Plusieurs œuvres de Léonard de Vinci sont probablement perdues et l'une d'entre elles semblait avoir émergé à nouveau il y a presque un siècle sous la forme d'un buste de cire. Une équipe de physiciennes et chimistes vient de mettre fin à une controverse quant à l'authenticité de ce buste en utilisant des méthodes modernes de caractérisation des matériaux dont certaines se basent sur des accélérateurs de particules.


au sommaire


    On se souvient que l'année 2019 a été l'occasion de fêter le cinquième centenaire de la mort de Léonard de Vinci en France et qu'une exposition en l'honneur de Leonardo s'est tenue au Louvre. Incontestablement, la fascination pour Léonard de VinciLéonard de Vinci n'est pas morte même en ce début de XXIe siècle. On continue d'ailleurs de rêver à la découverte d'œuvres disparues de l'artiste et il est bien dommage que l'on ne sache toujours pas vraiment si la science a vraiment retrouvé la mythique « Bataille d'Anghiari », plus d'une décennie après que l'on ait commencé à le suspecter comme Futura l'a expliqué dans plusieurs articles, dont le précédent ci-dessous.

    Ce qui semble acquis aujourd'hui, c'est que des chercheuses du LSCE/LMC14 (CEA-CNRS-UVSQ) et de l'Institut de recherche de Chimie Paris (CNRS-Chimie ParisTech-C2RMF) ont réussi à mettre fin à une affaire datant du début du XXe siècle et qui concernait un buste de cire montrant la déesse Flora, une ancienne divinité agraire d'Italie et de Rome, dont le rôle principal consistait à protéger la fleuraison des céréalescéréales et des arbresarbres fruitiers.

    Lorsque le Prussien Wilhelm von Bode le découvre en 1909 dans une galerie londonienne et l'acquiert pour le musée de Berlin, il est convaincu qu'il s'agit d'une œuvre de Léonard de Vinci, mais très vite une controverse naît à ce sujet. Le fils du sculpteur anglais Richard Cockle Lucas ne tarde pas à faire éclater une bombe en déclarant que le buste de Flora est en fait une œuvre de son père réalisée en 1846. Qui plus est, il est facile de le prouver car il affirme qu'il est creux et qu'il contient des objets en papier et en boisbois datant du XIXe siècle. Vérification faite, c'est bien le cas mais Bode et les conservateurs du musée berlinois se refusent à en tirer la conclusion que ce n'est pas malgré tout initialement l'œuvre de Léonard.

    Buste de Flora, numéro d’inv. 5951, <em>Skulpturensammlung (SBM), Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK).</em> © SMB-SPK, CNRS
    Buste de Flora, numéro d’inv. 5951, Skulpturensammlung (SBM), Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK). © SMB-SPK, CNRS

    Une datation au carbone 14 qui n'est plus problématique

    Le XXe siècle a heureusement vu la découverte de la méthode de datation au carbone 14datation au carbone 14 développée par Willard Libby en 1949. Elle lui vaudra le prix Nobel de physique en 1960 (toutefois, selon un autre prix Nobel, Emilio Segrè, elle lui aurait été suggérée par Enrico FermiEnrico Fermi à l'occasion d'un séminaire à l'université de Chicago). Malheureusement, la cire du buste de Flora est un mélange de différentes substances, un peu de cire d'abeille mais surtout beaucoup de blanc de baleineblanc de baleine (ou spermaceti), une substance blanchesubstance blanche présente dans la tête de certains cétacés comme le cachalotcachalot, contenant des cires et des triglycéridestriglycérides

    Or bien qu'organique, donc contenant du carbone, le blanc de baleine reflète plutôt le contenu en carbone 14 de l'Océan et pas celui de l'atmosphèreatmosphère respirée par les cétacés. Mais ce contenu est variable d'une région de l'Océan à une autre, et il s'écoule un temps plus long entre la production de cet isotope par des neutrons, issus indirectement des rayons cosmiques entrant en collision avec les noyaux d'azoteazote 14 dans la haute atmosphère, et son incorporation dans un être vivant dans les océans, que dans le cas des vivants sur les continents. On ne peut donc pas s'en servir simplement pour faire des datations selon la même chronologie que pour la datation de l'éruption de Santorin, par exemple.

