On vient de détecter pour la première fois un fond cosmologique chaotique d'ondes gravitationnelles pouvant provenir de diverses sources, en particulier les trous noirs supermassifs binaires, mais aussi peut-être des supercordes cosmiques ou encore d'événements survenus pendant le Big Bang, comme une phase d'inflation ayant créé la matière qui nous entoure. La Voie lactée, elle-même, a servi de détecteur géant pendant 15 ans en utilisant plusieurs radiotélescopes – comme celui de Nançay – pour observer des dizaines de pulsars, ces astres de la taille d'une grande capitale sur Terre mais contenant autant de masse que le Soleil.


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    En 1917, EinsteinEinstein découvre en même temps le principe du laser, l’énergie noire accélérant l’expansion de l’Univers observable et pousse un cran plus loin ses travaux sur les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles prédites par les équations de la relativité générale, sa théorie relativiste de la gravitation dont il a donné une forme finale en novembre 1915.

    Selon cette théorie, l’espace-temps de la relativité restreinte théorisé par le mathématicienmathématicien Hermann Minkowski en 1908 se comporte en fait comme un milieu élastique pouvant se courber, se déformer et être le lieu d'ondes analogues aux ondes sonores et lumineuses. En 2015, en utilisant des faisceaux laser, on détecte enfin le passage d'une onde gravitationnelle sur Terre avec le détecteur LigoLigo aux États-Unis, des dizaines d'autres détections vont suivre les années suivantes alors que d'autres détecteurs entrent dans la danse, VirgoVirgo surtout, en Europe, mais aussi Kagra, au Japon.

    Il s'agit alors d'ondes produites par les ultimes moments de deux astres compacts, des trous noirs stellaires ou des étoiles à neutrons, qui en quelques centièmes de seconde font varier les distances dans l'espace sur Terre de la taille d'un noyau d'atomeatome tout au plus. Mais, en 1983, deux chercheurs états-uniens, Ron Hellings et George Downs, collègues au mythique Caltech des prix Nobel de physiquephysique Richard Feynman et surtout Kip Thorne qui s'est lancé dans l'étude et la détection des ondes gravitationnelles, se rendent compte que l'on peut utiliser les pulsarspulsars de la Voie lactéeVoie lactée pour détecter des ondes gravitationnelles dans une autre bande de fréquencesbande de fréquences, beaucoup plus basses.


    Un pulsar est une étoile à neutrons qui émet des faisceaux de rayonnement qui balayent la ligne de visée de la Terre. Comme un trou noir, c'est un point final à l'évolution stellaire. Les « impulsions » de rayonnement de haute énergie que nous voyons d'un pulsar sont dues à un désalignement de l'axe de rotation de l'étoile à neutrons et de son axe magnétique. Les pulsars semblent pulser de notre point de vue parce que la rotation de l'étoile à neutrons fait que le faisceau de rayonnement généré dans le champ magnétique entre et sort de notre champ de vision avec une période régulière, un peu comme le faisceau de lumière d'un phare. Le flux de lumière est, en réalité, continu, mais pour un observateur éloigné, il semble clignoter et s'éteindre à intervalles réguliers. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard Space Flight Center

    Une superposition cosmologique de sources d'ondes gravitationnelles

    Les décennies à venir vont faire prendre conscience qu'il serait alors possible d'ouvrir une fenêtrefenêtre sur plusieurs phénomènes astrophysiquesastrophysiques et même cosmologiques de grande importance produisant indirectement ce que l'on a appelé le fond cosmologique d'ondes gravitationnelles stochastiquestochastique.

    L'origine la plus probable de ce fond est celle des sources d'ondes gravitationnelles que sont les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs contenant de un million à plusieurs milliards de massesmasses solaire et qui peuvent entrer en collision une fois que deux grandes galaxiesgalaxies qui en contenaient un chacune ont fusionné. Le processus prendrait 25 millions d'années et produirait donc un fond cosmique chaotique de l'espace-tempsespace-temps un peu comme le feraient des gouttes de pluie tombant dans une mare, chaque impact de goutte de pluie représentant une collision en cours de trous noirs supermassifs dans l'UniversUnivers observable.

    L'idée de la détection de ce fond stochastique, produit par les trous noirs supermassifs comme ceux observés par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope, est la suivante. On sait que les pulsars sont des étoiles à neutrons en rotation très rapide, denses et avec un champ magnétiquechamp magnétique intense. Elles produisent donc un faisceau d'ondes radio, un peu comme un phare et cela se traduit, quand ce faisceau croise la Terre, par une  série d'impulsions très stables dans un radiotélescoperadiotélescope comme ceux d'Arecibo et de Nançay.

    Une vue d'artiste de la Terre noyée dans l'espace-temps qui est déformé par les ondes gravitationnelles du fond stochastique et ses effets sur les signaux radio provenant des pulsars observés. © Tonia Klein, NANOGrav
    Une vue d'artiste de la Terre noyée dans l'espace-temps qui est déformé par les ondes gravitationnelles du fond stochastique et ses effets sur les signaux radio provenant des pulsars observés. © Tonia Klein, NANOGrav

    En arrivant sur Terre, ces ondes font varier les distances de la longueur d'un terrain de foot, mais il leur faut pour cela une trentaine d'années, ce qui correspond à des longueurs d'ondelongueurs d'onde de 2 à 10 années-lumièreannées-lumière. On comprend donc pourquoi il a fallu aux physiciensphysiciens une quinzaine d'années et des détecteurs à l'échelle de la Galaxie pour déclarer aujourd'hui qu'ils avaient bel et bien mis en évidence le fond d'ondes gravitationnelles cosmologiques.

