Jack Steinberger est un des géants de la physique des particules du XXe siècle. Ses travaux, qui lui ont valu le prix Nobel de physique, ont permis de construire le modèle standard de la physique en mettant notamment en évidence un deuxième type de neutrinos. Il vient de décéder à 99 ans.


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    Au début des années 1930, les physiciensphysiciens étaient confrontés à une énigme si troublante avec la radioactivité bêtabêta que Niels BohrNiels Bohr lui-même en était venu à douter de la loi de la conservation de l'énergie, l'une des lois les plus fondamentales de la physique. Beaucoup plus conservateur que Bohr qui a fondé la théorie quantique de l'atome en remettant en cause la physique classique, Wolfgang Pauli préfère, lui, conserver cette loi basée sur une symétrie fondamentale de l'espace-temps en postulant l'existence d'une nouvelle particule emportant l'énergie manquante. Mais il doit pour cela lui dénier l'existence d'une charge, probablement d'une massemasse propre et admettre qu'elle est tellement fantomatique, qu'elle n'interagit que très peu avec la matièrematière.


    Olivier Drapier, chercheur au Laboratoire Leprince-Ringuet de l’École polytechnique, CNRS, nous parle des neutrinos, ces particules de matière que l'on peut utiliser pour étudier les étoiles et l'Univers. © École polytechnique

    On pourrait croire qu'il s'agissait d'épicycles pour refuser de voir en face la nécessité d'un changement de paradigme en physique, tout comme on le reproche aux tenants du modèle de la matière noirematière noire froide. Mais la particule de Pauli existe bel et bien, baptisée « neutrino » (en italien : petit neutronneutron) par le physicien italien Edoardo Amaldi en plaisantant lors d'une conversation avec Enrico Fermi pour la distinguer du neutron, beaucoup plus massif, qui venait d'être découvert en 1932 par James Chadwick. Elle sera découverte expérimentalement en 1956, par Frederick Reines et Clyde Cowan, auprès d'un réacteur nucléaire.

    Trois familles de neutrinos dans le cosmos observable

    On apprend aujourd'hui le décès d'un des élèves de Fermi après la seconde guerre mondiale, le prix Nobel de physique Jack Steinberger. En compagnie d'un autre célèbre élève de Fermi dont Futura avait également annoncé le décès, Leon M. Lederman (1922-2018), il avait démontré en 1962 avec Melvin Schwartz (1932-2006) qu'il existait un deuxième type de neutrino associé à un cousin lourd de l'électronélectron, le muonmuon.

     Léon Lederman (à gauche), Mel Schwartz (à droite) et Jack Steinberger ont reçu le prix Nobel de physique de 1988 pour leur expérience de 1962 à Brookhaven qui a démontré que les neutrinos ne sont pas tous du même type. © Cern
    Léon Lederman (à gauche), Mel Schwartz (à droite) et Jack Steinberger ont reçu le prix Nobel de physique de 1988 pour leur expérience de 1962 à Brookhaven qui a démontré que les neutrinos ne sont pas tous du même type. © Cern

    Auteur d'un célèbre cours sur l’électromagnétisme, et d'origine juive tout comme Lederman et Steinberger, Melvin Schwartz recevra avec eux le Prix Nobel en 1988 pour cette découverte. Elle a ouvert la porteporte à d'autres, celle du modèle électrofaible, d'une troisième famille de leptonlepton avec la mise en évidence d'un troisième neutrino associé à un autre lepton lourd après le muon, le taon, comme l'a montré le Prix Nobel Martin Perl (1927-2014).

    Ces trois types de neutrinosneutrinos vont donner la solution de l’énigme des neutrinos solaires en permettant l’existence d’un mécanisme d’oscillation, les convertissant les uns dans les autres. La physique des neutrinos explorée par Steinberger continue intensivement d'être étudiée aujourd'hui, notamment pour faire de l'astronomie multimessager, avec des détecteurs comme IceCube et en rapport avec les trous noirs supermassifs.

    On comprend donc que c'est la disparition d'un des géants de la physique des particules du XXe siècle qui vient d'être annoncée sur le compte TwitterTwitter de la fondation Nobel.

    De la chimie à la transition énergétique avec l'énergie nucléaire

    Hans Jakob Steinberger était né le 25 mai 1921 à Bad Kissingen, en Bavière, mais la promulgation de lois interdisant aux enfants juifs de fréquenter les écoles publiques et de poursuivre des études supérieures va conduire ses parents à l'envoyer aux États-Unis, profitant de l'aide des associations caritatives juives américaines. Il commencera à faire des études supérieures en chimiechimie et en physique à l'université de Chicago avant de rejoindre l'armée en 1941, qui l'envoya au Massachusetts Institute of Technology, le mythique MIT, pour étudier la physique afin qu'il puisse travailler sur le développement du radar pour effectuer des bombardements.

    Après la guerre, il est retourné à l'université de Chicago pour passer un doctorat en physique expérimentale sous la direction d'Enrico FermiEnrico Fermi et du père de la bombe H, Edward Teller. L'ayant obtenu en 1948, il a ensuite passé un an à l'Institute for Advanced Study de Princeton pour étudier la physique théorique sous la direction de J. Robert Oppenheimer. Steinberger rejoindra ensuite l'université de ColumbiaColumbia en 1950 pour y faire les découvertes qui lui vaudront le prix Nobel et contribuer au développement des chambres à bulles qui ne seront remplacées que des décennies plus tard par les détecteurs héritiers de celui d'un autre Prix Nobel, Georges Charpak.

    En 1968, il s'installera définitivement au CernCern pour profiter de ce détecteur, aidant à l'essor de la physique du modèle standardmodèle standard, en participant par exemple aux premières expériences sur la violation de la symétrie CPviolation de la symétrie CP, en dirigeant l'expérience CDHS utilisant un faisceau de neutrinos produit avec le SPS pour sonder la matière et surtout comme porte-parole de l'expérience Aleph sur le grand collisionneur électron-positon remplacé ensuite par le LHCLHC, le LEPLEP, comme l'explique un précédent communiqué du Cern.

    Le communiqué relate aussi que, lors d'une réunion de lauréats du prix Nobel en 2008, Steinberger expliqua que les scientifiques devraient « s'intéresser à la nature », pas aux prix, et il ajouta : « la prétention que certains d'entre nous sont meilleurs que d'autres... je ne pense pas que ce soit une très bonne chose ». Son retrait de la frontière active de la recherche ne l'empêcha pas de continuer d'étudier beaucoup de domaines scientifiques, allant de la cosmologie aux changements climatiqueschangements climatiques.


    Une interview de Jack Steinberger en 2012. Le prix Nobel parle notamment de ses préoccupations concernant la transition énergétique dont il ne voit pas de solutions sans l'aide de l'énergie nucléaire. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © K1 Project Columbia University