Les ordinateurs quantiques font rêver mais il est probable qu'ils n'auront pas d'applications avant la fin de la décennie 2020. On ne sait pas encore quelle est la meilleure façon de les fabriquer, c'est pourquoi plusieurs voies sont explorées. L'une d'elles supposait la possibilité de produire de nouvelles particules quantiques, des quasi-particules et pas des particules fondamentales pour être exact, au nom exotique d'anyons non abéliens. Il semble que l'on a enfin créé et observé ces particules nécessaires pour obtenir des ordinateurs quantiques topologiques performants.


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    Il y a maintenant de nombreux groupes de recherches et des entreprises privées importantes (comme Google) ou sous forme de start-upstart-up (par exemple SiQuance) qui se sont lancés dans la course aux ordinateursordinateurs quantiques, ces machines de plus en plus mythiques dont l'un des pionniers au plan théorique dans les années 1980 a été le génial prix Nobel de physique Richard Feynman.

    On pense qu'au moins pour certains problèmes, des ordinateurs quantiques seront plus performants que des superordinateurssuperordinateurs manipulant des bits d'informations selon les lois de la mécanique classique. Certains de ces problèmes pourraient ainsi prendre des millénaires de temps de calculs alors que des ordinateurs, ou pour le moins des simulateurs quantiques spécialisés dans ces problèmes et utilisant là aussi des qubits d’informations manipulés en utilisant les lois de la mécanique quantique, effectueraient la même tâche en quelques secondes.

    On espère ainsi des progrès spectaculaires par exemple pour la conception de nouveaux médicaments, de batteries électriques innovantes ou de nouveaux matériaux pour l'industrie, voire même pour lutter contre le réchauffement climatique pour donner quelques idées des domaines qui pourraient être impactés.


    L’informatique quantique repose sur la surprenante capacité des particules subatomiques à exister dans plus d’un état simultanément. Exploitée dans le domaine de l’informatique, cette aptitude pourrait en effet permettre de résoudre les opérations bien plus rapidement tout en consommant moins d’énergie que les ordinateurs traditionnels. Un potentiel révolutionnaire ! Découvrez le témoignage de Landry Bretheau (École polytechnique - IP Paris). © Polytechnique Insights, Ecole polytechnique Executive Education

    Des quasi-particules quantiques pour de nouveaux ordinateurs quantiques

    Toutefois, ces révolutions supposent que l'on pourra avoir un grand nombre de qubits dans un état dit de superposition quantique, avec également de l'intrication quantique. Or, de tels états sont facilement détruits par la moindre perturbation, de sorte que les calculs deviennent rapidement impossibles car comportant notamment plein d'erreurs. C'est le phénomène de décohérence quantique contre lequel plusieurs solutions sont étudiées avec des machines fonctionnant sur divers principes. On peut aussi utiliser des codes correcteurs d'erreurscodes correcteurs d'erreurs.

    Parmi les voies explorées, il y a celle dont Futura parlait en détail dans le précédent article ci-dessous, la voie des ordinateurs quantiques topologiques. Elles supposaient l'existence de nouvelles particules quantiques pouvant apparaître en particulier dans les matériaux solides et que l'on appelle des quasi-particules.

    Il existe une jungle de ces particules en physique de la matièrematière condensée et, dans le cas présent, il s'agirait de quasi-particules qui ont été appelées des anyons par le prix Nobel de physique Frank Wilczek en 1982. Il se basait sur des travaux publiés en 1977 par deux physiciensphysiciens théoriciens travaillant à l'université d'Oslo, Jon Magne Leinaas et Jan Myrheim, qui ont montré que la classification traditionnelle des particules en fermionsfermions ou en bosonsbosons ne s'appliquerait pas si elles étaient réduites à se déplacer dans seulement deux dimensions, ou disons l'équivalent d'un volumevolume plat avec quelques atomesatomes d'épaisseur tout au plus, comme un feuillet de graphènegraphène par exemple.


