On spécule depuis des décennies sur le rôle de la mécanique quantique dans les rapports entre l'esprit et la matière. Bien loin des balivernes sur le sujet du New Age ou des soi-disant thérapies quantiques, des chercheurs commencent à proposer des expériences qui permettraient, peut-être, de prouver un jour prochain qu'une partie de notre cerveau fonctionne comme un ordinateur quantique. C'est le cas du physicien états-unien réputé Matthew Fisher, qui vient de recevoir pour cela un financement de plus d'un million d'euros.

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    Les spéculations et les interrogations concernant les implications de la mécanique quantique en liaison avec le vieux problème des rapports entre la conscience et la réalité matérielle sont presque aussi vieilles que la mécanique quantique elle-même, dont les principes et les équations de base ont cristallisé au cours de l'année 1927 pour l'essentiel. On peut s'en convaincre en lisant quelques déclarations de Heisenberg, Pauli ou encore de chercheurs n'ayant pas pris part directement à sa création comme Arthur Eddington.

    Les équations et les principes de la mécanique quantique suggèrent en effet, notamment avec le paradoxe EPR, l'existence d'un substratum physique qui semble transcender l'image d'une nature déterministe, atomisable en particules matérielles séparées dans l'espace et le temps. Ils en fournissent une autre qui semble plus s'accorder avec notre propre expérience de la nature de la conscience et bien sûr les attentes philosophiques et métaphysiques anthropocentrées, à tort ou à raison, que nous avons à son sujet, comme l'existence d'un libre arbitre ou d'une primauté de la conscience sur la matière.

    De la biologie quantique au Quantum Brain Project

    Malheureusement, les réflexions et interrogations légitimes de certains physiciensphysiciens éminents sur ces rapports entre esprit et matière ont été d'une part très mal comprises, voire déformées et présentées comme des faits établis par les tenants douteux, voire franchement malhonnêtes du New Age d'autre part. Même pour un physicien sérieux et ouvert d'esprit, quelque peu versé par exemple dans la lecture des Upanishads, il va sans dire que des choses comme les soi-disant thérapiesthérapies quantiques, théorie de l'attraction et autres fariboles invoquées par exemple dans le développement personnel et basées sur des rapports supposés entre la conscience et le monde physique selon la mécanique quantique, ne sont que des bouffonneries pseudo-scientifiques.


    La biologie quantique est en cours de développement mais il faut bien avouer que les résultats obtenus sont encore embryonnaires et il n'est pas exclu que ce soit un cul-de-sac théorique. Voici tout de même une introduction à ce domaine de recherche fascinant, qui pourrait changer un jour notre vision de l'Univers et de la Vie, par le physicien Jim Al-Khalili. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TED

    Reste que des chercheurs sérieux sont bel et bien actuellement en train d'explorer, théoriquement et parfois expérimentalement, l'idée d'une biologie quantique et en particulier bien sûr le rôle de la mécanique quantique dans la nature et l'apparition de la conscience dans le cerveaucerveau. Le plus connu de tous est probablement Roger Penrose, comme Futura l'expliquait dans le précédent article (ci-dessous). Mais il en est d'autres comme le physicien Matthew Fisher, un théoricien très respecté et célèbre dans le domaine de la physique de la matière condensée en poste à la non moins célèbre université de Californie à Santa Barbara (University of California, Santa Barbara ou UCSB, en anglais ).

    Basiquement, tout tourne en gros autour de la question de savoir si une partie du cerveau humain, bien sûr celle qui est liée à la conscience, fonctionne un peu selon les principes des ordinateurs quantiques. Il n'y a pas de doute que bien des processus cognitifs dans le cerveau peuvent s'expliquer sans toutefois faire appel à la physique quantiquephysique quantique.

    L'UCSB vient de faire savoir que Fisher et des collègues à lui, comme les chimistes Matt Helgeson et Alexej Jerschow, venaient de recevoir un peu plus d'un million d'euros pour tester les idées de Fisher, exposées dans un article sur arXiv, concernant le rôle de la mécanique quantique dans le cerveau dans le cadre du Quantum Brain Project (QuBrain). Ce financement vient de la fondation Heising-Simons qui comme son nom le laisse deviner a été mise en place par Mark Heising et son épouse Liz Simons.

