Pourra-t-on bientôt conduire l'électricité à travers les continents sans aucune perte ou disposer d'un IRM « chez soi » pour détecter le tout début d'un cancer ou d'un autre problème de santé ? Il faudrait pour cela disposer de matériaux supraconducteurs à température et pression ambiante. Une équipe états-unienne pense être quasiment arrivée à en trouver un, ce qui fait se lever un nouvel espoir, mais aussi des controverses dans la communauté scientifique.

Le 8 avril 1911, le Hollandais Heike Kamerlingh Onnes mesurait avec son assistant Gilles Holst la résistance électriquerésistance électrique du mercuremercure refroidi par de l'hélium liquideliquide. Ce jour-là, ils découvrent la supraconductivitésupraconductivité en observant qu'à 4,2 kelvins la résistivité du mercure est nulle.

Ce phénomène étonnant, que l'on allait rapidement retrouver avec des températures similaires pour plusieurs matériaux, va dès lors passionner des générations entières de chercheurs et des théoriciens de premier calibre qui s'attaqueront à sa compréhension comme Lev Landau et Vitaly Ginzburg en Russie, Pierre-Gilles de Gennes en France et bien sûr John Bardeen, Leon Cooper et John Robert Schrieffer aux États-Unis. Ces trois chercheurs, en proposant en 1957 la théorie BCS, ont réussi à expliquer le phénomène découvert par Onnes (à savoir l'apparition d'une transition de phase en dessous d'une certaine température dite critique conduisant à l'annihilation de la résistance d'un matériaumatériau) en utilisant les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique.


Des explications sur le phénomène de supraconductivité et son importance pour une révolution technologique. © CEA Recherche

Des matériaux avec des superpouvoirs

De nos jours, les supraconducteurssupraconducteurs sont présents dans de nombreux domaines. On peut citer l'électronique, l'imagerie médicale, les aimantsaimants du LHCLHC, les SquidsSquids, des capteurscapteurs magnétiques ultrasensibles et même des tokamaks pour étudier la fusion contrôléefusion contrôlée. Mais il faut les refroidir avec de l'azoteazote et même de l'héliumhélium liquide, ce qui n'est pas pratique et coûteux. Certains supraconducteurs en laboratoire exigent aussi en plus des conditions de pressionpression extrême.

Or, depuis la découverte en 1986 par les prix Nobel de physiquephysique Georg Bednorz et Alex Müller, alors chercheurs à IBMIBM, qu'il existe des matériaux devenant supraconducteurs à haute température, c'est-à-dire plusieurs dizaines de kelvins voire un peu plus, c'est la course pour créer des matériaux qui le seraient à température et pression ambiante. Mais sans succès...

Pourtant, les enjeux sont considérables puisque de tels matériaux, si en plus ils étaient faciles et peu coûteux à synthétiser, conduiraient à des révolutions technologiques de l'imagerie médicale aux transports en commun avec des maglevs, en passant par la fusion contrôlée.

On peut penser que pour vraiment avancer, il faudrait comprendre pourquoi les cupratescuprates utilisés par les deux prix Nobel, des sortes de céramiquescéramiques composées de couches d'oxyde de cuivrecuivre en sandwich entre d'autres éléments, peuvent être supraconducteurs à des dizaines de kelvins.

Voilà pourtant longtemps que l'on sait expliquer la supraconductivité plus classique de matériaux comme le mercure et le plombplomb. Le phénomène fait intervenir dans la théorie BCS la formation de paires de Cooper, formées de deux électronsélectrons, comme l'explique la vidéo du CEA ci-dessous, du fait des interactions de ces particules avec les phononsphonons du réseau cristallinréseau cristallin.

Rien de similaire n'existe pour les supraconducteurs à haute température critique. On sait seulement... qu'ils n'entrent pas dans le cas de la théorie BCS.

On comprend donc pourquoi l'attention se focalise en ce moment sur un article paru dans Nature et provenant d'une équipe de physiciensphysiciens de l'université de Rochester menée par Ranga Dias et qui fait savoir qu'elle pensait avoir observé dans un composé l'occurrence d'un état supraconducteur vers seulement 20 °C et à pression, selon leurs propres mots, presque ambiante.


