Le Cern ne chasse pas les particules de matière noire uniquement en faisant collisionner des faisceaux de protons produits par le LHC dans ses détecteurs géants. Il dispose aussi d'une sorte de télescope permettant de traquer un type particulier de matière noire que pourrait produire le Soleil ou qui pourrait se trouver dans le halo où baigne notre Galaxie. Un nouveau bilan de cette chasse avec ce que l'on appelle des axions vient d'être publié.


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    Le modèle cosmologique standard expliquant la formation des galaxies et des grandes structures qui les rassemble, et plus encore le rayonnement fossile du Big BangBig Bang, nécessite encore largement, pour être compris, l'existence de nouvelles particules encore jamais vues directement dans les laboratoires sur Terre.

    Il existe plusieurs théories possibles au-delà du modèle standard de la physique des particules connues qui contiennent naturellement des particules de matière noirematière noire, particules qui n'interagissent avec la matière normale que par la force de gravitationforce de gravitation essentiellement, et absolument pas, ou très peu, avec la lumièrelumière. On a pensé un temps que les neutrinosneutrinos connus pouvaient faire l'affaire, car neutres justement et sensibles tout au plus à la gravitation et à la force nucléaire faibleforce nucléaire faible, mais ils sont tout à la fois bien trop légers et trop peu nombreux (bien plus que les photonsphotons du rayonnement fossile) pour jouer le rôle attendu des particules de matière noire.

    Les théoriciens avaient beaucoup d'espoir avec les théories dites supersymétriques qui contenaient des particules lourdes pouvant idéalement convenir. Les variantes les plus crédibles de ces théories ont malheureusement été en très grande partie réfutées par les expériences menées au CernCern avec le LHC depuis une décennie, sauf à leur donner des caractéristiques en massemasse et en capacité à interagir avec la matière normale très particulière, dans un recoin de l'espace des paramètres possibles attribuables aux particules de ces théories.

    Après les théories supersymétriques, les théoriciens envisageaient en second lieu des particules très légères et moins exotiquesexotiques que l'on appelle des axionsaxions. Ces particules doivent notamment être produites en grand nombre aussi bien par la fournaise du Big Bang que par celle du cœur du SoleilSoleil, et c'est pour cette raison que le Cern conduit de recherches depuis des années avec CastCast (télescopetélescope pour les axions solaires du Cern).


    Pierre Brun est physicien des particules à l’Irfu et travaille à la frontière entre la physique des particules et la cosmologie. Il s’intéresse à une théorie qui postule l’existence d’une particule dénommée « axion », qui résoudrait certains problèmes liés à la violation de symétrie dans les lois de la physique de l’interaction forte. Neutre et léger, et interagissant très faiblement avec la matière, l'axion a toutes les caractéristiques pour être une particule de matière noire. © CEA Sciences

    Des particules converties en rayons X dans des champs magnétiques

    L'instrument contient des aimantsaimants supraconducteurssupraconducteurs refroidis à basses températures pour produire un puissant champ magnétiquechamp magnétique. La théorie des axions prédit que, dans un tel champ, une partie des axions peut se convertir en rayons Xrayons X (le processus inverse est aussi possible) selon une variante de ce qui est connu en physique nucléaire avec les mésonsmésons pipi, les pions, sous le nom d'effet Primakoff.

    Là aussi, la masse des axions et leur probabilité de se convertir en photons X dans un champ magnétique sont inconnues et il faut donc explorer méthodiquement l'espace de ces paramètres pour en exclure certaines régions.

    Les membres de la collaboration s'occupant de Cast ont joué à ce jeu en pointant leur instrument en direction du Soleil mais comme ils l'expliquent dans un récent article paru dans Nature Communications, ils ont pu modifier le télescope à axions pour chasser directement ceux du Big Bang qui doivent se trouver, s'ils existent, dans un halo quasi sphérique de matière noire dans lequel baignerait la Voie lactéeVoie lactée.

    Un communiqué du Cern explique ce que les physiciensphysiciens ont fait : « Pour sa nouvelle étude, l'équipe Cast a installé un résonateur, composé de quatre cavités, à l'intérieur de l'un des deux tubes de l'aimant de l'expérience, pour constituer un détecteur d'axions qui cherche cette fois des axions dans le "halo" de matière noire de la Voie lactée ; ce haloscope à axions a été nommé Cast-Capp.