    Comme les distances spatiales dans la Voie lactée sont affectées par ces ondes, les temps de trajets des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques des pulsars varient également, de sorte que l'on détecte parfois des avances et des retards dans les temps d'arrivée des impulsions des pulsars.

    En étudiant simultanément des dizaines de pulsars pour mettre en évidence des corrélations entre les fluctuations des temps d'arrivée des impulsions radio, on peut donc extraire du signal des fluctuations qui sont bien spécifiques au passage d'une onde gravitationnelle dans la Voie lactée, sur Terre et pas des variations concernant les émissionsémissions des pulsars eux-mêmes qui sont bien connues, par exemple celles que l'on appelle des « glitchs » (en français « pépin », « accroc »), terme anglais désignant la variation brutale de la période de rotationpériode de rotation d'un pulsar à la suite du ralentissement progressif de sa rotation en raison de mouvementsmouvements dans son intérieur.


    Une belle présentation en anglais de la découverte par les membres de l'IPTA du fond d'ondes gravitationnelles stochastique dont la nature exacte reste encore à définir. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science Foundation

    Comme nous l'expliquions il y a quelques jours, l'annonce de la découverte du fond d'ondes gravitationnelles cosmologiques par le North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav) était imminente et elle s'inscrivait dans le cadre plus large de l'International Pulsar Timing Array (IPTA) regroupant des chercheurs utilisant les données prises depuis environ 15 ans avec plusieurs dizaines de radiotélescopes sur la Planète. Parmi eux, il y a des radioastronomes français utilisant le fameux radiotélescope de Nançay, dans le cadre de l'European Pulsar Timing Array (Epta).

    L'annonce a finalement été faite dans la nuit du 28 au 29 juin 2023, en fonction des décalages horaires, et de nombreux articles provenant de plusieurs des organisations impliquées ont été mis en ligne, avec bien sûr des articles scientifiques dont certains montrant comment la physique et la cosmologie pourraient en être changées profondément dans un avenir proche en analysant plus finement le signal aujourd'hui détecté. Voici une liste de quelques-uns de ces articles qui rendent justice au travail monumental réalisé pendant 15 ans par des centaines de chercheurs de la noosphère.


    Grâce aux efforts du NANOGrav Physics Frontiers Center de la U.S. National Science Foundation, une nouvelle étape dans la détection des ondes gravitationnelles a été atteinte. Nous parlons avec Stephen Taylor de l'Université Vanderbilt ; Maura McLaughlin de l'Université de Virginie-Occidentale ; et Xavier Siemens de l'Oregon State University, pour en savoir plus sur leur percée. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science Foundation News

    Les chercheurs de NANOGrav expliquent que s'ils surveillent actuellement plus de 80 pulsars qui tournent plus de 100 fois par seconde sur eux-mêmes, les célèbres pulsars millisecondes (MSPMSP), leur découverte provient de l'étude de 68 d'entre eux pendant 15 ans. Ils ont été étudiés une fois toutes les trois à quatre semaines pour la plupart avec notamment le télescopetélescope Green Bank (GBT), le défunt observatoire d'Arecibo et le Very Large Array (VLA), tous trois impliqués également dans le programme Seti.

    Le fond d'ondes gravitationnelles mis raisonnablement en évidence aujourd'hui, bien qu'il soit encore nécessaire de faire monter la statistique comme disent les physiciens dans leur jargon pour dissiper quelques doutes qui restent, est encore assez flou, bien que plus brillant que ce que l'on espérait.  On ne peut donc pas encore distinguer de sources ponctuelles, ni dire si ce fond est isotropeisotrope ou anisotropeanisotrope.

    Des trous noirs supermassifs binaires ?

    Le plus probable est que l'on observe au moins principalement les ondes des trous noirs supermassifs. Toutefois, contrairement au cas des observations de Ligo et Virgo et même si on s'attend à des fusionsfusions de trous noirs supermassifs, ce ne serait pas en raison des pertes d'énergieénergie sous forme d'ondes gravitationnelles que se produiraient finalement ces fusions pour des trous noirs supermassifs binairesbinaires car les calculs montrent, pour le moment en tout cas, que cela prendrait un temps équivalent à l'âge de l'Univers observable. Or, on observe des trous noirs supermassifs ayant dû provenir de la fusion de trous noirs il y a déjà des milliards d'années. C'est ce que les astrophysiciensastrophysiciens appellent le « final-parsecparsec problem » et pour le résoudre, ils font intervenir des interactions gravitationnelles entre les gazgaz et les étoiles environnant les trous noirs binaires au cœur des galaxies.

    La forme du signal mis en évidence aujourd'hui est compatible avec d'autres sources d'ondes gravitationnelles et ce que l'on observe est peut-être la somme de ces différentes sources, dont certaines font intervenir de la physique au-delà du Modèle standardModèle standard de la physique des hautes énergies.

    Les ondes gravitationnelles quantiques de l'inflation ?

    Il pourrait s'agir par exemple d'ondes gravitationnelles émises pendant la fameuse phase d'inflation primordiale dont on pense qu'elle a produit la matièrematière existante indirectement, alors que l'espace se dilatait transitoirement follement et de manière exponentiellement rapide. Cette dilatationdilatation aurait fait pénétrer dans le domaine macroscopique des fluctuations quantiques microscopiques de l'espace-temps devenant donc des ondes gravitationnelles. Toutefois, la recherche de ces ondes dans le rayonnement fossile étudié avec le satellite Planck, sans succès, impose des contraintes à l'observabilité de ces ondes avec les pulsars. Quand bien même on verrait déjà bien ces ondes, on ne sait pas encore quelle théorie parmi les nombreuses proposées au-delà du Modèle standard pourrait en rendre compte.