    En effet, c'est comme si l'on disposait de plusieurs sabliers dont les temps d'écoulement n'étaient pas les mêmes et dont on ne savait pas très bien auxquels les attribuer.

    Buste de Flora, numéro d'inv. 5951, <em>Skulpturensammlung-Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK) </em>avec deux objets de Richard Cockle Lucas<em> ("Woman and winged woman" numéro d'inv. SBM Lfd. Nr. 247 et "Leda and the swan" Alte Nationalgalerie, SMB-SPK, numéro d'inv. B II 433).</em> © SMB-SPK
    Buste de Flora, numéro d'inv. 5951, Skulpturensammlung-Museum für Byzantinische Kunst (SBM), Staatliche Museen zu Berlin (SMB) - Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK) avec deux objets de Richard Cockle Lucas ("Woman and winged woman" numéro d'inv. SBM Lfd. Nr. 247 et "Leda and the swan" Alte Nationalgalerie, SMB-SPK, numéro d'inv. B II 433). © SMB-SPK

    Des protons, des rayons X et infrarouges comme clés de l'énigme

    Mais comme Lucile Beck et ses collègues Ina Reiche et Ingrid Caffy l'expliquent dans un article publié par le journal Nature dans sa section Scientific Reports, les techniques modernes de caractérisation et de datation des matériaux offraient une solution pour démêler l'écheveau. Mais il fallait pour cela se baser sur d'autres œuvres de Richard Cockle Lucas « Léda et le cygne » (1850) et « Femme et femme ailée » (1848), visiblement elles aussi fabriquées avec du blanc de baleine et probablement également avec de la cire d'abeille.

    Comme l'explique le communiqué du CEA au sujet du travail des trois chercheuses, la détermination des composants de la cire, son origine marine ou terrestre est le fruit de l'étude des émissionsémissions de rayons Xrayons X des atomesatomes en réponse à des bombardements par des protonsprotons, rendu possible par une sonde nucléaire Pixe de l'installation NewAGLAE du Centre de recherche et de restauration des musées de France (la méthode n'est pas sans rappeler celle basée sur la loi qui fut découverte par Henry Moseley en 1914 au laboratoire d'Ernest RutherfordErnest Rutherford et qui lui a permis d'identifier des éléments simplement avec leur émission atomique de rayons X), complété par de la spectroscopie infrarougeinfrarouge à transformée de Fouriertransformée de Fourier (FT-IR) et de la chromatographie en phase gazeusechromatographie en phase gazeuse combinée à la spectrométrie de massespectrométrie de masse (GC-MS), au Rathgen-Forschungslabor (Allemagne).

    La datation finale au radiocarbone des échantillons a été réalisée au Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14), à Saclay, par spectrométrie de masse par accélérateur.

    Les résultats obtenus ont validé une hypothèse de départ, à savoir que les cires du buste de Flora et du relief « Léda et le cygne » de 1850 ont des compositions très similaires, où domine le blanc de baleine (85 %) mélangé avec un peu de cire d'abeille (15 %), et qu'elles ont donc bien la même origine.

    Enfin, les âges de ces cires sont compris entre 1704 et 1950. Impossible donc que le buste de Flora soit de Léonard de Vinci.

     


    La physique retrouvera-t-elle la fresque perdue de Léonard de Vinci ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 26/10/2007

    C'est peut-être le début de la fin pour l'énigme de la fresque perdue de Léonard de Vinci : La Bataille d'Anghiari. LaserLaser, caméra infrarouge et faisceaux de neutrons vont être utilisés par Maurizio Seracini et ses collègues de l'Université de San Diego pour voir si elle ne se trouve pas en fait derrière un murmur du Palazzo Vecchio, à Florence.


    L'histoire de l'art est loin d'être gravée dans la pierre. L'ingénieur Maurizio Seracini a passé 30 ans à la recherche de la fresque perdue de Léonard de Vinci, « La Bataille d'Anghiari » , et entre-temps a découvert que plusieurs peintures ont quelques couches d'histoire cachées dessous. Doivent-elles faire aussi partie de l'expérience visuelle ? © TED Conferences, LLC.

