À l'occasion de l'anniversaire des 30 ans du télescope spatial Hubble, Roger-Maurice Bonnet, directeur du Programme scientifique de l’Agence spatiale européenne de 1983 à 2001, nous explique pourquoi la Nasa a embarqué l'ESA dans cette formidable aventure. Et les raisons sont moins scientifiques et technologiques qu'on pourrait le penser !


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    Aujourd'hui, la Nasa et l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) célèbrent les 30 ans du télescope spatial Hubble, l'observatoire spatial qui aura été le plus marquant de ces dernières décennies. Lorsqu'il est lancé en avril 1990, la Nasa et l'Agence spatiale européenne font deux paris. Le premier est technologique. Il s'agit de construire un télescope de grande dimension pour fonctionner en orbite et s'affranchir de la turbulence de l'atmosphèreatmosphère. Le second est scientifique. Sa fonction est de « mieux voir et voir plus loin dans l'Univers comment se forment les structures qui nous sont familières : les étoilesétoiles et leurs planètes, les galaxiesgalaxies, et l'évolution de l'Univers aussi loin que l'on puisse l'observer », nous explique Roger-Maurice BonnetRoger-Maurice Bonnet, directeur du Programme scientifique de l'Agence spatiale européenne de 1983 à 2001.

    Paris gagnés. Hubble fonctionnera 35 ans, bien au-delà des 15 ans de duréedurée de vie prévue et ses observations ont « révolutionné presque tous les domaines de l'astronomie, de la science planétaire à la cosmologiecosmologie », souligne Roger-Maurice Bonnet.

    Roger-Maurice Bonnet, directeur du Programme scientifique de l’Agence spatiale européenne de 1983 à 2001, photographié au Centre spatial Kennedy lors du lancement d'Hubble en avril 1990. Sous sa direction, le programme scientifique Horizon 2000 sera mis en place, dont les quatre missions phares, les pierres angulaires, allaient révolutionner l’astronomie moderne, chacune dans leur domaine (Soho/Cluster, XMM-Newton, Rosetta et Herschel/Planck). © ESA
    Roger-Maurice Bonnet, directeur du Programme scientifique de l’Agence spatiale européenne de 1983 à 2001, photographié au Centre spatial Kennedy lors du lancement d'Hubble en avril 1990. Sous sa direction, le programme scientifique Horizon 2000 sera mis en place, dont les quatre missions phares, les pierres angulaires, allaient révolutionner l’astronomie moderne, chacune dans leur domaine (Soho/Cluster, XMM-Newton, Rosetta et Herschel/Planck). © ESA

    L'Agence spatiale européenne est créée en 1975 sur les prémices de l'ESRO et de l'ELDO. À l'époque, son budget était de seulement un milliard de francs. Alors, lorsque la Nasa l'invite à rejoindre le programme du Large Space Telescope (LST) rebaptisé, en cours de développement, Hubble, beaucoup s'en étonnent d'autant plus que les « capacités européennes dans le domaine des sciences spatiales étaient modestes ». L'accord de partenariat entre les deux agences a été signé le 7 octobre 1977.

    Brider les capacités de développement de l'ESA

    Cette décision américaine repose sur des « considérations politiques plutôt que scientifiques et techniques ». À l'époque, le but était de « faire en sorte que l'ESA ne devienne une puissance spatiale concurrente de la Nasa ». En intégrant les Européens dans Hubble, les Américains pouvaient les contrôler pour « éviter qu'ils ne développent des technologies ou des capacités concurrentes de celles des États-Unis ». Cela se matérialisera quand il a fallu décider du rôle de l'ESA dans le projet.