    Des transitions de phase dans des champs quantiques ?

    D'autres ondes du Big BangBig Bang pourraient aussi expliquer les observations de la collaboration NANOGrav, celle produite par des transitions de phasestransitions de phases. Ainsi, on observe peut-être les traces de ce qui s'est produit quand le plasma de quarks et de gluon primordial de la QCD s'est refroidi au point de se condenser en gouttes de liquideliquide hadronique, à savoir les protonsprotons et les neutrons de nos atomes. Une autre transition de phase, mais dans un cas bien particulier, est aussi admissible et fait intervenir la transition dite électrofaible, c'est-à-dire le moment où le bosonboson de Brout-Englert-Higgs est devenu massif et a donné des masses à beaucoup de particules.


    Dans le cadre d’un réseau mondial dédié à l’observation des pulsars, un consortium européen publie le 29 juin 2023 dans la revue Astronomy and Astrophysics une série de résultats issus de données collectées depuis un quart de siècle, par six des radiotélescopes les plus sensibles au monde. Les données du consortium européen, de même que celles de leurs homologues américain, australien et chinois, contiennent les indices très solides de l’existence d’ondes gravitationnelles, captées dans de très basses fréquences, qui proviendraient de couples de trous noirs supermassifs situés au centre de galaxies en cours de fusion. La participation française à ces travaux est importante, impliquant la contribution de chercheurs de l’Observatoire de Paris - PSL, du CNRS, du CEA, de l’Université d’Orléans et d’Université Paris Cité. © l'Observatoire de Paris

     

    Autre possibilité. Une des classes de théories physiques conduisant à l'inflation fait aussi intervenir l'unification entre la force électrofaible et la force nucléaire forte entre les quarksquarks des protons et des neutrons. Ces Théories de Grande Unification (ou GUTGUT pour Grand Unified Theory en anglais), dont la première a été proposée en 1974 par Howard Georgi et Sheldon GlashowSheldon Glashow, prédisent la naissance des cordes cosmiques, des filaments d'énergie longs de plusieurs centaines de millions d'années-lumière et dont on pensait qu'ils pouvaient servir comme la matière noirematière noire à faire naître les galaxies et les amas de galaxiesamas de galaxies regroupés précisément en filaments (l'étude du rayonnement fossilerayonnement fossile a mis à mal cette hypothèse, mais ces cordes ne remplacent pas la matière noire - elles existent peut-être malgré tout). Ces cordes cosmiques peuvent vibrer et entrer en collision, ce qui peut générer des ondes gravitationnelles, comme l'explique la vidéo ci-dessus.

    Une variante de la théorie des cordesthéorie des cordes cosmiques existe aussi dans la fameuse théorie des supercordesthéorie des supercordes où l'on a aussi des filaments d'énergie gigantesquement longs, mais qui ne naissent pas des équationséquations des GUT.

    Comme on l'a dit, une seule de ces hypothèses, sous certaines conditions, peut rendre compte des observations de NANOGrav, mais il faudra peut-être en combiner plusieurs. On sait en tout cas qu'un fond isotrope serait plutôt compatible avec des sources au-delà de la physique connue alors qu'un fond avec des sources ponctuelles proviendrait plutôt des trous noirs supermassifs, mais il faudra encore des années de travail pour, peut-être, le savoir.


    La découverte des ondes gravitationnelles du Big Bang révélée ce jeudi ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 26 juin 2023

    La noosphère sur TwitterTwitter, qui s'intéresse aux ondes gravitationnelles et à la fenêtre qu'elles ouvrent sur l'astrophysique des trous noirs, voire la physique du Big Bang et celle au-delà du Modèle standard de la physique des particules, est en ébullition. En effet, l'astrophysicienne italo-canadienne Chiara Mingarelli, chercheuse associée au Flatiron Institute Center for Computational Astrophysics et professeur adjointe à l'Université de Yale, a confirmé que la collaboration Nord American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav) allait bien faire une annonce retentissante au sujet des ondulations du tissu de l'espace-temps prédites par Albert Einstein il y a un peu plus d'un siècle maintenant.

    La chercheuse a précisé ensuite que le 29 juin 2023, ce sera en fait toute la communauté mondiale des chasseurs d'ondes gravitationnelles utilisant les observations en radioastronomie des pulsars qui s'exprimera, ce qui implique que la découverte qui sera annoncée est très sérieuse et d'importance.

    Futura avait déjà consacré plusieurs articles à ce sujet, notamment parce que des radioastronomes français utilisant le fameux radiotélescope de Nançay, dans le cadre de l'European Pulsar Timing Array (Epta), sont impliqués dans cette chasse. Le lecteur pourra se reporter à ces articles pour plus de précisions, en attendant la conférence du 29 juin.

    Faisons tout de même déjà quelques rappels.

