L'écoulement du temps paraît irréversible et cela semble paradoxal car les lois fondamentales et microscopiques de la physique ne semblent pas faire de différence entre le passé et le futur, à part, peut-être, en mécanique quantique. Macroscopiquement, le second principe de la thermodynamique implique aussi une irréversibilité. On cherche à mieux comprendre ces contradictions, par exemple aujourd'hui avec un ordinateur quantique, celui d'IBM.


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    Il existe en physique une énigme que l'on peut faire remonter à la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque l'on a commencé à mieux comprendre l'origine des connexions entre la mécanique et la thermodynamique, en particulier dans le cadre de la théorie cinétique des gaz de Ludwig Boltzmann, le fondateur avec Willard Gibbs de la mécanique statistique. Kelvin et Maxwell eux-mêmes avaient fait des contributions plus ou moins en rapport avec cette énigme qui est celle que nous appelons aujourd'hui l'origine de la flèche du temps.

    Prenons l'exemple de deux boules de billard qui entrent en collision, elles s'approchent et se séparent. Si nous filmons cet évènement et que nous passons le film en sens inverse, nous ne trouverions en rien les images incongrues. Il en serait tout autrement si nous observions le film d'un verre brisé au sol dont les morceaux se rassembleraient spontanément pour former ce verre qui de plus remonterait vers la table d'où il avait chuté.

    Nous pourrions aussi prendre l'exemple d'une goutte d'encre qui s'est diffusée dans un verre d'eau et qui se reconstituerait. Notre intuition nous soufflerait, là aussi, qu'un film a été passé à l'envers et que ce phénomène est tout aussi impossible que le précédent. Et pourtant...

    Que ce soit dans l'exemple de cette goutte ou pour le verre brisé, nous avons affaire à des collections d'atomes en mouvementmouvement selon les lois de la mécanique qui sont les mêmes que celles pour des boules de billard, jusqu'à un certain point. Les équationséquations mathématiques de ces lois ne changent pas lorsque l'on inverse le sens de l'écoulement du temps de sorte que les solutions de ces équations qui correspondraient à avoir des verresverres brisés ou des gouttes diffusées se reformer sont à prendre autant au sérieux que celles qui nous semblent les plus naturelles. D'où vient alors la différence dans les deux sens d'écoulement du temps, l'un semblant irréversible et l'autre une fiction mathématique ?

    Personne ne connaît vraiment la réponse même si nous en avons quelques idées, notamment avec les principes de la mécanique quantiquemécanique quantique décrivant une mesure sur un système quantique et parfois en connexion avec des théories cosmologiques.


    Une courte présentation de la notion de flèche du temps. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © The Royal Institution

    La flèche du temps, une illusion ?

    Cette flèche du temps peut en tout cas se relier au fameux second principe de la thermodynamiquesecond principe de la thermodynamique et à la notion d'irréversibilité dans l'évolution des systèmes physiques qui d'ailleurs peut s'illustrer avec le contenu du second principe qui repose sur le fait, expérimentalement constaté, que la chaleurchaleur s'écoule toujours spontanément d'un corps chaud à un corps froid et non l'inverse.

    Mais, en fait, on peut arguer que cette irréversibilité ne l'est pas vraiment et qu'elle n'apparaît surtout que pour des objets contenant beaucoup de particules et considérés sur des duréesdurées longues mais pas trop. Poincaré a ainsi démontré, avec son célèbre théorème de récurrence, que si l'on attendait suffisamment longtemps, un système mécanique finirait toujours par revenir à son point de départ même s'il faut attendre pour cela un temps considérablement plus grand que l'âge du cosmoscosmos observable. À un moment, la goutte d'encre dans le verre d'eau se reformera.

    Sans aller jusque-là, de toute façon, la densité d'encre est toujours fluctuante dans le verre de sorte que, par moment, elle diminue faiblement et très transitoirement sur de petites distances même si, macroscopiquement et en moyenne, on ne voit pas ces fluctuations. On a le même effet avec la chaleur et la température dans ce verre. On peut ainsi parler, dans un certain sens, de violations temporaires et microscopiques du second principe et de la notion d'irréversibilité.

    Toutefois, et bien que des physiciensphysiciens, comme Lev Landau, se soient posé la question d'une origine et d'une nature fondamentale de l'irréversibilité, et donc de la flèche du temps, en rapport avec le processus de la mesure d'une grandeur d'un système en physique quantiquephysique quantique, on s'interroge depuis plusieurs années sur de possibles violations du second principe en physique quantique et surtout sur les moyens de contrôler ces violations comme le ferait le fameux démon de Maxwell.