    Matthew Fisher est entré dans le domaine des neurosciences parce qu'il a été confronté voilà des années à des symptômessymptômes dépressifs qui l'on conduit à avoir recours à des médicaments comme le célèbre Prozac. Un jour, il a cherché à en savoir plus sur le mode d'action de ces médicaments sur le cerveau et il s'est rendu compte que celui-ci échappait parfois complètement à toutes explications théoriques, en particulier avec le lithiumlithium utilisé pour traiter la maniaco-dépression.


    Le physicien Matthew Fisher expose certaines de ses idées concernant le rôle de la mécanique quantique dans le cerveau. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © FQXi

    Des qubits portés par des noyaux de phosphore dans le cerveau ?

    Fisher a découvert au passage l'existence d'études menées sur des rats montrant que c'était un isotopeisotope du lithium, le lithium 7 et pas le lithium 6, qui avait un rôle sur l'humeur et les capacités cognitives des rats. En théorie, cela ne devrait pas être le cas puisque la chimiechimie ne dépend que du nombre des électronsélectrons d'un atomeatome qui est le même dans les deux cas.

    Il y a tout de même une différence au niveau du spinspin du noyau puisque le lithium 7 a un neutronneutron de plus, un fermionfermion de spin ½ dont on doit tenir compte pour déterminer le spin du noyau puisqu'il résulte de la composition des moments cinétiquesmoments cinétiques des nucléonsnucléons dans ce noyau. Fisher a alors établi un lien possible avec les travaux sur les ordinateurs quantiques.

    Nous savons que dans la course à la réalisation de ces machines tout tourne autour d'une solution au problème de la décohérence pour un grand nombre de qubits. Pour tirer partie des lois de la mécanique quantique et battre les ordinateurs classiques, il faut disposer d'un grand nombre d'entre eux restant suffisamment longtemps dans un état de superposition ou d'intrication quantiqueintrication quantique. Pour cela, nous devons généralement isoler ces qubitsqubits de toutes perturbations, en particulier thermiques, ce qui fait que les expériences dans le domaine se font souvent à des températures proches du zéro absoluzéro absolu et sous vide. Ce n'est clairement pas un environnement comparable à celui des cellules vivantes, et des neuronesneurones en particulier, mais certains chercheurs, comme Penrose, n'excluent pas que l'évolution ait trouvé quelques trucs pour protéger les qubits dans les systèmes biologiques.

    Or, il se trouve que pour protéger ces qubits dans les expériences en laboratoire, on explore des systèmes physiques où ils sont portés par le spin des noyaux. Les médicaments affectant la conscience étant naturellement des fenêtresfenêtres pour explorer la physique mise en jeu dans son occurrence, Fisher en a conjecturé que les qubits des théories quantiques de la conscience se trouvaient peut-être justement au niveau des noyaux de certains isotopes. Et il en est venu à penser qu'une piste à explorer devait se trouver au niveau des noyaux de phosphore, que l'on trouve dans certaines moléculesmolécules biologiques.

    Plusieurs expériences devraient être menées pour explorer cette hypothèse dans le cadre du Quantum Brain Project. Il faut déjà étudier à quel point les spins nucléaires de deux atomes de phosphorephosphore peuvent rester intriqués dans des molécules participant à des réactions biochimiques. Les chercheurs veulent en particulier savoir si des nano-amas de phosphate de calciumcalcium de forme sphérique, que l'on appelle des molécules de Posner et que nous pouvons trouver dans le corps humain, constitueraient bien des systèmes physiques naturellement protégés des effets de la décohérence à température ambiante pour les spins nucléaires des atomes de phosphore qu'ils contiennent. Dans l'affirmative, se posera alors la question de la description des processus qu'il est possible de mener avec ces molécules pour stocker, lire, manipuler les qubits intriqués qu'ils portent.