    Des trous noirs supermassifs qui fusionnent au bout de 25 millions d'années

    En 1917, Albert Einstein a montré que l'espace-temps était une sorte de tissu élastique pouvant se déformer en réponse aux mouvements de la matière, un peu comme la surface de l'eau sous l'action du ventvent ou d'un caillou jeté dans une mare. Dans les décennies qui allaient suivre la découverte des étoiles à neutrons et des trous noirs, les astrophysiciens relativistes ont compris que deux de ces astres compacts en orbiteorbite l'un autour de l'autre allaient rayonner de l'énergie sous forme d'ondes gravitationnelles. Sous l'effet de cette perte d'énergie, les astres allaient se mettre à un moment à adopter un mouvement en spirale avec une taille décroissante pour leur orbite, les conduisant inévitablement à entrer en collision. La fréquence des ondes émises étant le reflet de la période orbitalepériode orbitale décroissante pour les deux astres, ces ondes devaient donc se présenter avec une fréquence croissante avant la collision finale et selon une forme bien précise traduisant aussi bien la théorie relativiste de la gravitationgravitation décrivant notre Univers observable (qui n'est pas forcément exactement celle découverte par Einstein) que les masses et les moments cinétiquesmoments cinétiques de rotation propres des astres compacts impliqués.

    Les calculs des astrophysiciens relativistes montrent qu'il y a en fait tout un bestiaire de sources gravitationnelles possibles produisant des signatures caractéristiques sur une large bandelarge bande de fréquences qu'Homo sapiensHomo sapiens peut mettre en évidence et allant de quelques kilohertz à quelques nanohertz. Les fréquences les plus élevées se retrouvent notamment avec des étoiles à neutrons et des trous noirs stellaires dans la phase finale avant leur collision.

    Mais pour des trous noirs supermassifs d'un million à quelques milliards de masses solaires en orbite l'un autour de l'autre suite à la fusion de deux galaxies qui en contenaient un chacun, les fréquences dans l'« inspiral phase », comme on dit en anglais, et qui correspond à celle où le destin des deux astres est scellé, sont beaucoup plus basses. Ainsi, pour des trous noirs d'un milliard de masses solaires le temps de chute en spirale est de 25 millions d'années environ et produit des ondes avec une fréquence de 1 nHz.

    La mission spatiale eLisa de l'ESAESA se proposait d'observer ces ondes basse fréquence à l'horizon des années 2030 mais depuis plus d'une décennie, certains chercheurs pensaient y arriver avant, précisément ceux  de l'International Pulsar Timing Array (Ipta) regroupant les collaborations de l'European Pulsar Timing Array (Epta), le North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav), le Parkes Pulsar Timing Array (PPTA) en Australie et l'Indian Pulsar Timing Array Project (InPTA).

    Une preuve de la théorie des supercordes ?

    L'idée de la détection est simple. On connaît dans la Galaxie des dizaines de pulsars qui sont des sortes de phares cosmiques. Ce sont des étoiles à neutrons en rotation très rapide émettant un faisceau d'ondes radio très collimatées qui par chance croisent la Terre. Dans un radiotélescope, cela se traduit par une série d'impulsions avec une période très stable entre chaque impulsion. Si l'on considère la Terre et ces pulsars comme des flotteurs à la surface de l'eau, le passage d'une vaguevague de l'espace-temps va faire osciller la distance entre eux et donc modifier les temps d'arrivée et donc les périodes entre les impulsions de plusieurs pulsars étudiés simultanément sur Terre pour s'assurer que le phénomène est bien réel, et pas le fait d'un événement affectant un seul pulsar et pas en rapport avec des ondes gravitationnelles.

    La bande de fréquences que l'on peut étudier de cette manière n'est pas qu'une fenêtre ouverte sur les trous noirs supermassifs. Les observations avec les pulsars pourraient révéler les ondes produites par les cordes cosmiques des théories d'unification des forces et même celles de la théorie des supercordes. On peut même s'attendre à détecter des effets de gravitation quantiquegravitation quantique pendant la phase d’inflation de l’expansion de l’espace-temps dont on suspecte l'existence depuis 40 ans. D’autres découvertes encore sont possibles.


    Les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs peut-être découvertes grâce aux pulsars ?

    Article de Laurent Sacco publié le 30/10/2021

    Il existe probablement un fond cosmologique chaotique d'ondes gravitationnelles provenant de diverses sources, en particulier les trous noirs supermassifs binaires. Une astuce ingénieuse pour les détecter, en ayant observé avec plusieurs radiotélescopes comme celui d'Arecibo et celui de Nançais des dizaines de pulsars dans la Voie lactée pendant plus d'une décennie, commence peut-être à payer. C'est ce qu'explique à nouveau et récemment une collaboration scientifique européenne impliquant des chercheurs de l'Observatoire de Paris - PSL, du CNRS et de l'Université d'Orléans.

    On a du mal à le croire, mais la première détection directe sur Terre des ondes gravitationnelles prédites par la théorie d'Einstein a eu lieu il y a six ans déjà sous la forme du signal baptisé GW150914, le 14 septembre 2015. Son analyse a montré qu'il provenait des derniers évènements survenant quand deux trous noirs de masse stellaire formant un couple binaire se rapprochent en suivant une spirale puis fusionnent en un seul astre compact. Une partie de la masse totale des deux objets, qui contenaient chacun environ 30 fois la masse du SoleilSoleil, avait alors été convertie en ondes gravitationnelles. Pour se donner une idée de l'énergie qu'un tel évènement représente, on peut imaginer que si ces ondes gravitationnelles avaient été des ondes électromagnétiques, alors la source de la collision observée en septembre 2015 aurait paru dans notre ciel plus lumineuse que la Pleine LunePleine Lune. Pourtant, l'évènement s'était produit à environ 1,3 milliard d'années-lumière de la Voie lactée...