Une présentation de la découverte que pensent avoir faite Dias et ses collègues. Les pressions nécessaires sont élevées mais ne nécessitent plus des enclumes de diamant. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © University of Rochester

Un supraconducteur à 20 °C mais 10 000 bars

Le célèbre Quanta Magazine consacre un article entier à cette découverte ou plus précisément peut-être à la controverse à son sujet. Il faut dire que la pression presque ambiante évoquée par les chercheurs est tout de même d'environ 10 000 fois la pression atmosphériquepression atmosphérique et qu'ils n'en sont pas à leur première affirmation dans le genre, de quoi avoir des doutes légitimes déjà pour ces raisons.

De plus, une précédente publication dans Nature des mêmes chercheurs et à propos d'une percée, là aussi avec un supraconducteur, avait dû être retirée en 2022. Futura avait consacré en 2020 un article à ce qui semblait donc être une découverte prometteuse avec un composé à base de sulfure d'hydrogène, déjà par l'équipe de Ranga Dias.

Espérons que cette fois-ci l'histoire va être différente, même si nous n'en sommes pas encore à un vrai matériau supraconducteur dans les conditions de la vie de tous les jours. Un communiqué de l'université de Rochester donne des détails sur cette découverte, détails que nous reprenons.

Inspiré par ce que l'on sait des propriétés chimiques de l'atomeatome de lutécium (ou lutétium), un élément chimiqueélément chimique de la famille des lanthanideslanthanides, symbole Lu et de numéro atomiquenuméro atomique 71, compté parmi les terres raresterres rares (bien que plus abondant que l'argentargent et le mercure dans la croûte terrestrecroûte terrestre), Dias et ses collègues se sont penchés sur son cas.

Ils ont ainsi produit un hydrure de lutécium dopé à l'azote en préparant initialement un mélange gazeux de 99 % d'hydrogène et de 1 % d'azote, placé dans une chambre de réaction avec un échantillon pur de lutétium, et laissant les composants réagir pendant deux à trois jours à environ 200 °C.

Un échantillon d'environ un millimètre de diamètre d'hydrure de lutécium, un matériau supraconducteur créé dans le laboratoire scientifique de Ranga Dias, vu au microscope. Cette image composite est le résultat de l'empilement et de l'amélioration des couleurs de plusieurs images. © Université de Rochester, J. Adam Fenster
Un échantillon d'environ un millimètre de diamètre d'hydrure de lutécium, un matériau supraconducteur créé dans le laboratoire scientifique de Ranga Dias, vu au microscope. Cette image composite est le résultat de l'empilement et de l'amélioration des couleurs de plusieurs images. © Université de Rochester, J. Adam Fenster

Des percées futures avec l'IA ?

Dans une expérience de compression à l'aide d'une presse à enclumes de diamantdiamant, la couleur du composé est passée de bleu à rose lors de l'établissement de ce qui semble bel et bien être un état supraconducteur, puis à un rouge particulièrement intense en quittant la zone de supraconductivité à plus basse pression. Inspiré par cette couleur, Dias a baptisé son nouveau composé du nom de « reddmatter », ce qui peut se traduire par matière rouge, une substance évoquée par Mr Spock dans un des films de Star Trek en 2009, peut-être en raison d’un clin d’œil des scénaristes à la matière noire des astrophysiciens.

On peut penser, comme Dias et ses collègues, qu'une variante du composé découvert tiendra, lui, toutes les promesses d'un matériau vraiment supraconducteur dans la vie de tous les jours. Il est possible que l'on fasse sa découverte théorique en utilisant l'apprentissage machine comme cela a été le cas avec d’autres matériaux prédits par le calcul, par exemple avec l’algorithme Uspex que l’on doit au célèbre physicien russe Artem Oganov.

« <em>L'aube de la supraconductivité ambiante et des technologies appliquées est arrivée</em> », déclare Ranga Dias, dont le laboratoire a créé un matériau supraconducteur viable qu'ils ont surnommé « <em>reddmatter</em> ». © <em>Université de Rochester,</em> J. Adam Fenster
« L'aube de la supraconductivité ambiante et des technologies appliquées est arrivée », déclare Ranga Dias, dont le laboratoire a créé un matériau supraconducteur viable qu'ils ont surnommé « reddmatter ». © Université de Rochester, J. Adam Fenster