    Il est prévu de chercher également un rôle possible de ces molécules et de leur transport dans l'organisme pour établir des intrications quantiques entre les neurones, peut-être en liaison avec les mitochondriesmitochondries dans ces cellules.

    Il est difficile de prédire jusqu'où ces recherches vont nous mener. À défaut de nous donner les clés de la conscience, nous pouvons peut-être espérer que le Quantum Brain Project permettra des percées dans les domaines des biomatériaux, de la catalysecatalyse biochimique, de l'intrication quantique en chimie des solutions et des troubles de l'humeur chez les humains.


    Des calculateurs quantiques dans le cerveau ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 21/01/2014

    Le mathématicienmathématicien Roger PenroseRoger Penrose et l'anesthésiologiste Stuart Hameroff ont proposé il y a une vingtaine d'années un début d'explication sur le fonctionnement du cerveau humain doué d'expérience consciente. L'un des éléments de leur théorie impliquait l'existence d'états quantiques résistants à la décohérence dans des structures à l'intérieur des neurones. Dans un article récent faisant le point sur l'état de leur théorie, les deux chercheurs affirment qu'il y aurait maintenant des indications fortes en faveur de cette hypothèse. Bien que les deux hommes soient respectés, la communauté scientifique reste sceptique.

    Voilà presque 20 ans, le grand mathématicien et physicien Roger Penrose publiait un livre issu de ses réflexions sur la nature de l'esprit et de la conscience. L'ouvrage, intitulé Les ombres de l'esprit, reprenait par ailleurs certaines des idées avancées dans les années 1980 par l'anesthésiologiste Stuart Hameroff. Plusieurs thèses étaient défendues. La première était que le théorème d'incomplétude de Gödelthéorème d'incomplétude de Gödel n'était pas compatible avec la thèse issue des travaux d'Alan Turing concernant l'intelligence artificielleintelligence artificielle, à savoir qu'un calcul sur une machine suffisamment complexe pouvait engendrer une intelligence humaine consciente.

    Pour Penrose, le résultat de Gödel impliquait que l'esprit et la conscience humains étaient irréductibles à des calculs. Il rejoignait donc le camp de ceux qui pensent que le « difficile problème de la conscience » (hard problem of consciousness en anglais), selon le terme inventé par le philosophe australien David Chalmers, n'est pas solutionnable dans le cadre d'une réduction de la conscience à l'exécution d'algorithmes. Dit autrement, quand bien même on peut associer une structure mathématique à l'expérience vécue d'un son ou d'une couleurcouleur, elle ne peut se réduire à cette structure et à un calcul, pas plus que simuler une étoileétoile, un cyclonecyclone ou une onde électromagnétiqueonde électromagnétique sur un ordinateur ne génère réellement ces objets. Penrose exprimait aussi, comme d'autres avant lui (tel EinsteinEinstein, Schrödinger ou encore John Bell), son insatisfaction sur l'état actuel de la physique quantique.

    Roger Penrose, né en 1931, est l'un des plus grands mathématiciens et physiciens du XX<sup>e</sup> siècle. Ses travaux les plus célèbres portent sur les trous noirs et la cosmologie, mais aussi sur la gravitation quantique. Sa théorie de torseurs (<em>twistors</em> en anglais) est très utilisée depuis quelque temps en théorie des supercordes, et sa théorie des réseaux de spin est à la base de la gravitation quantique à boucles. Le grand public le connaît probablement plus pour ses idées sur l'origine de la conscience et son scepticisme devant les hypothèses des tenants de l'intelligence artificielle forte. © Festival della Scienza, Flickr, cc by sa 2.0

    Roger Penrose, né en 1931, est l'un des plus grands mathématiciens et physiciens du XXe siècle. Ses travaux les plus célèbres portent sur les trous noirs et la cosmologie, mais aussi sur la gravitation quantique. Sa théorie de torseurs (twistors en anglais) est très utilisée depuis quelque temps en théorie des supercordes, et sa théorie des réseaux de spin est à la base de la gravitation quantique à boucles. Le grand public le connaît probablement plus pour ses idées sur l'origine de la conscience et son scepticisme devant les hypothèses des tenants de l'intelligence artificielle forte. © Festival della Scienza, Flickr, cc by sa 2.0