    Dans un fort champ magnétique, comme celui fourni par l'aimant de l'expérience Cast, les axions devraient se transformer en photons. Un résonateur de haloscope à axions est en quelque sorte une radioradio que les chercheurs peuvent régler afin de trouver la fréquencefréquence de ces photons issus d'axions. Cependant, comme la fréquence du "poste de radio" des axions est inconnue, les scientifiques doivent balayer lentement une plage de fréquences pour tenter d'identifier la fréquence du signal émis par les axions ».

    Aucun signal pouvant trahir les axions n'a été enregistré dans la plage explorée pendant 4 124 heures, du 12 septembre 2019 au 21 juin 2021, avec des fréquences entre 4,774 et 5,434 GHz, ce qui correspond à des axions dont la masse est comprise entre 19,74 et 22,47 microélectronvolts. Rappelons que la masse d'un protonproton est d'environ un gigaélectronvoltgigaélectronvolt.

    Si les axions existent, on en sait au moins un peu plus maintenant sur ce qu'ils NE sont PAS, et la chasse va donc continuer.


    Tout, tout, tout sur les axions. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time

    De la matière noire pour résoudre une énigme des forces nucléaires fortes

    Rappelons pour terminer quelques explications supplémentaires déjà données par Futura au sujet de la théorie derrière ces particules hypothétiques et les raisons de leur introduction.

    Le modèle standard des particules élémentairesparticules élémentaires prédit une valeur très faible du moment électrique dipolaire de l'électronélectron (l'équivalent du moment magnétiquemoment magnétique d'une barre aimantée avec deux pôles magnétiquespôles magnétiques mais avec deux charges électriques opposées), si menue qu'elle n'est pas encore à la portée des expériences destinées à la mesurer. Certaines théories, au-delà du modèle standard, prédisent en revanche une valeur plus importante, et c'est pourquoi la quête de la mesure du moment électrique dipolaire de l'électron est une voie de recherche possible pour découvrir de la nouvelle physique.

    À l'inverse, le modèle standard, plus précisément les équationséquations de la QCD, la théorie des forces nucléaires fortes, autorise une valeur très élevée pour le moment dipolaire du neutron, en contradiction avec les expériences qui ne lui en attribuent aucune. L'explication la plus couramment admise aujourd'hui fait de nouveau intervenir de la nouvelle physique.

    Américaine d'origine australienne, Helen Quinn, née en 1943, est une physicienne des particules dont les contributions à la recherche d'une théorie unifiée pour les trois types d'interactions de particules ont été reconnues par plusieurs distinctions, dont la médaille Dirac. Elle est surtout célèbre pour ses travaux concernant la chromodynamique quantique, la QCD. © Dan Quinn
    Américaine d'origine australienne, Helen Quinn, née en 1943, est une physicienne des particules dont les contributions à la recherche d'une théorie unifiée pour les trois types d'interactions de particules ont été reconnues par plusieurs distinctions, dont la médaille Dirac. Elle est surtout célèbre pour ses travaux concernant la chromodynamique quantique, la QCD. © Dan Quinn

    En 1977, Roberto Peccei et Helen Quinn ont émis l'hypothèse que le terme, dans les équations du modèle standard, responsable de l'apparition d'un moment dipolairemoment dipolaire pour le neutronneutron, était éliminé par l'existence d'un nouveau champ scalaire (un cousin de celui du bosonboson de Brout-Englert-Higgs) en facteur devant ce terme, car la valeur de ce champ après le Big Bang serait devenue nulle. Ce terme était aussi responsable de phénomènes violant la symétrie CP dans le cadre de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique qui, là non plus, n'étaient pas observés expérimentalement. Comme ces deux prédictions fausses du modèle standard « entachaient » celui-ci, le prix Nobel de physique Frank Wilczek a donné le nom d'axion à la particule associée au champ scalaire de Peccei et Quinn, en référence à une marque de lessive.


    La matière noire chassée grâce à un alignement Terre-Soleil-trou noir supermassif

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 22 décembre 2016

    Les physiciens du Cern chassent les particules de matière noire nommées axions autrement qu'avec le LHCLHC en profitant d'un alignement astronomique annuel du Soleil, de la Terre et de Sagittarius A*Sagittarius A*, le trou supermassif au centre de notre Voie lactée. Ils ont même profité de l'occasion pour chercher d'autres particules, liées à l'énergie noireénergie noire.

