L'étude des isotopes de l'hydrogène dans les météorites martiennes renseigne sur l'origine de son eau. Il semble maintenant que cette origine soit plus complexe que dans le cas de la Terre et cela pose des contraintes sur les modèles de la formation et de l'évolution de la Planète rouge.


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    Nous savons bien que l'eau sur Terre est essentielle à la vie telle que nous la connaissons et il est donc logique que dans son entreprise millénaire pour percer les secrets de son origine, l'Humanité se soit finalement dotée des outils scientifiques lui permettant d'étudier l'origine de l'eau de la Planète bleue. Avec l'avènement de l'ère spatiale, la planétologie comparée a pu naître et ce problème s'est plus généralement inscrit dans celui de l'origine des planètes du Système solaire.

    Il est devenu alors clair que pour comprendre l'origine de la vie sur Terre et sa place dans le cosmoscosmos observable, on pouvait se tourner vers l'étude de la Planète rouge, car là aussi de la vie pouvait être apparue. Les images transmises à la Terre par les sondes de sa noosphère montraient d'ailleurs des traces de l'écoulement d'importantes quantités d'eau au début de l'histoire de Mars et les robotsrobots arpentant son sol n'ont fait que confirmer la présence d'eau, encore aujourd'hui, sur cette planète. L'étude de l'origine de l'eau sur Mars pouvait donc être riche d'enseignements pour comprendre celle de la Terre et si des traces de vies, passées ou actuelles, pouvaient être découvertes, ce serait certainement une révolution pour l'exobiologie mais aussi nos conceptions philosophiques sur la place de l'Homme dans l'Univers.

    Un des plus puissants outils pour accomplir cette quête est la cosmochimie, elle-même héritière de la géochimie terrestre. L'étude des météorites y est très importante car elles sont des mémoires de l'histoire du Système solaire et des échantillons naturellement présents sur Terre des astéroïdes et même de la Lune et de Mars. Météorites et astéroïdes posent des contraintes sur la formation des planètes rocheusesplanètes rocheuses car nous savons qu'elles sont formées par accrétionaccrétion de ces matériaux qui sont nés à différents endroits dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire à l'origine des planètes. Or, il existait dans ce disque un gradientgradient thermique et aussi un gradient chimique qui imposaient des compositions différentes pour la naissance des petits corps célestes en fonction de leur distance au jeune SoleilSoleil qui vont ensuite servir de briques pour la fabrication des planètes. On sait ainsi que la Terre s'est probablement formée à partir de corps célestes dont la composition était similaire aux météorites connues sous le nom de chondrites à enstatite et que son eau a probablement été apportée, pour l'essentiel, par des astéroïdes et pas par des comètescomètes.

    Mais qu'en est-il pour Mars ? Comment s'est-elle vraiment formée, a-t-elle subi une collision majeure comme ce fut le cas pour la Terre avec ThéiaThéia, collision qui fut à l'origine de la Lune ? D'où vient son eau ?


    « La géochimie et la cosmochimie, c'est l'étude des éléments chimiques pour comprendre l'histoire de la Terre et des planètes... » Entretiens avec Manuel Moreira, professeur à l'Université Paris Diderot, et des membres de l'équipe. © Chaîne IPGP

    La cosmochimie de l'hydrogène, une clé de l'origine de l'eau des planètes

    Aujourd'hui une publication dans le journal Nature Geoscience par une équipe de cosmochimistes apporte de nouveaux éléments pour répondre à toutes ces questions. À la base, les chercheurs ont fait des mesures par spectrométrie de massespectrométrie de masse du rapport D/H dans différents échantillons d'une météorite martienne très célèbre sous le nom de Black Beauty mais que les experts appellent Northwest Africa 7034. Ce rapport est celui de deux isotopesisotopes de l'hydrogènehydrogène, H, avec comme noyau un seul protonproton, et D, le deutérium, avec comme noyau un proton et un neutronneutron. On utilise ce rapport connu dans les océans et les roches sur Terre pour le comparer à celui mesuré dans les comètes et les météorites pour tenter de comprendre l'origine de l'eau sur notre Planète. Il est donc logique de tenter de faire la même chose avec des météorites martiennes.

    Rappelons pour mémoire que l'on connaît environ 200 météorites martiennes qui se répartissent pour l'essentiel entre trois grandes classes appelées du nom des villages à proximité desquels des Hommes ont assisté à leur chute. Il y a ainsi eu la chute observée près du village français de Chassigny en 1815, celle de Shergotty en Inde (1865) et celle de Nakhla en Égypte (1911). 

    Il s'agit souvent de roches ignéesroches ignées qui se sont donc formées à partir du refroidissement d'un magmamagma, par exemple sous forme de laveslaves à la surface de Mars mais aussi dans son manteaumanteau. L'impact d'un petit corps céleste aurait à chaque fois été assez puissant pour éjecter dans l'espace des fragments de Mars portant ces roches. Dans certains cas, on a ainsi trouvé des bulles de gaz piégées dans ces fragments trouvés sur Terre dont la composition était proche de celle de l'atmosphèreatmosphère martienne connue depuis les missions Viking. C'est une des raisons qui font penser que l'on est bien en présence d'échantillons naturels de la Planète rouge sur notre Planète bleue. Le rapport D/H y est très différent de celui de l'atmosphère terrestre, il est plus élevé car les atomesatomes plus légers partent plus facilement dans l'espace que les plus lourds, de sorte qu'en perdant largement son atmosphère (et son eau) sous l'effet du vent solairevent solaire et à cause de sa faible gravitégravité, Mars s'est retrouvée avec un rapport D/H plus élevé.