    Découvrez le témoignage de Loic Henriet, Chief Technology Officer chez Pasqal, société fondée en 2019 et spécialisée dans l'informatique quantique, qui travaille sur la mise au point d'un ordinateur quantique à atomes neutres. © Polytechnique Insights, Ecole Polytechnique Executive Education

    Des anyons non abéliens avec des pièges à ions

    Les quasi-particules quantiques ne sont pas des particules fondamentales comme on pense que le sont des électronsélectrons ou des quarksquarks, bien que la question reste ouverte car on a envisagé qu'ils soient précisément des sortes de quasi-particules de l'espace-temps quantique. L'exemple le plus simple à comprendre des quasi-particules, c'est celui des phononsphonons dans un solide - par exemple un cristal simple dont les atomes peuvent effectuer des mouvementsmouvements de vibrationvibration autour d'une position d'équilibre dans le réseau d'atome. Les lois de la mécanique quantique imposent à l'énergieénergie de ces vibrations d'être quantifiées, de sorte que des ondes sonoresondes sonores dans le cristal peuvent être vues comme l'équivalent des paquetspaquets de photonsphotons formant les ondes lumineuses, ces paquets d'énergie sonique sont donc tout naturellement appelés des phonons.

    Pour les ordinateurs topologiques, qui seraient donc particulièrement aptes à lutter contre la décohérence, il faudrait pouvoir disposer de ce que l'on appelle en fait des « anyons non abéliens » qui jusqu'à présent n'avaient pas vraiment été observés de façon solide, contrairement à leur version dite abélienne.

    Il est donc particulièrement intéressant d'apprendre qu'une équipe de physiciens de l'université de Harvard menée par Ashvin Vishwanath et travaillant avec des chercheurs de la compagnie Quantinuum a publié un article dans Nature qui annonce précisément la première démonstration de l'existence d'anyons non abéliens dans un circuit quantique utilisant des ionsions piégés. Une version en accès libre de cet article se trouve sur arXiv.

    Le circuit est le processeur H2 de Quantinuum, avec un réseau de 32 ions piégés dont 27 ont été utilisés dans le travail publié.

    Au centre de l'image, le processeur H2 dans sa chambre à vide. © <em>2024 by Quantinuum Ltd. All rights reserved</em>
    Au centre de l'image, le processeur H2 dans sa chambre à vide. © 2024 by Quantinuum Ltd. All rights reserved

    En fait, la publication récente dans Nature ne fait que confirmer la découverte qui avait déjà été rendue publique en mai 2023, peu de temps avant que les chercheurs de Google ne publient un article dans Nature annonçant qu'ils pensaient, eux aussi, avoir créé des états quantiques d'anyons non abéliens.


    Ordinateur quantique : les anyons seraient observables dans le graphène

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, paru le 31 mars 2018

    La voie conduisant aux ordinateurs quantiques est verrouillée par la décohérence. Mais si l'on arrivait à démontrer l'existence de nouvelles particules quantiques dans le graphène, cela permettrait peut-être de fabriquer des ordinateurs quantiques topologiques. Or, ces particules, appelées anyons, pourraient être observées avec un microscope à effet tunnelmicroscope à effet tunnel.

    Depuis quelques années, il semble que le domaine des ordinateurs quantiques progresse plus vite que prévu. Il y a probablement encore loin de la coupe aux lèvres, même si quelques applicationsapplications intéressantes dans le domaine des simulateurs quantiques vont sans doute voir le jour. GoogleGoogle et IBM, en tout cas, semblent croire que le jeu en vaut la chandelle puisqu'ils se sont lancés dans la course à ces machines.

    Toujours est-il que le fameux problème de la décohérence reste formidable. Un ordinateur ou un calculateur quantiquecalculateur quantique (sur lequel on ne peut pas programmer n'importe quel algorithme) a besoin de beaucoup de qubits dans un état de superposition quantique, comme on dit, pour fonctionner et battre des machines dont les calculs reposent sur les lois de la physique classique. En gros, cela revient à construire un imposant château de cartes : plus celui-ci est grand, plus il est fragile et plus il a de chances de s'effondrer avant d'être terminé. De même, plus les états quantiques des bits d'information sont nombreux, plus les perturbations de l'environnement, la chaleurchaleur, la lumièrelumière, etc. vont supprimer rapidement la superposition de ces états. Ainsi, les calculs que certains tentent de faire avec de tels ordinateurs n'auront pas le temps de se terminer, ou, tout simplement, le taux d'erreurstaux d'erreurs va devenir si grand que les résultats ne seront pas fiables.

    Certains essayent donc trouver des techniques qui permettraient de corriger ces erreurs et, surtout, d'isoler le cœur des machines où s'effectuent les calculs des effets de décohérence de l'environnement. Une des pistes explorées consisterait à utiliser, en quelque sorte, des qubits portés par des quasi-particules plus ou moins hypothétiques appelées « anyons », en exploitant des propriétés mathématiques des équationséquations décrivant ces objets et qui sont du ressort du domaine des mathématiques appelé « topologie ». Cela permet d'imaginer des machines appelées « ordinateurs quantiques topologiques ».