    On peut voir un des derniers avatarsavatars de ces réflexions dans les travaux menés par un groupe de physiciens de l'Institut de physique et de technologie de Moscou et de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ, en allemand Eidgenössische Technische Hochschule Zürich ou ETHZ) qui viennent de publier avec un collègue de l'Argonne National Laboratory (États-Unis) un article à ce sujet dans la rubrique du journal Nature.


    Quelques idées sur la flèche du temps en cosmologie. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TEDx Talks

    Un paquet d'ondes qui s'étale irréversiblement ?

    Les chercheurs commencent par y discuter un fait connu depuis longtemps en mécanique quantique. Si l'on considère un paquet d’ondes de matière bien localisé dans le vide représentant initialement une particule qui l'est tout autant, alors ce paquetpaquet - dont le carré de la fonction d'onde le décrivant (qui est un nombre complexe) donne la probabilité de présence de la particule dans l'espace lors d'une mesure - va s'étaler irréversiblement dans l'espace, un peu comme le ferait la goutte d'encre précédente dans un océan (incidemment, l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger gouvernant l'évolution de ce paquet d'ondes est analogue à celle décrivant la diffusiondiffusion de l'encre).

    Les physiciens se penchent ensuite sur le cas où la particule n'est plus isolée et baigne dans un champ électromagnétiquechamp électromagnétique aussi faible que celui du rayonnement fossilerayonnement fossile. La faible perturbation peut conduire l'évolution du paquet d'ondes à s'inverser rigoureusement et spontanément dans le sens du temps, comme si l'on prenait le conjugué du nombre complexe associé. Mais l'effet resterait extrêmement faible et improbable. Pour s'en convaincre, il suffit de savoir qu'il se produirait une fois tous les 13,8 milliards d'années dans une population de 10 milliards d'électronsélectrons observés chaque seconde et que le renversement du sens de l'évolution dans le temps serait équivalent à ramener la particule à l'état qu'elle occupait au plus un dix milliardième de seconde dans le passé (attention, il ne s'agit pas de faire voyager une particule dans le temps pas plus que de remettre à sa place initiale un objet).

    On voit donc que même avec une seule particule, l'effet de l'irréversibilité de l'évolution avec acte de mesure est déjà très fort en mécanique quantique et doit donc l'être encore plus avec plusieurs particules, ce qui semble conforter les idées que Landau avait à ce sujet.

    Et si le cosmos était un ordinateur quantique ?

    Les physiciens considèrent alors un cas un peu plus complexe et, qui plus est, que l'on peut simuler sur l'ordinateur quantique d’IBM en accès libre. En utilisant deux, puis trois qubitsqubits, ils simulent grosso modo une ou deux particules quantiques qui seraient équivalentes à des électrons en collision avec un centre diffusant le tout sur une ligne. On peut penser à une version en miniature d'un gaz avec des particules en collision ou des moléculesmolécules d'une goutte d'encre dans de l'eau.

    Le système quantique sur ordinateurordinateur va lui aussi évoluer comme si les particules se diffusaient de manière similaire mais les chercheurs ont montré qu'ils pouvaient utiliser un algorithme quantique qui ramenait rigoureusement l'ordinateur quantiqueordinateur quantique et le système modélisé à son état initial dans 85 % des cas avec deux qubits et 50 % des cas avec trois qubits.

    C'est donc un peu comme si l'on avait violé le second principe de la thermodynamique mais, plus exactement, on a fait l'équivalent d'un renversement de l'évolution dans le temps d'un système quantique.

    C'est un résultat intéressant pour mieux comprendre l'origine de la flèche du temps à partir de la mécanique quantique mais c'est probablement surtout un résultat qui pourrait être utile pour lutter contre la décohérence qui dégrade les calculs avec les ordinateurs quantiques. Moins sérieusement, si l'on croit que l'UniversUnivers est une sorte d'ordinateur quantique, voilà de quoi renouveler la fameuse nouvelle d'Isaac AsimovIsaac Asimov : The last question.


    Le second principe ébranlé par la mécanique quantique ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 04/06/2008

    Peut-on violer le second principe de la thermodynamique ? Cette question, lancinante pour l'ordinateur Multivac dans la nouvelle d'Isaac Asimov The last question, a peut-être une réponse positive si l'on en croit des chercheurs de l'Institut Weizmann en Israël. Il suffirait de faire intervenir les formules magiques de la mécanique quantique.