    Black Beauty (Beauté noire) est un cas à part parmi ces météorites, c'est un exemple d'une roche que l'on classifierait sur Terre parmi les brèches, c'est-à-dire des assemblages soudés de fragments de différentes origines. Dans le cas présent, on peut donc penser que cette météorite est une sorte d'échantillonnageéchantillonnage naturel de différentes roches provenant de différentes locations et de différentes compositions à la surface de Mars. On peut espérer en tirer des conclusions assez générales quant à la composition de la croûtecroûte de Mars.

    <em>Northwest Africa 7034</em> (abrégé en NWA 7034) est une météorite martienne qui ne se classe dans aucune des trois catégories existantes pour ce type de météorites, le groupe SNC (Shergottites, Nakhlites, Chassignites). La plus ancienne météorite martienne découverte à ce jour a été surnommée <em>Black Beauty</em> (Beauté noire) et c'est une brèche. © Institute of Meteoritics UNM
    Northwest Africa 7034 (abrégé en NWA 7034) est une météorite martienne qui ne se classe dans aucune des trois catégories existantes pour ce type de météorites, le groupe SNC (Shergottites, Nakhlites, Chassignites). La plus ancienne météorite martienne découverte à ce jour a été surnommée Black Beauty (Beauté noire) et c'est une brèche. © Institute of Meteoritics UNM

    Jessica Barnes de l'University of Arizona Lunar and Planetary Laboratory et ses collègues ont aussi effectué des mesures du rapport D/H dans une autre météorite fameuse, Allan Hills 84001, dont on a cru un temps qu'elle contenait des microfossilesmicrofossiles, preuve d'une vie passée sur Mars. Cette météorite reflète également la composition de la croûte de Mars et, dans les deux cas, les données portent sur plusieurs milliards d'années de l'histoire de la Planète rouge.

    Des réservoirs d'eau d'origine complexe dans le manteau de Mars ?

    Les cosmochimistes ont alors découvert que le rapport D/H moyen de la croûte était resté constant pendant cette période alors que celui de l'atmosphère de Mars évoluait et était différent. Or, cela allait à l'encontre des modèles précédemment considérés qui faisaient intervenir également la composition du manteau de Mars tirée de l'étude des météorites appelées des shergottitesshergottites.

    On pensait jusque-là que la composition du manteau de Mars était, tout comme dans le cas de la Terre homogène, avec un rapport D/H bien fixé et reflet de l'apport en eau lors de la formation des deux planètes. Selon les modèles traditionnels d'évolution chimique de Mars, la composition de sa croûte, reflet de roches ignées fondues issues du manteau et refroidies en surface sous forme de laves, devait être un mélange des apports en isotopes de l'hydrogène de son atmosphère et de son manteau et donc varier dans le temps. Le manteau lui-même ne devait quasiment pas évoluer car la croûte doit faire obstacle à un mélange avec l'atmosphère. En effet, il n'y a pas eu de tectonique des plaquestectonique des plaques sur Mars avec des plaques subductées dans le manteau.

    Toutefois, même si la composition moyenne globale de la croûte ne semble pas avoir évolué au cours du temps, on trouve des variations aléatoires des échantillons dans les météorites en ce qui concerne le rapport D/H. Pour les expliquer, Jessica Barnes et ses collègues ont réexaminé les données des shergottites pour constater qu'il en existe deux types chimiquement différents - les shergottites enrichies et les shergottites appauvries - qui contiennent de l'eau avec des rapports D/H différents. Les shergottites enrichies contiennent plus de deutérium que les shergottites appauvries, lesquelles ressemblent le plus à ce qui se mesure dans le cas de la Terre.

    « Il s'avère que si vous mélangez différentes proportions d'hydrogène à partir de ces deux types de shergottites, vous pouvez obtenir la valeur crustale », explique Jessica Barnes, ce qui fait qu'elle et ses collègues pensent que les shergottites enregistrent les signatures de deux réservoirs d'hydrogène - et, par extension, d'eau - à l'intérieur du manteau de Mars qui ne serait pas homogène.

    Ces nouvelles données posent de nouvelles contraintes sur la formation de Mars à partir d'au moins deux apports différents de matièrematière (par exemple Mars pourrait être le fruit d'une collision entre deux planètes dont les matériaux ne se sont pas complètement mélangés) et ne sont pas favorables à l'existence d'un océan de magma global, que l’on pense avoir existé sur la Terre et la Lune primitives par contre. En effet, la croûte et le manteau se seraient alors largement formés par refroidissement de cet océan dans lequel le mélange des isotopes de l'hydrogène semble inévitable jusqu'à homogénéisation.

    Incidemment, il est facile aujourd'hui de se procurer à bas prix des fragments de météorites martiennes avec deux adresses incontournables en France :