    John Preskill est un grand spécialiste de l'informatique quantique. Il explique dans cette vidéo le concept d'ordinateur quantique topologique avec des anyons. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais apparaissent alors. Cliquez ensuite sur la roue dentée à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Muon Ray

    Des ordinateurs quantiques topologiques protégés contre la décohérence

    Avant d'examiner le concept d'anyons, voyons un peu ce qu'est un ordinateur quantique topologique. Imaginons une série d'électrons en rang sur une droite et qui se comportent un peu comme des toupies en rotation : on attribue un « 1 » à l'électron lorsque la toupie tourne dans un sens autour de la verticale et un « 0 » lorsque que celle-ci tourne dans l'autre sens. Un calcul quantique peut se voir comme une série d'opérations de basculement dans le temps du sens de rotation de ces électrons.

    Construisons un diagramme d'espace-tempsdiagramme d'espace-temps (voir la vidéo ci-dessus) en empilant selon la verticale les valeurs portées par les électrons selon un axe décrivant l'écoulement du temps. La mécanique quantique nous dit que les électrons sont en fait des particules indiscernables et que l'on peut permuter les positions occupées par ces électrons ; ainsi, on peut, au final, décrire les calculs quantiques effectués comme des séries de trajectoires avec permutations pour ces particules dans le diagramme d'espace-temps, du passé vers le futur. On aboutit alors à des sortes de tresses (braids en anglais dans la vidéo ci-dessus), des nœudsnœuds, décrivant des histoires possibles pour les calculs quantiques. Or, la topologie nous apprend que l'on peut déformer continûment certaines de ces tresses en d'autres et pas dans toutes. Il y a donc des règles qui limitent et stabilisent en quelque sorte les transformations possibles sur les états des qubits d'informations portés par les électrons en rotation, techniquement par l'état de leur spinspin, leur moment cinétiquemoment cinétique.

    Les physiciens se sont rendu compte que ces lois topologiques devaient aider à protéger de la décohérence des ordinateurs quantiques fonctionnant selon ces principes mais pas avec des électrons dans des conditions ordinaires. En fait, il faudrait alors faire appel à des quasi-particules appelées anyons, qui existent dans des systèmes relevant de la physique du solide en deux dimensions. En soi, l'utilisation de la topologie pour expliquer le comportement quantique de matériaux en physique du solide n'est pas nouveau et le prix Nobel de physique 2016 a même récompensé des travaux de chercheurs dans ce domaine.

    Voir aussi

    Le Nobel de physique 2016 va aux maîtres de la topologie des matériaux exotiques

    Parlons donc maintenant des anyons. D'ordinaire, la théorie quantique nous dit que les particules se répartissent en deux classes :

    • les fermions ;
    • les bosons.

    On peut décrire l'état d'un groupe d'électrons (des fermions) ou de photons (des bosons) par un objet mathématique appelé « fonction d'onde » ou encore « vecteur d'état ». Cet objet a un comportement précis lorsque l'on permute les particules dans un de ces groupes, même si ces particules sont considérées comme indiscernables. En fait, on peut dire qu'il apparaît une dépendance à une quantité qui se comporte comme une fonction trigonométrique dépendant d'un angle, qui prend une seule valeur pour les fermions et une seule autre valeur pour les bosons.

    Des anyons non abéliens visibles dans le graphène grâce à l'effet tunnel ?

    Coutumier des appellations de nouvelles particules en physique quantiquephysique quantique, le prix Nobel de physique Frank Wilczek (à qui on devait déjà le nom d'axionaxion pour des particules encore hypothétiques) a proposé d'appeler « anyons » des quasi-particules dont l'existence avait été postulée par lui et ses collègues Daniel Arovas et Robert Schrieffer en 1984. Il s'agissait de rendre compte de l'effet Hall quantiqueeffet Hall quantique fractionnaire dans des systèmes physiques que l'on peut considérer comme à deux dimensions en physique du solide. Techniquement ni des fermions ni des bosons, leur fonction d'onde pouvait dépendre d'un angle arbitraire (any angle en anglais) lors d'une permutation, d'où le terme « anyon ».

    Voir aussi

    Stupéfiant : un effet Hall quantique à température ambiante !