    Alors que Ligo est reparti à la chasse aux ondes gravitationnellesondes gravitationnelles produites par la fusionfusion de trous noirs stellairestrous noirs stellaires ou aux collisions d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons, le « Télescope solaire à axions » du Cern (Cast) est, lui, parti à la chasse à la matière noire et à l'énergie noire en profitant d'un événement astronomique survenu le 18 décembre 2016. À cette date, la Terre, le Soleil et le trou noir supermassiftrou noir supermassif central de notre Voie lactée sont alignés et on peut alors bénéficier d'une prédiction de la théorie de la relativité généralerelativité générale d'EinsteinEinstein : l'effet de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle.

    Parmi les candidats les plus sérieux au titre de particules de matière noire figure l'axion. Ces dernières années, l'existence de particules cousines, pouvant quant à elles expliquer la nature de l'énergie noire, a également été proposée par les spécialistes des astroparticulesastroparticules. Ils les ont appelées particules caméléons. Axions et caméléons sont susceptibles de se manifester via un équivalent de l'effet Primakoff (voir l'article ci-dessous). Ces particules peuvent naître à partir de photons dans un champ magnétique et, inversement, s'y désintégrer en donnant de la lumière.


    Vidéo en accéléré du télescope Cast suivant la course du Soleil le matin et le soir. © Madalin-Mihai Rosu/Cern

    Une lentille gravitationnelle qui amplifie un milliard de fois

    Les axions et les caméléons, s'ils existent, pourraient être produits en grandes quantités dans l'environnement des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs comme Sagittarius A*, au centre de notre Galaxie. Les calculs montrent que notre Soleil, avec son champ de gravitégravité, pourrait agir comme une loupe, concentrant et amplifiant un milliard de fois le flux d'axions ou de caméléons en provenance de cet astreastre compact. Lors d'un tel alignement, un instrument comme Cast devrait donc les détecter. Mais la mesure n'est pas si facile car le Soleil est déjà censé produire des axions et c'est justement ce flux que doit mesurer Cast. Il faut donc trouver une caractéristique permettant de distinguer les deux sources.

    La logique de la détection reste à peu de chose près la même. Cast est en effet un prototype des aimants dipolaires développés à l'origine pour le LHC. Dans son champ magnétique, le flux hypothétique d'axions ou de caméléons amplifié par le Soleil devrait produire un flux de rayons X bien caractéristique lui aussi. Les chercheurs se sont également proposés de tenter de détecter l'interaction directe des particules caméléons avec la matière. L'entreprise est difficile car les forces exercées sont très faibles et c'est pourquoi il a fallu construire un détecteur spécial, un capteurcapteur de force optomécanique baptisé KWISP (pour Kinetic Weakly Interacting Slim Particle detector).

    L'expérience Cast a commencé à analyser les données récoltées le 18 décembre. Les premiers résultats suggèrent toutefois que les chercheurs ne sont pas parvenus à observer de nouvelles particules provenant du trou noir. L'équipe va maintenant commencer à se préparer pour l'alignement de l'année prochaine, qui comprendra aussi la LuneLune.

    Selon Konstantin Zioutas, porteporte-parole de l'expérience, « l'expérience s'est très bien déroulée et les discussions à propos des premières données en ligne ont déjà commencé ». Il semble toutefois que les premiers résultats soient négatifs. Les chercheurs ne sont pas découragés pour autant et lors d'un prochain alignement en 2017, la Lune devrait aussi entrer dans la danse.


    Observer les quasars à travers le Soleil !

    Article de Laurent Sacco publié le 23/06/2007

    Malcolm Fairbairn, un physicien du CERN, vient de proposer d'observer la lumière en provenance des quasarsquasars... à travers le Soleil ! Ni lui ni ses collègues Russe et Allemand n'ont perdu la tête en publiant un article dans lequel ils étudient la possibilité de détecter des rayons gammarayons gamma, très énergétiques, à travers le Soleil avec l'aide du satellite Fermi. Notre étoile pourrait en effet être transparente pour ce type de rayonnement, si l'hypothétique particule proposée par le Prix Nobel Franck Wilczek, l'axion, fait bien partie du zoo des particules élémentaires.

