des lois à déterminer.

    En des termes modernes, selon Alex Harvey, Einstein entrevoyait que sa constante devait être remplacée par des équations décrivant un champ scalaire variable dans l'espace-temps, c'est-à-dire quelque chose comme les modèles de quintessence pour l'énergie noire.

    Einstein et Pauli en pleine discussion. Les deux physiciens étaient des maîtres de la théorie de la relativité générale. © Cern
    Einstein et Pauli en pleine discussion. Les deux physiciens étaient des maîtres de la théorie de la relativité générale. © Cern

    L'énigme de la constante cosmologique

    Mais comme aucune indication ne permettait de fixer les équations de ce champ, on ne pouvait que se perdre en conjecturesconjectures stériles. Il valait mieux considérer dans un premier temps le modèle cosmologique le plus simple possible au niveau des hypothèses.

    Quatre-vingts ans plus tard, Saul Perlmutter, Adam Riess et Brian Schmidt, en découvrant l'expansion accélérée de l'univers, allaient ramener le problème considéré par Schrödinger et Einstein sur le devant de la scène. Un autre problème clairement vu au début des années 1920 par Wolfgang PauliWolfgang Pauli allait devenir lui aussi encore plus aigu.

    Avant même la découverte par Heisenberg, Born et Schrödinger des lois de la mécanique quantique, le jeune Pauli avait compris que les règles de la vieille théorie quantique imposaient que le champ électromagnétique devait contenir tellement d'énergie même en l'absence de propagation de la lumièrelumière qu'il aurait dû courber l'espace de l'univers clos d'Einstein de telle sorte qu'il ressemblerait à une sphère de seulement 31 km de rayon environ. Ce grave problème persiste aujourd'hui lorsque l'on tente de comprendre la nature de l'énergie noire.