    Nous avons bien progressé depuis dans le domaine de l'astronomie gravitationnelle grâce aux membres de la collaboration Ligo aux États-Unis et aux membres de la collaboration Virgo en Europe. Les chercheurs japonais sont aussi entrés dans la danse avec leur propre détecteur d'ondes gravitationnelles, appelé Kagra.


    Présentation des ondes gravitationnelles et de leur détection par François Larrouturou (doctorant à l'IAP), enregistrée dans le cadre de la Nuit de l'astronomie 2020 de l'IAP, le 26 juin 2020. © Institut d'Astrophysique de Paris

    Les ondes gravitationnelles du Big Bang sont à basses fréquences

    Mais tous ces instruments n'observent que dans une bande spectrale bien précise de la fenêtre des ondes gravitationnelles, celle des fréquences que l'on peut considérer comme hautes et qui proviennent des derniers instants de deux astres compacts d'origine stellaire orbitant l'un autour de l'autre à une vitessevitesse folle. Si l'on considère des astres compacts comme des trous noirs supermassifs, en couple ou avec un autre astre nettement moins massif comme une étoile à neutrons, les orbites initiales sont nettement plus grandes que celles de deux trous noirs stellaires binaires et les fréquences des ondes émises, reflet des périodes orbitales qui diminuent du fait de la perte d'énergie sous forme d'ondes gravitationnelles, sont nettement plus basses au début aussi.

    On est donc en présence d'une autre bande spectrale avec des longueurs d'onde si importantes qu'il faut un détecteur en orbite s'étendant sur plus d'un million de kilomètres pour détecter cette bande spectrale. C'est l'objectif de la mission eLisa, comme l'explique la vidéo ci-dessus, qui devrait être opérationnelle à l'horizon des années 2030.

    Toutefois, depuis des décennies, les astrophysiciens relativistes savent qu'il est possible, théoriquement du moins, de commencer à explorer les fréquences basses associées aux ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs, et peut-être même de celles associées à des événements remontant au Big Bang, en utilisant des pulsars.


    Présentation en 2017 par son directeur, Stéphane Corbel, de la station de radioastronomie de l'Observatoire de Paris située en Sologne, à Nançay : un parc unique en France d'instruments dédiés à l'observation de l'Univers dans différentes gammes d'ondes radio, des radiotélescopes pionniers aux dispositifs les plus innovants. © Com Nancay

    L'astronomie gravitationnelle et la radioastronomie

    En fait, les pulsars ont déjà joué un rôle important dans le développement de l'astronomie gravitationnelle. En effet, des calculs menés notamment par le physicien français Thibault Damour (à qui on doit une BD sur le Mystère du monde quantique) et ses collègues, dans les années 1980, avaient permis de rendre compte de la diminution annuelleannuelle de la période de l'orbite d'un pulsar binaire (PSR B1913+16) révélée et mesurée par les prix Nobel de physique Hulse et Taylor. Là aussi les deux astres perdaient de l'énergie en émettant des ondes gravitationnelles, ce qui faisait diminuer lentement mais de plus en plus rapidement la taille et donc la période de leur orbite. Il ne s'agissait que d'une signature indirecte, mais convaincante, de l'existence de ces ondes (voir les réflexions d'Aurélien Barrau sur son blogblog de Futura).

    On voyait clairement la période orbitale diminuer car les pulsars sont des phares cosmiques émettant un faisceau d'ondes radio colimatées tel un phare sur Terre. Il peut donc couper la Terre et se retrouver sous la forme d'un bip périodique dans des radiotélescopes, bip donnant justement la fréquence de l'orbite du pulsar qui se comporte comme une horloge normalement très stable.

    De fait, les radiotélescopes d'Areciboradiotélescopes d'Arecibo et de Nançay ont servi à faire progresser l'étude des ondes gravitationnelles avec des pulsars.

    Aujourd'hui, les membres de l'European Pulsar Timing Array (EPTA), une collaboration européenne réunissant une quarantaine de scientifiques autour des cinq plus grands radiotélescopes européens dont le radiotélescope décimétrique de Nançay et le radiotélescope de l'Institut Max-PlanckPlanck de radioastronomie (Max-Planck-Institut für Radioastronomie) près de Effelsberg, viennent de mettre en ligne plusieurs communiqués faisant état d'un article publié dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Avec un diamètre de 100 mètres, le radiotélescope de Effelsberg a longtemps été le plus grand télescope orientable du monde, jusqu'à l'ouverture du radiotélescope de Green Bank en Virginie-Occidentale aux États-Unis. On l'a utilisé pour tester la théorie des cordes, mais aussi pour faire équipe avec RadioAstron en produisant avec la technique de synthèse d'ouverturesynthèse d'ouverture par interférométrieinterférométrie un instrument virtuel d'environ 350.000 kilomètres de diamètre. Dans le cas présent, la même technique a été utilisée avec les radiotélescopes européens.