    Une nouvelle physique quantique

    On sait qu'en mécanique quantique, l'amplitude de probabilité d'un système physique, aussi appelée vecteur d'état ou fonction d'onde, évolue de façon complètement déterministe en étant gouvernée par une seule loi : l'équation de Schrödinger. Mais lorsqu'on cherche à mesurer une grandeur physique associée à un système, par exemple la position d'un électron ou son spin, il existe une deuxième loi indiquant que lors de cette mesure, la fonction d'onde change brutalement et de façon aléatoire. C'est un peu comme si l'acte consistant à mesurer la présence d'une note dans un morceau de musique émis sous forme d'ondes acoustiquesondes acoustiques sphériques autour d'un piano faisait brutalement disparaître dans tout l'espace les autres notes et n'en laissant plus qu'une, tirée au sort selon une loi de probabilité donnée par la forme de l'onde acoustique initiale.

    Il faudrait plusieurs livres rien que pour rendre compte des problèmes soulevés par cette « réduction du paquetpaquet d'ondes », comme disent les physiciens, étroitement liée à l'introduction d'amplitudes de probabilité et simplement de lois de probabilité en physique quantique. Elle a notamment conduit au paradoxe EPR, et surtout à celui du chat de Schrödingerchat de Schrödinger. Pour différentes raisons qu'explique en détail Penrose dans son livre, même s'il reconnaît la pertinence de la théorie de la décohérence au sujet du paradoxe du chat de Schrödinger, il pense (et il n'est pas le seul) que le problème n'est pas complètement résolu pour autant.

    Selon lui, une physique encore inconnue, mais qui doit découler d'une théorie quantique de la gravitationgravitation dans laquelle la mécanique quantique standard doit elle-même être une simple approximation, est une nécessité si l'on veut vraiment résoudre toutes les énigmes et les difficultés que posent certains aspects de la théorie quantique. Surtout, cette nouvelle physique doit contenir des éléments mathématiques qui ne sont pas réductibles à des algorithmes, en accord avec l'interprétation que fait Penrose du théorème d'incomplétude de Gödel. Elle serait aussi susceptible d'éclairer d'un jour nouveau le problème difficile de la conscience.


    Stuart Hameroff expose dans cette conférence ses travaux avec Penrose pour tenter de percer les mystères de l'origine de la conscience. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En passant simplement la souris sur le rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « Français », puis cliquez sur « OK ». © GoogleTechTalks, YouTube

    Des automates cellulaires quantiques dans les neurones

    C'est à la suite de réflexions similaires, dont il avait donné une version moins détaillée dans un précédent livre publié en français sous le titre L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, que Penrose a été contacté par Stuart Hameroff. Celui-ci lui a parlé de ses tentatives en tant que biologiste réfléchissant sur l'origine des effets de l'anesthésieanesthésie, pour comprendre le fonctionnement du cerveau et les bases physiques de la conscience. En joignant leurs travaux, les deux hommes ont donc proposé la théorie suivante.

    Ils prennent pour acquis qu'une bonne partie du fonctionnement du cerveau s'explique très bien avec les lois de la physique classique, en particulier au niveau du connectomeconnectome, c'est-à-dire du câblage des neurones. Mais au niveau des liaisons synaptiques, quelque chose de nouveau émergerait. Ces liaisons seraient fortement influencées par des structures que l'on trouve dans le cytosquelette des neurones : les microtubules. Ce sont des sortes de fibres constituées d'éléments appelés des dimères de tubuline, des protéinesprotéines possédant un moment dipolairemoment dipolaire. Selon Penrose et Hameroff, ces protéines que l'on peut polariser dans deux états feraient des microtubules des sortes d'automates cellulaires capables de stocker des qubits et d'effectuer des calculs en plus de ceux que l'on attribue au réseau de neurones. Si tel est le cas, la capacité de traitement de l'information du cerveau humain serait bien supérieure à celle qu'on lui attribue aujourd'hui. Ce qui repousserait la date à laquelle un ordinateur serait suffisamment puissant pour simuler correctement son fonctionnement.

