La matière noire est-elle éternelle ? Pas nécessairement si l’on en croit certains théoriciens célèbres comme Savas Dimopoulos de l’Université de Stanford. Dans le cadre de certaines théories supersymétriques expliquant la nature des particules de matière noire, Dimopoulos et ses collègues montrent qu'elles pourraient se désintégrer. Des traces de ce processus seraient observables en cosmologie et au LHC.

au sommaire


    Trois voies seraient ouvertes pour tester indirectement certaines GUT. Des observations dans le rayonnement cosmique, en cosmologie et enfin en accélérateur selon Asimina Arvanitaki et ses collègues. Crédit : Alan Stonebraker

    Trois voies seraient ouvertes pour tester indirectement certaines GUT. Des observations dans le rayonnement cosmique, en cosmologie et enfin en accélérateur selon Asimina Arvanitaki et ses collègues. Crédit : Alan Stonebraker

    Pas plus que les diamants, les montagnes et les continents, les particules de matière ne pourraient exister éternellement dans un Univers en constante évolution. Déjà, au cours des années 1970, en cherchant à unifier la force électrofaible avec la force nucléaire forte décrite par les équations de la chromodynamique quantique, la QCD, certains physiciensphysiciens, dont Gérard 't Hooft, en étaient arrivés à la conclusion que le protonproton pouvait être instable. La prédiction la plus précise sur ce phénomène venait de la Théorie de Grande Unification (GUTGUT) dite SU(5) proposée par Howard Georgi.

    Basée sur un seul groupe de Lie, cette GUT, l'une des plus simples possible, expliquait et unifiait naturellement et de façon simple les forces électromagnétique et nucléaires fortes et faibles. En bonus, elle prévoyait à haute température dans l'Univers primordial des violations de la conservation du nombre baryonique, expliquant pourquoi la matière était prédominante sur l'antimatièreantimatière dans le cosmoscosmos actuel.

    Malheureusement, l'énergieénergie qu'il fallait atteindre en accélérateur pour tester directement la théorie SU(5) était si élevée, de l'ordre de 1015 à 1016 GeVGeV, qu'il fallait renoncer à tout espoir de créer les nouvelles particules que la théorie prédisait. En revanche, elle prévoyait effectivement que les protons, et les neutronsneutrons dans les noyaux, avaient un temps de vie moyen de l'ordre de 1031 secondes au maximum. Il suffisait de prendre un gros bloc de métalmétal pauvre en éléments radioactifs et de l'observer dans les profondeurs de la Terre, bien à l'abri du rayonnement cosmique, pour que chaque année quelques protons se désintègrent à la manière d'un atomeatome radioactif avec une signature bien observable.

    On savait déjà que les protons devaient exister plus de 1017 ans en moyenne, sans quoi, comme l'avait fait remarquer le grand physicien Maurice Goldhaber, « nous le sentirions dans nos os ». En effet, notre corps s'irradierait lui-même de façon mortelle tant la matière la plus ordinaire serait radioactive.

    Malheureusement, au grand désespoir de Georgi, les expériences de chasse à la désintégration du proton montrèrent que ce dernier devait avoir un temps de vie supérieur à 1032 ans, en contradiction absolue avec sa théorie.

    Howard Georgi. Crédit : physicsworld

    Howard Georgi. Crédit : physicsworld

    Si la matière noire se désintègre, elle se dévoile !

    Tout n'était pas perdu... Avec Savas Dimopoulos, il proposa une extension des GUT basée sur l'emploi des théories de supersymétriesupersymétrie dont Julius Wess avait été l'un des pionniers. En associant à chaque particule un partenaire supersymétrique plus lourd, il devenait possible, tout en conservant l'essentiel de la théorie SU(5) si séduisante, de rendre le temps de vie moyen du proton plus long.

    L'emploi de la supersymétrie conduit aussi à un bonus. Cette théorie prédit l'existence de particules neutres supplémentaires, stables, qui ont les bonnes propriétés pour une candidate idéale au statut de particule de matière noirematière noire.

    Depuis quelque temps déjà, les théoriciens se demandent si les particules de matière noire sont stables ou si elles sont capables de se désintégrer. La raison en est simple. Si elles possèdent ce qu'on appelle des canaux de désintégrations, elles pourraient signaler leur présence dans l'Univers sous forme d'un excès de photonsphotons gamma, d'électronsélectrons, de positronspositrons ou de neutrinosneutrinos très énergétiques, inexplicable par les processus astrophysiquesastrophysiques standards.

    Ce sont peut-être d'ailleurs de tels signaux que viennent d'observer des satellites comme Pamela et Atic.

    Savas Dimopoulos. Crédit : <em>Stanford University</em>

    Savas Dimopoulos. Crédit : Stanford University

    Récemment, Asimina Arvanitaki de l'Université de Berkeley, vient de proposer avec ses collègues et son ancien directeur de thèse, qui n'est autre que Dimopoulos, que certaines des particules des GUT supersymétriques n'étaient en fait pas stables. En relâchant légèrement certaines des hypothèses de ces théories, on pouvait aboutir à l'existence de particules de matière noire supersymétriques se désintégrant en 1019 ans environ.

    En plus de conduire à des conséquences testables dans un avenir proche à l'aide du LHCLHC, ou l'étude des rayons cosmiquesrayons cosmiques avec des satellites en orbiteorbite, leur théorie est en mesure de donner une explication à certaines anomaliesanomalies légères qui tracassent les astrophysiciensastrophysiciens nucléaires depuis quelques décennies.

    Selon la théorie du Big BangBig Bang, les noyaux légers composant notre Univers observables sont le produit des processus de nucléosynthèsenucléosynthèse s'étant déroulés en quelques minutes au début de l'histoire du cosmos observable. La théorie est en très bon accord avec les observations... sauf pour les noyaux de lithiumlithium 6 et de lithium 7.

    Or on sait que les processus de nucléosynthèse primordiaux sont assez sensibles à la présence, en plus des particules de matière normale, à des particules de matière noire. Un bon exemple en est le cas du gravitinogravitino, le fermionfermion partenaire supersymétrique du graviton, le « photon » du champ de gravitationgravitation, dans le cadre des théories de supergravité.

    Si l'on n'y prend garde, le gravitino peut être produit en très grande quantité dans les modèles cosmologiques issus de la supergravitésupergravité. L'une des manières d'expliquer sa faible abondance aujourd'hui, dans l'hypothèse où la supergravité soit bien réelle, serait de les faire se désintégrer. Malheureusement, les produits de désintégrations des gravitinos sont potentiellement un désastre pour les calculs de la nucléosynthèse primordiale. La situation semble plus favorable dans le cas de la théorie considérée par Arvanitaki et ses collègues.

    Il se pourrait donc bien que dans un avenir proche, malgré l'impossibilité de tester directement des GUT, la conjonctionsconjonctions des observations indirectes en accélérateur, dans le rayonnement cosmique et dans les abondances des noyaux dans les étoilesétoiles nous donne la preuve tant attendue que la Nature est bel et bien décrite par une théorie de Grande Unification, fût-elle supersymétrique.