    Le second principe de la thermodynamique est l'un des piliers les plus solidessolides de la physique. C'est d'ailleurs sur celui-ci qu'Albert EinsteinEinstein s'est appuyé pour démontrer l'existence des quanta de lumièrelumière et encore grâce à lui que Stephen HawkingStephen Hawking a découvert le rayonnement des trous noirstrous noirs. Ce principe a une conséquence désagréable, comme l'avait bien compris l'un de ses découvreurs, Rudolf Clausius. Appliqué à un système isolé, comme l'est peut-être l'Univers, il conduit celui-ci à la mort thermique, une décrépitude totale et irréversible.

    Ce grand principe peut cependant s'énoncer d'une façon étonnamment simple : « la chaleur ne passe pas spontanément d'un corps froid à un corps chaud ». C'est donc un principe d'évolution qui fixe le sens des transformations de la nature. Il ne fait que traduire un ensemble d'observations toutes simples. Ainsi, un glaçon jeté dans un verre d'eau chaude ne se refroidit pas et une tasse brisée ne se recolle pas d'elle-même.

    On sait pourtant que dans le monde quantique rien ne se passe comme nous le suggère notre intuition. Les particules se comportent parfois comme des ondes et inversement les mursmurs les plus hauts et les plus épais sont franchissables par effet tunneleffet tunnel. Rien n'y est complètement déterminé, à part l'évolution de lois de probabilités concernant l'observation d'une valeur donnée d'une grandeur physique.

    Or, ce sont les lois de la mécanique quantique qui sont en dernier ressort à la base du monde classique où opère le second principe de la thermodynamique. On peut donc légitimement se demander si celui-ci n'est pas qu'une approximation, certes prodigieusement efficace, mais que les lois de la mécanique quantique sont capables de violer quand bon leur semble au niveau atomique.

    Jusqu'à présent, ce crime de lèse-second principe n'a jamais été observé. Mais la situation pourrait évoluer après la publication d'une théorie dans Nature par Kurizki Gershon, Noam Erez et Goren Gordon de l'Institut Weizmann, en collaboration avec Mathias Nest de l'Université de Potsdam, en Allemagne.

    Ces chercheurs mettent à contribution un effet étonnant en mécanique quantique connu sous le non d'effet Zénon. De quoi s'agit-il ?

    En mécanique quantique, l'observateur, qu'il soit un être humain ou un instrument de mesure, joue un rôle fondamental. Selon l'interprétation standard de la théorie quantique, on ne peut parler de l'existence réelle de certains attributs d'un système quantique sans faire intervenir l'acte de mesure pour l'observer. En soi, une particule de matièrematière quantique n'existe pas comme un objet localisé de façon constante dans l'espace et dans le temps. C'est l'interaction avec un système physique classique en un endroit et un temps donnés qui peut l'amener à se manifester comme un objet classique semblable à une boule de billard.

     

    Un système quantique influencé par l'observation

    Un système quantique, comme un atome couplé à un champ électromagnétique ou une particule élémentaireparticule élémentaire couplée aux interactions faiblesinteractions faibles, peut dans le premier cas se désexciter pour émettre des photonsphotons ou, dans le second, d'autres particules, comme des muonsmuons et des neutrinosneutrinos s'il s'agit d'un pion. Le couplage à un champ joue d'une certaine façon le rôle d'une mesure et force le système à évoluer.

    L'effet Zénon est un effet inverse où l'observation répétée d'un système quantique par un appareil de mesure bloque son évolution ! Dans les deux exemples précédents, à force de regarder un atome ou un pion pour en détecter les émissionsémissions de particules, on les empêche de le faire !

    Dans le cas examiné par les quatre chercheurs, on considère un système quantique échangeant de la chaleur avec un réservoir d'énergieénergie. Il se trouve que d'après leurs équations obéissant aux lois de la mécanique quantique, selon la fréquencefréquence des observations effectuées pour déterminer si oui ou non il y a échange de chaleur, celui-ci peut effectivement se produire mais dans un sens violant le second principe ! Plus précisément, ce phénomène est une interprétation possible des conséquences de ces équations.

    Les chercheurs sont cependant prudents. Après tout, en son temps, Maxwell pensait lui aussi avoir trouvé un moyen de contourner le second principe avec son démon. Les analyses plus profondes de Léo Zsilard montrèrent par la suite qu'il n'en était rien.

    Il semble beaucoup plus sûr que le procédé théorisé par les chercheurs devrait permettre de contrôler à volonté des échanges très rapides de chaleur entre des systèmes atomiques et moléculaires, une possibilité qui certainement aura des applicationsapplications en nanotechnologienanotechnologie.