    Les cinq principaux radiotélescopes européens. En haut de gauche à droite : radiotélescope d’Effelsberg (Allemagne) et radiotélescope de Nancay (France), et en bas, de gauche à droite : radiotélescope de Sardaigne (Italie), radiotélescope de synthèse de Westerbork (Pays-Bas) et télescope Lovell, Royaume-Uni. <i>© Norbert Tacken/MPIfR (Effelsberg), Letourneur/Observatoire de Paris – PSL (Nançay), Anthony Holloway (Jodrell Bank), ASTRON (WSRT), Gianni Alvito/INAF (SRT)</i>
    Les cinq principaux radiotélescopes européens. En haut de gauche à droite : radiotélescope d’Effelsberg (Allemagne) et radiotélescope de Nancay (France), et en bas, de gauche à droite : radiotélescope de Sardaigne (Italie), radiotélescope de synthèse de Westerbork (Pays-Bas) et télescope Lovell, Royaume-Uni. © Norbert Tacken/MPIfR (Effelsberg), Letourneur/Observatoire de Paris – PSL (Nançay), Anthony Holloway (Jodrell Bank), ASTRON (WSRT), Gianni Alvito/INAF (SRT)

    Ce que les membres de l'EPTA ont trouvé se comprend bien avec les explications données sur le site de l'Observatoire de Paris par Siyuan Chen, chercheur au Laboratoire de physique et chimiechimie de l'environnement et de l'Espace (Cnes/CNRS/Université d'Orléans) et à la Station de radioastronomie de NançayStation de radioastronomie de Nançay (Observatoire de Paris-PSL/CNRS/Université d'Orléans), coauteur principal de l'étude publiée dans MNRAS : « Nous pouvons mesurer de très petites fluctuations dans les temps d'arrivée sur Terre du signal radio des pulsars, causées par la déformation de l'espace-temps due au passage d'une onde gravitationnelle de très basse fréquence ».

    Ce que les chercheurs ont donc mis en pratique c'est la même stratégie que les membres de la collaboration NANOGrav (North American Nanohertz Observatory for Gravitationnal Waves) il y a quelque temps déjà et qui permet donc en principe de détecter les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs et plus généralement du fond stochastique d'ondes gravitationnelles du cosmoscosmos observable. Futura l'expliquait déjà dans les précédents articles ci-dessous auxquelles nous vous renvoyons pour plus de détails et aussi à l'excellente vidéo de PBS Space Time, ci-dessous.


    Bien des stratégies existent pour détecter des ondes gravitationnelles de fréquences variées qui sont autant de fenêtres ouvertes sur des phénomènes astrophysiques et cosmologiques différents. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time

    Un signal prometteur à confirmer

    La détection d'un signal exploitable n'a rien d'évident car il se comporte un peu comme un bruit d'intensité extrêmement faible et ne peut être significatif avec une seule source. Mais en combinant les mesures de dizaines de pulsars, les perspectives sont bien meilleures car on ne peut attendre de chacun de ces astres qu'ils produisent un bruit de forme similaire au même moment sur Terre en particulier. Il existe ainsi en théorie une corrélation spatiale du signal provenant des divers pulsars se traduisant par ce que l'on appelle la courbe de Hellings et Downs, du nom des deux chercheurs américains qui ont les premiers formulé cette propriété en 1983, et qui permet d'affirmer que l'on est bien en présence des perturbations causées par le passage d'une onde gravitationnelle de très grande longueur d'onde dans le Système solaireSystème solaire et la Voie lactée.

    En pratique, les astrophysiciens cherchent à détecter un signal dans une bande de fréquence de l'ordre du milliardième de HertzHertz, alors que Ligo et Virgo cherchent des signaux dont les fréquences sont de l'ordre de quelques centaines de Hertz. Remarquablement, le signal potentiel capté par les chercheurs européens ressemble à celui des chercheurs états-uniens.

    Mais, là aussi, il est encore trop tôt pour parler d'une découverte, même si la combinaison des deux recherches est encourageante.


    Les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs peut-être découvertes grâce à Arecibo

    Article de Laurent Sacco publié le 14/01/2021

    Il existe probablement un fond cosmologique chaotique d'ondes gravitationnelles provenant de diverses sources, en particulier les trous noirs supermassifs binaires. Une astuce ingénieuse pour les détecter, en ayant observé avec le radiotélescope d'Arecibo des dizaines de pulsars dans la Voie lactée pendant plus d'une décennie, commence peut-être à payer.

    Une vue du radiotélescope d'Arecibo avant sa destruction. © University of Central Florida.
    Une vue du radiotélescope d'Arecibo avant sa destruction. © University of Central Florida.

    On se souvient de la consternation ressentie en novembre 2020 lors de la destruction de l'Observatoire d'Arecibo. Ce géant de la radioastronomie était entré en service en 1963, pendant la décennie où le programme Seti a pris son essor. Il va y contribuer significativement mais c'est surtout la découverte des pulsars en 1967 qui va lui permettre de marquer l'histoire de l'Humanité. Ces astres sont les étoiles à neutrons théorisées au cours des années 1930, ce qui veut dire qu'elles sont des résidus d'étoiles mortes qui ont explosé sous forme de supernovaesupernovae de type SNSN II. Il s'agit donc d'astres compacts de quelques dizaines de kilomètres de diamètre, contenant de l'ordre de quelques masses solaires tout au plus.


    Extrait du documentaire Du Big Bang au vivant, associé au site du même nom, un projet multiplateforme francophone sur la cosmologie contemporaine. Jean-Pierre Luminet parle de la mort des étoiles massives, leur explosion en supernova et la formation de pulsars. © ECP Productions, YouTube

    Les étoiles à neutrons possédant un fort champ magnétique et étant en rotation rapide, on peut montrer qu'elles vont générer des ondes radio focalisées et se comporter comme une sorte de phare. Lorsque le faisceau d'ondes d'une de ces balises cosmiques intercepte le Système solaire, un radiotélescope va donc enregistrer à répétition un flashflash périodique pulsant, à tel point que l'on peut utiliser les pulsars comme des horloges cosmiques très stables, avec une fréquence propre caractéristique. On pourrait donc s'en servir pour se repérer lors de voyages interplanétaires et même interstellaires.