    « La Bataille d'Anghiari » est l'une des œuvres mythiques de Léonard de Vinci. Il s'agissait d'une célébration de la victoire de Florence contre MilanMilan, en 1440, qui avait été commandée à Léonard en 1504 par Piero Soderini , haut dignitaire de la République de Florence, en même temps que celle de la Bataille de Cascina à Michel-AngeAnge, au début du 16 ième siècle. Les deux artistes géniaux, qui se détestaient, étaient en compétition dans la Salle des 500, une des salles principales du Palazzo Vecchio où se réunissaient les notables de Florence. 

    Une copie de <em>La bataille d'Anghiari</em>, Cliquez pour agrandir (Crédit : musée du Louvre).
    Une copie de La bataille d'Anghiari, Cliquez pour agrandir (Crédit : musée du Louvre).

    Selon la légende, en voulant tester une nouvelle technique pour la fresque murale, et en cherchant à accélérer son séchage, Léonard ne fit que délabrer l'œuvre qu'il avait débutée. Il quitta ensuite Florence en 1506, laissant son œuvre inachevée. Quelques années plus tard, Giorgio Vasari, un des grands admirateurs de Léonard et l'auteur d'un ouvrage célèbre sur l'histoire des artistes de la renaissance, fut appelé à son tour pour illustrer une bataille, celle de Marciano.

    L'œuvre à la gloire des Médicis existe toujours mais, depuis quelques années, on se demande si Vasari, comme il l'a déjà fait pour d'autres peintres, n'aurait pas protégé ce qui restait de la fresque de Léonard par un mur de briques. On sait en effet que la fresque était considérée comme un très grand chef-d'œuvre de Léonard par ses contemporains, à l'égal de la Cène, et quelques copies, dont celle de Rubens, ont été réalisées. Or, à strictement parler, personne ne sait avec certitude, non seulement si la fresque a bien été abîmée par Léonard avec des poêles, ni même si elle a été détruite par Vasari pour permettre la réalisation de sa commande.

    Une étrange inscription

    L'intérêt pour cette question s'est ravivé lorsque Maurizio Seracini, un ingénieur italien bien connu pour l'applicationapplication des techniques de la physique à l'analyse des œuvres d'arts, notamment des peintures, en examinant de près la fresque de Vasari a trouvé une curieuse inscription en italien : « Cerca, trova ». Ce qui veut peut vouloir dire « cherche et tu trouveras ».

    Maurizio Seracini en pleine action sur une fresque (Crédit : Laila Pozzo).
    Maurizio Seracini en pleine action sur une fresque (Crédit : Laila Pozzo).
    Maurizio Seracini dans la Salle des 500 examine la fresque de Vasari (Crédit : Laila Pozzo).
    Maurizio Seracini dans la Salle des 500 examine la fresque de Vasari (Crédit : Laila Pozzo).

    Il s'en est suivi différentes études, dans les archives et au moyen de caméra infrarouge, de radar et de rayons X, conduisant à soupçonner la présence derrière le mur portant la fresque de Vasari d'une double paroi séparée de la première. Vasari, ne pouvant se réduire à détruire l'œuvre de celui qu'il admirait tant, aurait trompé les Médicis en conservant la fresque de Léonard pour la postérité.

    Pour savoir si cette hypothèse est exacte, le moyen le plus simple serait bien sûr de déposer la fresque de Vasari. Cette décision ne peut bien évidemment pas être prise à la légère et l'on en était resté là.

    Récemment, des restes des briques ayant conduit à la fabrication du mur de la Salle des 500 portant la fresque de Vasari ont été trouvés dans les réserves du Palazzo Vecchio. ils sont actuellement en cours d'analyse fine à San Diego.

    Dans quelques mois, la fresque sera à nouveau scannée au laser, en infra-rouge et une meilleure connaissance de la composition du mur et des pigmentspigments de la fresque devrait permettre une reconstruction fine, en 3 dimensions, de l'ensemble. Si l'image d'une cavité devient plus nette, alors un faisceau de neutrons sera même employé pour répondre à la question cruciale : « Peut-on prendre le risque d'abîmer la fresque de Vasari pour partir à la recherche de la fresque perdue de Léonard ? »

    Espérons qu'après trente ans de travail, Maurizio Seracini sera mondialement célèbre pour une autre raison que d'être explicitement mis en scène dans l'ouvrage de Dan Brown, le « Da Vinci code ».