    Rappelons que l'axion est une particule très légère, se couplant faiblement avec la matière, qui a été proposée dans les années 70 pour résoudre certains problèmes phénoménologiques dans la théorie des interactions fortesinteractions fortes, la QCD. C'est un bon candidat au titre de composante importante de la matière noire, mais ses implications dans les domaines des astroparticules sont aussi nombreuses. Les scientifiques sont partis à sa chasse depuis longtemps déjà et notre Soleil lui-même devrait en produire de façon importante.

    Lorsqu'un champ magnétique est suffisamment fort, un photon assez énergétique peut être converti en axion et inversement. Une idée proposée pour les produire et les détecter est d'envoyer un rayon laserlaser dans une zone où règne un fort champ magnétique juste devant un murmur. Une partie des photons se changerait alors en axions qui, du fait de leur faible couplage avec la matière, traverseront le mur sans aucun problème pour pénétrer juste après dans une seconde région possédant, elle aussi, un champ magnétique intense. Un processus de conversion inverse se produirait et le laser éclairerait donc une zone située derrière le mur !

    Plus généralement, un faisceau laser passant dans un champ magnétique verrait certaines de ses caractéristiques altérées. Ainsi, dans le cadre de l'expérience PVLASPVLAS en Italie, une modification de la polarisation des photons émis par une source laser a été détectée. Cette expérience est en accord avec les prédictions donnant une certaine constante de couplage de l'axion avec le champ électromagnétiquechamp électromagnétique. Le problème est que, si l'on admet bien l'existence de cette particule avec ce couplage, on entre en conflit avec les données sur la matière noire. Si cette dernière était vraiment composée de cette particule, elle se couplerait avec la matière ordinaire beaucoup plus fortement que ce qui est observé. Pire, le télescope à axions Cast, du Cern, aurait dû détecter ceux en provenance du Soleil depuis longtemps !

    L'effet Primakoff de conversion d'un photon en pion dans le champ électromagnétique d'un noyau suivie de la désintégration du pion neutre en deux photons. Un processus similaire existe avec le même nom et où l'axion remplace le pion. © David Lawrence
    L'effet Primakoff de conversion d'un photon en pion dans le champ électromagnétique d'un noyau suivie de la désintégration du pion neutre en deux photons. Un processus similaire existe avec le même nom et où l'axion remplace le pion. © David Lawrence

    Le principe de l'expérience est le même que celui indiqué précédemment. Il y a 15 ans, à Brookhaven, le physicien Pierre Sikivie avait déjà proposé d'utiliser l'effet Primakoff de conversion des photons en axions, par diffusiondiffusion dans le champ magnétique du plasma solaire, en sens inverse. Dans le cadre d'une expérience terrestre utilisant le champ magnétique produit par un électro-aimant puissant, des photons X seraient produits à partir des axions solaires. Rien n'a été observé par Fermi, en contradiction avec le taux de conversion prédit à partir des données de PVLAS. Donc, une des expériences est probablement fausse dans l'hypothèse où les axions soient bien une réalité.

    Un moyen de trancher est alors d'observer les photons gamma très énergétiques en provenance d'un quasar situé à 4 milliards d'années-lumièreannées-lumière du Soleil, 3C279. En pénétrant à l'intérieur du Soleil ces photons seront convertis en partie en axions qui pourront traverser notre étoile et se retransformer en photons gamma à sa sortie. Lors de l'occultationoccultation de ce quasar par le Soleil, quelques photons gamma, que le Soleil produit rarement de façon énergétique, pourront alors être détectés par le satellite Fermi qui sera bientôt lancé.

    Malcolm Fairbairn a déjà effectué ce test à partir des données concernant 3C279 enregistrées en 1991 par EGRET. Malheureusement, celles-ci sont trop pauvres pour aboutir à une conclusion dans un sens ou un autre. Le prochain alignement entre la Terre, le Soleil et 3C279 est prévu pour Octobre 2007.

    Fermi sera encore au sol mais les télescopes à rayons gamma en orbiteorbite seront peut être suffisamment sensibles pour aboutir à une conclusion ferme. A moins que l'expérience ALPS, du laboratoire DESY à Hambourg et conçue pour vérifier PVLAS, ne tranche déjà la question pendant cet été !

    Images de galaxies avec un quasar en leur centre. © Nasa
    Images de galaxies avec un quasar en leur centre. © Nasa