    Si les premiers pulsars n'ont pas été découverts à Arecibo, ce sont ceux observés avec ce radiotélescope qui vont permettre la découverte indirecte des ondes gravitationnelles et l'étude des informations contenues dans ces ondes pour tester la relativité généralerelativité générale et ses alternatives afin de décrire une théorie relativiste de la gravitation telle celle dite « théorie de tenseurtenseur-scalaire ». Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, des astrophysiciens regroupés au sein de la collaboration NANOGrav (North American Nanohertz Observatory for Gravitationnal Waves) ont décidé de mettre à profit la population de pulsars détectés dans la Voie lactée pour pousser un cran plus loin le développement de l'astronomie des ondes gravitationnelles.


    Une présentation de NanoGrav. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PhysicistMichael

    Un fond stochastique d'ondes gravitationnelles

    Depuis environ 16 ans, ces chercheurs ont pris au sérieux la possibilité de détecter, avant la mission spatiale eLisa de l'ESA, qui ne devrait être opérationnelle qu'à l'horizon des années 2030, les ondes gravitationnelles à très basse fréquence (∼1-100 nHz) produites par des populations de paires de trous noirs supermassifs. Ces paires doivent se former à l'occasion de fusions de grandes galaxies conduisant, par la force de frictionfriction gravitationnelle du gaz d'étoiles dans ces galaxies sur leurs trous noirs supermassifs, à ce qu'ils tombent l'un vers l'autre au cœur des galaxies nouvellement formées par la fusion.

    Comme ces astres peuvent contenir des masses de quelques millions à quelques milliards de masses solaires en moyenne, ils produisent en couple un important rayonnement d'ondes gravitationnelles. Mais, comme ils sont considérablement plus distants les uns des autres que dans le cas des paires de trous noirs stellaires détectées par Ligo et Virgo, les périodes orbitales sont nettement plus longues selon les lois de Keplerlois de Kepler de sorte que le début du signal produit se fait effectivement dans une bande de très basses fréquences, qui ne sont vraiment détectables qu'avec eLisa.

    Plus généralement, un réseau de pulsars millisecondes devrait permettre de détecter à ces basses fréquences non seulement le fond stochastique d'ondes gravitationnelles résultant de la superposition des émissions de nombreuses paires de trous noirs supermassifs dans l'Univers observable mais peut-être aussi à ces fréquences les émissions de cordes cosmiques, ou celles résultant de processus cosmologiques très primitifs, comme des transitions de phases dans certains scénarios inflationnaires.


     

     

    Le Système solaire compressé et étiré par les ondes gravitationnelles

    Les idées derrière cette détection ne sont pas difficiles à comprendre. Lorsqu'une puissante onde gravitationnelle passe dans le Système solaire, elle doit compresser et étirer alternativement l'espace, de sorte que des ondes radio voyageant à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière et issues de pulsars vont mettre moins ou plus de temps respectivement pour atteindre un radiotélescope sur Terre. Si l'on mesure les signaux de plusieurs dizaines de pulsars millisecondes, on devrait avoir une distorsion bien précise des temps d'arrivée des impulsions radio de ces astres. Si l'on s'y prend bien, on doit donc pouvoir mettre en évidence le passage des ondes gravitationnelles à très basses fréquences du fond stochastique d'ondes gravitationnelles.

    Les membres de NANOGrav viennent donc de faire savoir, via un article que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv, qu'en analysant presque 13 années de données collectées avec le radiotélescope d'Arecibo mais aussi celui de Green Bank, et concernant 45 pulsars, ils commencent à voir un signal qui ressemble bel et bien à celui attendu en ce qui concerne les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs. Si tel est bien le cas, c'est vraiment un exploit car les écarts que l'on cherche à mesurer sur des temps d'arrivée sont de l'ordre de quelques centaines de nanosecondes et se produisent sur des échelles de temps de plusieurs années. Il faut aussi, évidemment, tenir compte de bien des perturbations, tant dans le Système solaire qu'au niveau des pulsars pour écarter raisonnablement des effets imitant le passage des ondes gravitationnelles.

    Plusieurs déclarations des membres montrent à la fois leur enthousiasme mais aussi leur prudence quant aux résultats obtenus.

    « Ces premiers indices alléchants d'un fond stochastique gravitationnel suggèrent que les trous noirs supermassifs fusionnent probablement et que nous flottons dans une mer d'ondes gravitationnelles ondulant à partir de fusions de trous noirs supermassifs dans les galaxies à travers l'Univers », déclare ainsi Julie Comerford, de l'Université du Colorado à Boulder.

    « Nous avons trouvé un signal fort dans notre ensemble de données, mais nous ne pouvons pas encore dire que ce soit le fond des ondes gravitationnelles », précise son collègue Joseph Simon, également à Boulder.

    Quant à Scott Ransom, de l'Observatoire national de radioastronomie des États-Unis, il ajoute que : « Essayer de détecter les ondes gravitationnelles avec un ensemble de pulsars demande de la patience. Nous analysons actuellement plus d'une douzaine d'années de données, mais une détection définitive en prendra probablement quelques autres. C'est formidable que ces nouveaux résultats correspondent exactement à ce à quoi nous nous attendrions à mesure que nous nous rapprochions d'une détection ».


    Des ondes gravitationnelles bientôt détectables grâce aux pulsars ?