    La région centrale d'un neurone avec son noyau (<em>nucleus</em>) et d'où partent l'axone et des dendrites. On voit le réseau de microtubules parallèles connectés par des protéines. © Stuart Hameroff

    La région centrale d'un neurone avec son noyau (nucleus) et d'où partent l'axone et des dendrites. On voit le réseau de microtubules parallèles connectés par des protéines. © Stuart Hameroff

    Les microtubules, des calculateurs quantiques ?

    Mais surtout, et c'est le point le plus critiqué par la communauté scientifique, Penrose et Hameroff ont prédit que les microtubules seraient des calculateurs quantiques efficaces, alors que la théorie de la décohérence semble impliquer que ce n'est pas possible. Les cellules du cerveau et les microtubules seraient trop chauds et trop perturbés par le bruit de fond ambiant pour que des calculs quantiques longs aient le temps d'être effectués. En plus court, même en descendant à l'échelle des tubulines, on est toujours confronté à des objets trop gros et trop chauds pour manifester des effets quantiques.

    Toutefois, Penrose et Hameroff ont répliqué que l'on ne pouvait être certain de rien sur ce point. On sait bien que des comportements quantiques macroscopiques d'objets existent bien, comme la supraconductivitésupraconductivité et la superfluiditésuperfluidité (à basse température il est vrai, mais on envisage pourtant de créer des supraconducteurs à température ambiante). On sait aussi que l'effet EPR fonctionne, malgré des séparationsséparations de plusieurs mètres entre des systèmes quantiques. Surtout, des signes de manifestation de cohérence quantique dans des systèmes biologiques à température ambiante sont observés depuis quelques années, particulièrement avec la photosynthèse. Il se pourrait que l'évolution ait découvert le moyen de contourner l'obstacle de la décohérence quantique.

    Les ombres de la physique de l'esprit

    Il existe dans la théorie de Penrose et Hameroff une seconde hypothèse encore plus spéculative. Si des calculs quantiques sont bien effectués par les microtubules, ils seraient sous la domination des effets de gravitation quantiquegravitation quantique faisant intervenir des processus échappant au calcul que postule Penrose au-delà de la mécanique quantique orthodoxe. C'est notamment au niveau de la réduction du paquet d'ondes lors d'une mesure que ces effets interviendraient, avec ce qu'il appelle la réduction objective orchestrée, ou orchestrated objective reduction (Orch-OR) en anglais.

    La théorie quantique dont nous disposons actuellement ne serait, pour Penrose comme pour Einstein et même des physiciens comme John BellJohn Bell et le prix Nobel Gerard 't Hooft, qu'une solution partielle bien que très efficace en pratique aux problèmes de la quantificationquantification de l'énergieénergie et de la dualité onde-corpusculedualité onde-corpuscule. À un niveau plus profond de la réalité existerait donc une physique de la conscience encore inconnue, englobant la théorie quantique orthodoxe, et dont nous ne pouvons pour le moment voir que l'ombre dans le connectome et les microtubules. Ainsi que l'existence de l'espace-tempsespace-temps ne devient palpable que lorsqu'on est confronté à des vitessesvitesses proches de celle de la lumièrelumière et à des champs de gravitation intenses, la physique de l'esprit ne deviendrait visible que face à des objets très complexes.

