Avec deux lasers ultra-rapides et une instrumentation des plus complexe, une équipe allemande a réussi à suivre deux noyaux de deutérium en train de se séparer. Sous l'œil de cet instrument, des effets purement quantiques sont devenus visibles.

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    Un phénomène quantique enfin visible ! De gauche à droite, on suit l'éloignement d'un noyau de deutérium. À cette échelle, il se comporte comme une onde, plus précisément un paquet d'ondes. Après environ 100 femtosecondes, ce paquet, bien visible à gauche

    Un phénomène quantique enfin visible ! De gauche à droite, on suit l'éloignement d'un noyau de deutérium. À cette échelle, il se comporte comme une onde, plus précisément un paquet d'ondes. Après environ 100 femtosecondes, ce paquet, bien visible à gauche

    C'est le court-métrage le moins long de l'histoire : à peine un millième de milliardième de seconde ! Quant au scénario, il est si poignant que l'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Il raconte l'histoire de deux noyaux de deutérium (un isotope lourd de l'hydrogène, avec un neutron collé au proton) qui vivaient tranquillement leur vie au cœur d'une molécule, entourés de leur douillet nuagenuage d'électronsélectrons.

    Mais sous l'effet d'un méchant coup de laserlaser, un des électrons est éjecté et la molécule s'en trouve ionisée et déstabilisée. Les noyaux se mettent à tourner sur eux-mêmes et à osciller, s'éloignant et se rapprochant, comme s'ils se trouvaient à l'extrémité d'un ressort que l'on aurait tendu puis relâché. Du tendre slow, ils passent à un dangereux rock'n'roll.

    Leurs mésaventures ne s'arrêtent pas là. Un autre coup de laser les touche en pleine danse endiablée et fait fuir leur second - et dernier - électron. Cette fois, le nuage négatif qui les tenait l'un contre l'autre a complètement disparu et le couple, littéralement, explose. Les deux noyaux, positifs, se repoussent brutalement et disparaissent dans deux directions opposées.

    Ces deux coups de laser diaboliques ont été tirés au Max PlanckMax Planck Institute, à Heidelberg, en Allemagne, par une équipe de physiciensphysiciens dont le but, justement, était de filmer l'intimité de cette séparationséparation. En elle-même, l'expérience est un petit exploit. Les impulsions laser doivent être extrêmement courtes, entre 6 et 7 femtosecondesfemtosecondes (10-15 seconde). Durant ce laps de temps, la lumièrelumière, dans le vide, ne parcourt que deux millièmes de millimètre. Mais le plus difficile à obtenir est la duréedurée entre deux tirs : 0,3 femtoseconde...

    L'une des mesures obtenues par les scientifiques après un double tir de laser. À chaque point de ce diagramme correspond un angle entre l'axe de la molécule et la polarisation du laser (abscisse) et un paramètre lié à la distance entre les noyaux (ordonnées). La zone rouge correspond aux observations les plus fréquentes. Avec un grand nombre de tels diagrammes, les scientifiques ont construit leur film. Crédit : Max Planck Institute for Nuclear Physics

    L'une des mesures obtenues par les scientifiques après un double tir de laser. À chaque point de ce diagramme correspond un angle entre l'axe de la molécule et la polarisation du laser (abscisse) et un paramètre lié à la distance entre les noyaux (ordonnées). La zone rouge correspond aux observations les plus fréquentes. Avec un grand nombre de tels diagrammes, les scientifiques ont construit leur film. Crédit : Max Planck Institute for Nuclear Physics

    Paparazzi en embuscade

    Quelle information en tirer ? La séparation elle-même est instructive : plus les noyaux étaient proches à l'instant du second tir, plus l'explosion de la séparation est violente. Or, l'équipe a déjà mis au point un instrument capable de mesurer l'énergieénergie dégagée. En recommençant l'expérience, on saisit la séparation à différents moments, ce qui a permis aux chercheurs de réaliser une succession d'images montrant l'éloignement des deux noyaux de deutérium comme s'il avait été filmé au ralenti.

    L'utilisation de lasers femtoseconde pour aller traquer l'intimité des molécules ou des noyaux atomiques n'est pas une nouveauté. Il s'agit même d'un domaine prisé où se succèdent de nombreux travaux. L'originalité de celui-ci est d'avoir véritablement visualisé des phénomènes quantiques.

    En effet, les noyaux vibrant et en rotation se comportent, dans l'universunivers des quanta, comme des paquetspaquets d'onde et non comme des particules solidessolides. Et ce sont eux qui apparaissent sur les images réalisées par l'équipe du Max Planck Institute. On distingue un étalement de ces paquets d'onde à peu près 100 femtosecondes après la séparation. Les physiciens parlent de délocalisation de la particule. Puis, à environ 400 femtosecondes, ces paquets se reforment. On comprend que les théoriciens se jetteront sur le film ci-dessus comme l'ont fait les fans de Stars Wars sur le dernier épisode de la série...