    Article de Laurent Sacco publié le 20/11/2017

    Une équipe d'astrophysiciens vient de le confirmer : il devrait bientôt être possible d'observer les ondes gravitationnelles émises par les collisions de trous noirs supermassifs. Il serait même possible de le faire avant le lancement dans l'espace du détecteur eLisa grâce aux pulsars.

    La spectaculaire détection conjointe par Ligo et Virgo des ondes gravitationnelles émises par une kilonova a confirmé que nous étions pleinement rentrés dans l'ère de l'astronomie gravitationnelle. Toutefois, ces détecteurs, et ceux en constructionconstruction sur Terre utilisant le même schéma de fonctionnement, ne peuvent nous donner accès qu'à une certaine bande de fréquences, comme d'ailleurs tous les instruments basés sur les ondes électromagnétiques en astronomie (HubbleHubble ne peut pas voir dans le domaine des rayons Xrayons X par exemple et ChandraChandra ne peut pas voir dans le visible).

    Ainsi, les télescopes gravitationnels terrestres ne peuvent voir, pour l'essentiel, que les ondes générées par les cadavres d'objets stellaires formant des systèmes binairessystèmes binaires, à savoir des étoiles à neutrons et des trous noirs stellaires en train de se rapprocher peu avant de fusionner. Mais qu'en est-il des fusions de trous noirs supermassifs ? Si l'on veut les étudier, l'instrument le plus indiqué sera eLisa, que l'ESA devrait lancer dans l'espace dans les années 2030.

    Deux trous noirs supermassifs binaires observés aux rayons X (<em>X-ray</em>, en anglais sur les images) par Chandra et associés à des galaxies en interaction vues dans le visible (<em>optical</em>). © Nasa
    Deux trous noirs supermassifs binaires observés aux rayons X (X-ray, en anglais sur les images) par Chandra et associés à des galaxies en interaction vues dans le visible (optical). © Nasa

    Mieux comprendre les trous noirs supermassifs binaires

    Contenant plusieurs millions à plusieurs milliards de masses solaires, les trous noirs supermassifs sont des astres compacts. Il s'agit de sources d'ondes gravitationnelles très intenses. Ils sont donc facilement détectables, mais, comme les distances entre ces objets sont aussi plus grandes, les mouvements sont plus lents et les fréquences des ondes sont plus basses pendant des millions d'années avant que la fusion ne se produise.

    Nous savons qu'il y a des trous noirs supermassifs binaires dans l'univers observable. Ce sont, par exemple, les observations aux rayons X de Chandra et celles dans le domaine radio du VLBA qui nous le disent. Ces trous noirs résultent de la fusion de deux grandes galaxies. Mais nous ne savons pas très bien comment ce phénomène se produit ni à quel rythme dans l'histoire du cosmos. Or, celui-ci doit jouer un rôle important dans l'histoire des galaxies et, ne serait-ce que de ce point de vue, il est important de le connaître plus en profondeur. L'astronomie gravitationnelle devrait nous y aider.

    Les pulsars, des horloges sensibles aux ondes gravitationnelles

    Faut-il attendre encore une quinzaine d'années, voire plus en cas de retard du projet eLisa, pour commencer à avoir des réponses à ce sujet ? Peut-être que non, si l'on en croit un article publié dans Nature Astronomy et disponible sur arXiv. Celui-ci provient de membres du North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NanoGrav), un consortium de radioastronomes et de physiciens des ondes gravitationnelles dont le but est de détecter les ondes gravitationnelles en utilisant un réseau de pulsars millisecondes comme horloges.

    Ces balises radio fonctionnant comme des phares cosmiques doivent pour cela être observées avec une très grande précision. Une campagne a déjà été menée dans ce sens pendant une duréedurée de neuf ans avec deux des radiotélescopes les plus sensibles sur Terre, le Green Bank Telescope, en Virginie-Occidentale, et l'observatoire d'Arecibo, à Porto Rico (tous les deux aux États-Unis). Cinquante-quatre pulsars sont actuellement observés avec le même objectif et, selon les chercheurs, on pourrait bien détecter les ondes gravitationnelles produites par au moins un trou noir supermassif binaire au cours de la prochaine décennie.

    Une modification de la distance entre le Système solaire et les pulsars

    L'idée derrière cette détection, comme expliqué dans la vidéo ci-dessus, est que le passage d'une onde gravitationnelle va modifier la distance entre le Système solaire et les pulsars. Ainsi, les flashs radio particulièrement stables de ces pulsars vont présenter une anomalieanomalie dans leurs temps d'arrivée. L'analyse des décalages dans ces temps trahira le passage d'une onde gravitationnelle d'une forme donnée.

    Dans le travail qu'ils viennent de publier, les chercheurs de NanoGrav ont voulu préciser les chances d'observer ces anomalies dans les années à venir, et donc les chances d'estimer le nombre de trous noirs supermassifs binaires susceptibles d'émettre des signaux mesurables. Nous devrions commencer à pouvoir le faire quelques millions d'années avant la fusion de ces trous noirs, selon les astrophysiciens. Le phénomène est lent parce que les distances à parcourir sont grandes lors des fusions de galaxies qui prennent des centaines de millions d'années.

    Pour arriver au résultat recherché, il a fallu combiner des observations de galaxies menées dans le cadre du 2 MicronMicron All-Sky Survey (2Mass) et des résultats de la simulation Illustris concernant les galaxies et les grandes structures que ces dernières forment. Il semble que, dans un échantillon de 5.000 galaxies proches de la Voie lactée, environ 90 trous noirs supermassifs binaires seraient sur le point d'entrer en collision.