    Le prix Nobel de physique Gerard 't Hooft a révolutionné la théorie quantique des champs au début des années 1970 en utilisant les travaux de Richard Feynamn et Martinus Veltman. Profondément concerné par le paradoxe de l'information avec les trous noirs, il tente de construire une nouvelle théorie quantique à partie du concept d'automate cellulaire. Peu sont ceux qui le suivent dans cette voie. © Wammes Waggel, Wikimedia Commons, cc by sa 3.0

    Le prix Nobel de physique Gerard 't Hooft a révolutionné la théorie quantique des champs au début des années 1970 en utilisant les travaux de Richard Feynamn et Martinus Veltman. Profondément concerné par le paradoxe de l'information avec les trous noirs, il tente de construire une nouvelle théorie quantique à partie du concept d'automate cellulaire. Peu sont ceux qui le suivent dans cette voie. © Wammes Waggel, Wikimedia Commons, cc by sa 3.0

    Entre spéculation scientifique et pseudoscience

    Inutile de dire qu'on atteint là le sommet de la spéculation scientifique, où le risque de se perdre dans des considérations métaphysiques non scientifiques est élevé. On sait d'ailleurs que plusieurs scientifiques de haut niveau, tels que John Hagelin et le prix Nobel Brian Josephson, ne professent plus que de la pseudoscience en tentant d'aborder le problème des bases physiques de la conscience.

    Bien que très critique vis-à-vis des hypothèses de Hameroff et Penrose, la communauté scientifique ne considère pas pour le moment que ces deux chercheurs ont franchi la ligne rouge. On a plutôt l'impression que ce qu'ils proposent est du même niveau que les réflexions de Schrödinger dans son célèbre ouvrage Qu'est-ce que la Vie ? publié en 1944, des réflexions qui ont orienté les pionniers de la biologie moléculairebiologie moléculaire vers la découverte de l'ADNADN, mais l'ont aussi anticipée.

    Indications de cohérence quantique dans les microtubules

    Penrose et Hameroff viennent de publier l'année dernière un article dans Physics of Life Reviews faisant le point sur leur théorie de l'origine de la conscience. La revue contient plusieurs articles commentant et critiquant leur théorie ainsi que leurs réponses. On est quand même assez déçu de voir que parmi ces articles, il s'en trouve un de Deepak Chopra, un célèbre médecin états-unien d'origine indienne dont les théories sont plus que fumeuses. Mais ce qui frappe le plus, c'est que Penrose et Hameroff affirment maintenant qu'il y a des signes de l'existence d'un état de cohérence quantique dans les microtubules. Ils se basent pour cela sur les travaux d'un chercheur indien, Anirban Bandyopadhyay, du National Institute for Materials Science à Tsukuba, au Japon, qui étudie les microtubules avec ses collègues depuis quelques années.

    On reste perplexe devant les articles de Penrose et Hamroff, car il faudrait disposer de solidessolides connaissances en physique quantique, en neurobiologie et en physique du solide pour évaluer véritablement ce qui est crédible et ce qui ne l'est pas dans les constructionsconstructions théoriques qu'ils avancent. On ne sait pas trop si l'on assiste aux premiers balbutiements sérieux d'un changement de paradigme scientifique comparable à ce qui s'est produit en biologie pendant les années 1940, ou s'il s'agit d'une des nombreuses tentatives avortées et peu crédibles de brillants chercheurs tentant de percer les mystères des rapports entre l'esprit et la matière. Ce qui est sûr, c'est que Penrose et Hamroff sont sur des routes déjà explorées par Schrödinger, Pauli, Wigner et Linde en physique, et par Alfred Whitehead et Karl Popper en philosophie. En tout état de cause, il reste du pain sur la planche, et l'on peut espérer que le Human Brain Project ainsi que les travaux sur les ordinateurs quantiques nous aideront à y voir un peu plus clair dans les décennies qui viennent.

    Les spéculations de Penrose et Hameroff restent stimulantes, mais on en est toujours au stade des hypothèses de travail que l'on doit encore développer et tester expérimentalement, ce que ne semblent pas nier les deux hommes. Pour le moment, ces scientifiques ressemblent à des funambules qui cherchent à ne pas tomber dans la mystique quantique pseudoscientifique New Age ou dans un positivisme frileux refusant d'explorer de nouvelles voies périlleuses dans un territoire inconnu, celui de la physique de l'esprit.