Au sein du deuxième amas de galaxies le plus proche de la Terre connu sous le nom d'amas du Fourneau, des galaxies naines apparaissent particulièrement déformées par les effets de marée. Selon des chercheurs, elles remettraient en question le modèle standard de la cosmologie.


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    Décrite dans les années 1970 pour expliquer la courbe de rotation des galaxies spirales, la matière noire est supposée entourer toutes les galaxies, sous forme d'un halo invisible. Son existence était déjà soupçonnée dans les années 1930, lorsque l'astronomeastronome Fritz Zwicky compara la masse lumineuse d'un amas de galaxies, calculée à partir des galaxies qui les composent, avec sa masse dynamique, calculée à partir de leur dispersion des vitesses. Cette masse dynamique, qui représente l'influence gravitationnelle exercée au sein de l'amas, était bien trop élevée par rapport à la masse lumineuse. D'où l'idée d'une matière invisible, appelée matière noire, ou matière sombrematière sombre. D'après le modèle standardmodèle standard cosmologique, cette matière n'est sensible qu'à la gravitationgravitation, contrairement à la matière ordinaire. C'est pourquoi elle n'a à ce jour pas été détectée.

    Mais une autre théorie permet aussi d'expliquer la courbe de rotation des galaxies spiralesgalaxies spirales. Nommée « théorie Mond » pour théorie de la dynamique de NewtonNewton modifiée, ou dynamique milgromienne en l'honneur de son inventeur le physicienphysicien Mordehai Milgrom qui l'établit en 1983, elle suppose que lorsque la gravitégravité est faible (comme pour des étoilesétoiles éloignées du centre de la galaxie), les lois de la mécanique changent. Lorsque des observations astronomiques la contredisent, elle s'y adapte, et pour l'instant, elle rend aussi compte des phénomènes qui pourraient témoigner de la présence de matière noire. Et une nouvelle étude publiée dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society et disponible sur arXiv va dans son sens.

    La courbe de rotation prévue par les équations de Newton (A) et la courbe observée (B), en fonction de la distance au centre de la galaxie. © William Crochot, Wikimedia Commons
    La courbe de rotation prévue par les équations de Newton (A) et la courbe observée (B), en fonction de la distance au centre de la galaxie. © William Crochot, Wikimedia Commons

    Les galaxies naines de l'amas du Fourneau apparaissent trop déformées

    Les astrophysiciensastrophysiciens des universités de Bonn en Allemagne et Saint Andrews en Écosse ont pour ça étudié le deuxième amas de galaxies le plus proche de la Terre : l'amas du Fourneau, ou amas Fornax. Situé à 62 millions d'années-lumièreannées-lumière de la Terre, il contient 58 galaxies, ce qui le qualifie plutôt de « groupe de galaxiesgroupe de galaxies » plutôt que d'amas, la limite se trouvant environ à 100 galaxies. Il abrite de nombreuses galaxies nainesgalaxies naines, des petites galaxies de moins de 40.000 années-lumière de diamètre et contenant « peu » d'étoiles comparativement aux galaxies classiques (moins d'un milliard).

    Mais, la particularité de cet amas réside dans la forme des galaxies naines qu'il contient : celles-ci apparaissent distordues, comme si les effets de maréemarée les avaient déformées. Un tel phénomène est possible car les galaxies naines subissent l'influence gravitationnelle de leurs compagnes plus massives, mais les déformations constatées par les chercheurs sont trop grandes. « De telles perturbations dans les naines du Fourneau ne sont pas attendues selon le modèle standard », a déclaré Pavel Kroupa, co-auteur de l'étude et professeur à l'université de Bonn. « En effet, selon le modèle standard, les halos de matière noire de ces naines devraient en partie les protéger des marées soulevées par l'amas. »

    L'une des galaxies naines de l'amas du Fourneau. © ESO
    L'une des galaxies naines de l'amas du Fourneau. © ESO

    La théorie Mond permet d'expliquer les déformations, à l'inverse du modèle standard

    Pour expliquer ces déformations, l'équipe a décidé de simuler les perturbations subies par les galaxies naines, en utilisant les deux théories concurrentes : le modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie, et la théorie Mond« Nous introduisons une manière innovante de tester le modèle standard basé sur la quantité de galaxies naines perturbées par les marées gravitationnelles des galaxies plus grandes à proximité », a déclaré Elena Asencio, première auteure de l'étude et titulaire d'un doctorat obtenu à l'université de Bonn. Ils ont ensuite comparé les résultats obtenus à des observations effectuées par le Very Large TelescopeVery Large Telescope (VLT) situé au Chili.

    Or, Elena Asencio précise que « la comparaison a montré que, si l'on veut expliquer les observations dans le modèle standard, les galaxies naines du Fourneau devraient déjà être détruites par gravité depuis le centre de l'amas, même lorsque les marées qu'elle soulève sur une naine sont soixante-quatre fois plus faibles que la propre gravité de la galaxie naine ». Et cela contredit les études antérieures, qui estimaient à l'équivalent de l'autogravité de la galaxie la force nécessaire pour la déformer. Le modèle standard ne peut donc pas expliquer les déformations observées, selon les chercheurs.

    Toutefois, lorsque les auteurs ont effectué une comparaison similaire, mais cette fois avec la dynamique milgromienne, la morphologiemorphologie obtenue par les simulations et les observations ont concordé. « Nous n'étions pas sûrs que les galaxies naines seraient capables de survivre à l'environnement extrême d'un amas de galaxies dans le Mond, en raison de l'absence de halos protecteurs de matière noire dans ce modèle », a déclaré le Dr Indranil Banik, co-auteur de l'étude et chercheur à l'université de St Andrews. « Mais nos résultats montrent un accord remarquable entre les observations et les attentes du Mond pour le niveau de perturbation des galaxies naines du Fourneau. »

    De quoi questionner le modèle standard, qui reste tout de même grand favori. Selon Pavel Kroupa, co-auteur de l'étude et chercheur à l'université de Bonn, « le nombre de publications montrant des incompatibilités entre les observations et le paradigme de la matière noire ne cesse d'augmenter chaque année. Il est temps de commencer à investir davantage de ressources dans des théories plus prometteuses ». Par la suite, l'équipe compte se pencher sur d'autres galaxies naines ou amas de galaxies.