Certaines algues utiliseraient les amplitudes de probabilité de la mécanique quantique pour optimiser la photosynthèse, ce qui signifie que ces cellules ont franchi l’obstacle de la décohérence quantique qui devrait rendre ce processus impossible à température ambiante. De quoi relancer les spéculations sur la biologie quantique, le fonctionnement du cerveau mais aussi de rendre plus crédibles les ordinateurs quantiques.

au sommaire


    Des algues marines Chroomonas coerulea 713 . Crédit : NBRP-Algae

    Des algues marines Chroomonas coerulea 713 . Crédit : NBRP-Algae

    Les fondateurs de la mécanique quantique, Bohr, Heisenberg et Schrödinger l'avaient suspecté depuis longtemps. Si la matière ne peut pas être ultimement comprise comme des sortes de boules de billard dans l'espace et dans le temps gouvernées par des lois déterministes, il fallait aussi s'attendre à des limitations des images issues de la physique du XIXe siècle lorsqu'il s'agit de comprendre plus en profondeur les systèmes biologiques.

    On sait que le grand physicienphysicien Roger PenroseRoger Penrose avait suggéré depuis presque 20 ans que des processus quantiques étaient peut-être à l'œuvre dans le cerveaucerveau humain, rendant vains les espoirs des tenants de la conscience artificielle de pouvoir un jour obtenir l'équivalent d'une conscience à partir d'un ordinateurordinateur classique possédant la puissance de calcul suffisante. Beaucoup lui avaient objecté, avec raison, que les processus d'intrication-supperposition quantiques qu'il supposait pouvoir opérer dans le cerveau ne pouvaient exister car ils seraient très rapidement détruits par le processus de décohérence, inévitable pour un système physique fonctionnant à température ambiante.

    Le même genre d'objection avait été avancée à tous ceux qui prévoyaient monts et merveilles avec les ordinateurs quantiques. Là encore, pour pouvoir surpasser les superordinateurssuperordinateurs classiques, les systèmes quantiques utilisés pour exploiter le principe de superposition des états au cœur de la mécanique quantique, et calculer avec un grand nombre de qubits, auraient nécessairement été bien trop gros et chauds pour permettre à la cohérence quantique d'exister suffisamment longtemps pour effectuer les calculs.

    D'autres, comme le physicien spécialiste de la théorie quantique des champs en espace-tempsespace-temps courbes, Paul Davies, s'interrogeaient plus généralement sur le rôle de la mécanique quantique au niveau de l'information génétiquegénétique et même pour l'origine de la vie. Là encore, des processus quantiques liées aux amplitudes de probabilité et à l'intrication quantiqueintrication quantique auraient peut-être permis aux moléculesmolécules prébiotiquesprébiotiques de s'organiser bien plus efficacement qu'on ne l'imagine pour faire apparaître et se complexifier de l'ADNADN et de l'ARNARN. Lentement mais sûrement, la notion de biologie quantique commençait donc à prendre corps.

    Paul Davies n'est pas qu'un spécialiste de la théorie quantique des champs en espace-temps courbes, il s'occupe aussi beaucoup d'exobiologie. Crédit :<em> ASU Tom Story</em>

    Paul Davies n'est pas qu'un spécialiste de la théorie quantique des champs en espace-temps courbes, il s'occupe aussi beaucoup d'exobiologie. Crédit : ASU Tom Story

    La photosynthèse plus efficace et peut-être une piste vers l'ordinateur quantique

    Ce qui n'était encore que des spéculations hardies de théoriciens explorant les frontières de la science viennent peut-être de recevoir une indispensable assise expérimentale, si l'on en croit une publication dans Nature de février 2010 et celle d'un autre groupe de chercheurs qui a déposé un article sur arXivarXiv.

    Selon le premier groupe de chercheurs, ils auraient la preuve que des systèmes biologiques comme des alguesalgues marines du nom de Chroomonas CCMP270 et Rhodomonas CS24 défient bel et bien la théorie de la décohérence quantique en utilisant les amplitudes quantiques pour faire de la photosynthèsephotosynthèse à 21°C !

    Il y a quelques années, en 2007, Graham Fleming, Gregory Engel avaient déjà montré que les Bacteriochlorophylles, des pigmentspigments photosynthétiques présents dans les bactériesbactéries sulfureuses vertes pouvaient exploiter la cohérence quantique pour optimiser le transfert de l'énergieénergie lumineuse absorbée. Sauf que le phénomène se produisait à une température de 77 K, précisément les basses températures exigées pour que le phénomène de décohérence ne soient pas trop rapide et que le système fonctionne comme un ordinateur quantique.

    Toutefois, les chercheurs soupçonnaient que cela n'était que la pointe émergée de l'iceberg. De la même façon que d'autres phénomènes quantique censés être confinés au domaine microscopique sont bel et bien observables à notre échelle, comme la superfluiditésuperfluidité de l'héliumhélium 4 et la supraconductivitésupraconductivité, on ne pouvait exclure que des mécanismes protecteurs limitant les effets de la décohérence quantique n'avaient été découverts et utilisés au cours de l'évolution. Si ces molécules étaient capables de fonctionner comme des ordinateurs quantiques à basses températures et que le phénomène rendait bien compte de la paradoxale efficacité du transfert d'énergie pour les organismes photosynthétiques à températures ambiantes, on ne pouvait négliger cette possibilité.

    En utilisant la même technique que le groupe de Fleming et Engel, des impulsions laserslasers femtosecondesfemtosecondes pour pister les transfert d'énergies dans des molécules complexes, Gregory Scholes, de l'Université de Toronto au Canada, et ses collègues auraient démontré que les structures qui captent les photonsphotons dans le cas des algues Chroomonas et Rhodomonas, que l'on appelle des antennes, coordonnent le plus efficacement les transferts d'énergie le long de plusieurs pigments moléculaires. Les amplitudes quantiques sondent alors l'état des chemins possibles et déterminent celui qui est le plus rapide et avec le moins de perte d'énergie. La cohérence quantique est maintenue pour cela pendant 400 femtosecondes (4 × 10-13 seconde) alors qu'à cette température de 21°C, cela ne devrait pas être possible selon les chercheurs.

    Parallèlement, Gregory Engel et ses collègues ont aussi publié un article sur arXiv dans lequel ils annoncent avoir répliqué leur expérience de 2007 mais cette fois à la température de 4°C. Ils annoncent aussi que l'obstacle de la décohérence ne semble pas être là puisque la cohérence quantique a été observée durant 300 femtosecondes.

    Ces résultats semblent trop beaux pour être vrais et il serait sage d'attendre encore un peu pour être sûr qu'aucun biais théorique ou expérimental n'est entré en ligne de compte. Mais s'ils se confirment, c'est une vraie révolution non seulement dans le monde de la physique mais aussi en biologie et pour la technologie.

    Il y a tout d'abord le fait que si la nature sait faire fonctionner des ordinateurs quantiques à température ambiante, il devrait être possible, en théorie du moins, d'en construire qui soient capables de calculer avec un grand nombre de qubits. Des possibilités difficilement imaginables actuellement pourraient alors devenir réalité.

    Enfin, cette découverte pourrait être à la biologie ce que celle de l'effet photoélectriquephotoélectrique a été à la physique, le début d'une profonde révolution et un changement de paradigme. Il existe peut-être véritablement une biologie quantique que nous commençons tout juste à entrevoir...