    On soupçonne que des anyons pourraient être produits dans un célèbre système 2D en physique du solide : le graphène. Mais cela reste à prouver. Or, justement, Zlatko Papić, de l'université de Leeds, Roger Mong, de l'université de Pittsburgh, et Ali Yazdani et Michael Zaletel, de l'université de Princeton, ont fait des calculs et des simulations sur ordinateur, qu'ils exposent dans un article sur arXiv. Ceux-ci suggèrent que l'on pourrait obtenir des preuves de l'existence des anyons dans le graphène en utilisant un microscope à effet tunnel. La technique permettrait même d'identifier la présence soit des anyons dits « abéliens », soit des anyons dits « non abéliens » (ces termes renvoient à des objets en mathématiques, des groupes décrivant des opérations commutatives dans le premier cas et des opérations non commutatives dans le second cas).

    Il faudrait pouvoir prouver l'existence d'anyons non abéliens dans le graphène pour que la voie menant à des ordinateurs quantiques topologiques soit ouverte à l'exploration, à défaut de garantir une percée fondamentale.


     

    Ici, une vue d'artiste du graphène pour une nouvelle électronique. © fotoplot, Fotolia
    Ici, une vue d'artiste du graphène pour une nouvelle électronique. © fotoplot, Fotolia

     

    Informatique quantique : une nouvelle révolution grâce au graphène

    Article de Emma HollenEmma Hollen publié le 02/10/2020

    Le graphène a su mille et une fois éblouir les chercheurs par ses qualités multiples et étonnantes. Dernièrement, il est venu à la rescousse des chercheurs en informatique quantique, en leur offrant un instrument de mesure plus rapide et efficace.

    L'informatique quantique est une discipline complexe, mettant à l'épreuve la minutie et la patience des chercheurs. À son opposé, le graphène ne cesse d'émerveiller les scientifiques par sa polyvalence et ses extraordinaires propriétés électriques, chimiques, quantiques, mécaniques, optiques ou encore magnétiques. Son isolationisolation et sa caractérisation en 2004 ont valu un prix Nobel aux physiciens Andre Geim et Konstantin Novoselov, et depuis, la ruée vers le graphène n'a cessé de prendre de la vitesse. Alors, que se passe-t-il lorsque l'on mêle ce fantastique matériaumatériau à l'informatique quantique ?

    Grâce au graphène, les physiciens de l'université Aalto et du centre de recherche technique (VTT) en Finlande sont parvenus à développer un nouveau détecteur capable de mesurer des quanta (paquets) d'énergie à une résolutionrésolution jusque-là inégalée. Baptisé bolomètrebolomètre, ce type de détecteur a été inventé en 1878 afin de mesurer le rayonnement électromagnétique solaire. Depuis, ses usages ont évolué vers le domaine microscopique, jusqu'à déboucher dans l'infiniment petit.

    Bolomètre « toile d'araignée » servant à la mesure du rayonnement diffus. © Nasa, JPL-Caltech
    Bolomètre « toile d'araignée » servant à la mesure du rayonnement diffus. © Nasa, JPL-Caltech

    La réponse dans les bolomètres

    Le groupe de recherche du professeur Mikko Möttönen a étudié son application en informatique quantique au cours de la dernière décennie et est désormais capable de produire un détecteur doté d'une performance équivalente aux modèles utilisés sur les ordinateurs quantiques actuels.

    « C'est incroyable de voir à quel point nous avons été capables d'améliorer les caractéristiques de notre bolomètre d'année en année. Désormais, nous embarquons pour une aventure excitante au cœur des appareils quantiques », s'enthousiasme Möttönen, auteur principal de la nouvelle étude parue dans la revue Nature.

    Mesurer sans bousculer

    Afin de fonctionner, un ordinateur quantique doit pouvoir sonder la quantité d'énergie des qubits, comme un ordinateur classique doit être en mesure de savoir s'il a affaire à un 1 ou à un 0. Néanmoins, mesurer le voltage d'un qubit est un exercice un peu plus compliqué. Afin d'être détectable, le signal doit être amplifié par un circuit consommant beaucoup d'électricité et limitant la viabilité du système à plus grande échelle, tant par sa taille que par les perturbations qu'il introduit dans l'état quantique des qubits.

    Grâce aux bolomètres, l'équipe de Möttönen espère contourner le problème en fournissant une solution moins gourmande en énergie et en espace, et plus rapide grâce à l'intervention du graphène. En effet, ce dernier chauffe si rapidement qu'il est un détecteur idéal pour ce type de mesure, 100 fois plus rapide que l'alliagealliage d'or-palladiumpalladium habituellement utilisé, et capable d'effectuer son travail en introduisant un minimum de perturbations. Les chercheurs espèrent que cette nouvelle avancée permettra d'alléger les contraintes techniques de l'informatique quantique et de lui faire prendre de la vitessevitesse.