    Dans les années 1970, le représentant de la Nasa confiait même qu'il « s'agissait d'un moyen d'orienter les travaux européens de R&D dans les domaines acceptés par les États-Unis ». Cela dit, sans cette participation européenne à Hubble, l'ESA aurait « effectivement lancé des programmes de développement propres à satisfaire en partie les besoins scientifiques de l'Europe » mais, il faut bien le reconnaître, il lui aurait été très difficile d'être au niveau des Américains en « raison de budgets très faibles, de débuts difficiles (de l'ESA) et du fait d'indéniables retards technologiques sur les États-Unis ». Il faut se souvenir qu'à l'époque de la création de l'ESA, l'Europe spatiale vivait une crise inquiétante, notamment en raison des déboires des lanceurslanceurs Europa 1 et Europa 2. Quant au programme scientifique, il est « demeuré timide pendant 13 ans » alors qu'aux États-Unis, se dessinaient Hubble, les sondes Voyager, une sonde solaire, l'exploration robotiquerobotique de Mars...

    Test de déploiement des panneaux solaires du télescope spatial Hubble (1985). Ces panneaux solaires sont une des deux contributions de l'Agence spatiale européenne au programme. Ils seront remplacés pour la troisième fois en mars 2002 lors de la seconde partie de la troisième mission de service. © ESA, Nasa
    Test de déploiement des panneaux solaires du télescope spatial Hubble (1985). Ces panneaux solaires sont une des deux contributions de l'Agence spatiale européenne au programme. Ils seront remplacés pour la troisième fois en mars 2002 lors de la seconde partie de la troisième mission de service. © ESA, Nasa

    Ce n'est seulement qu'au début des années 1980 que l'ESA amorcera une accélération de ses capacités et l'émergenceémergence d'une « Europe spatiale » en concurrence avec la Nasa. Un programme ambitieux et indépendant (reposant pour la première fois sur un lanceur européen, Ariane, et non américain) se met alors en place avec la mission Giotto de rencontre avec la comète de Halleycomète de Halley en 1986, puis la mise en place sur 20 ans du programme à long terme Horizon 2000.

    Dans le cadre du projet Hubble, pour éviter que l'ESA n'acquière la maîtrise de technologies jugées sensibles par les États-Unis ou développe un observatoire spatial, la participation de l'Europe se résumera à la fourniture d'équipements jugés non essentiels comme la « caméra pour objets faiblement lumineux, la FOC [Faint Object Camera], et les panneaux solaires qui fournissent l'alimentation électrique au satellite et à la charge utile ». Ce n'était pas le « summum de ce que l'ESA était capable de faire » ! Néanmoins, la FOC, qui sera remplacée en 2002 après quelque 7.000 clichés extrêmement nets de pratiquement toutes les catégories d'objets astronomiques, « représentait ce qu'il y avait de plus perfectionné dans les années 1980 ».

    Polissage du miroir primaire d'Hubble d'un diamètre de 2,4 m. Sa masse a pu être abaissée à 818 kg grâce à une structure interne en nid-d'abeilles. © Perkin-Elmer Corporation
    Polissage du miroir primaire d'Hubble d'un diamètre de 2,4 m. Sa masse a pu être abaissée à 818 kg grâce à une structure interne en nid-d'abeilles. © Perkin-Elmer Corporation

    D'Hubble aux observatoires ISO et Herschel

    En échange de cette contribution, l'ESA aurait dû recevoir 15 % du temps d'utilisation d'Hubble ». Dans les faits, en raison de la qualité des demandes d'observation des astronomesastronomes européens, la « part allouée aux scientifiques européens a été d'environ 20 % ». Pour les astronomes européens, cette participation à Hubble aura donc été très bénéfique en savoirs. Mais, tout a une fin, et cette période dorée s'arrêtera « en 2025 avec la désorbitation d'Hubble, faute de carburant ». Les astronomes européens n'auront pas nécessairement accès au même pourcentage des données du successeur de Hubble, l'Observatoire spatial James-Webb dont le lancement est prévu en mars 2021 par la fuséefusée Ariane 5. Toutefois, leurs compétences « renforcées par leur succès sur Hubble et les plus grands observatoires terrestresobservatoires terrestres laissent entrevoir une moisson très riche de résultats sur James-Webb », tient à préciser Roger-Maurice Bonnet.

    Le saviez-vous ?

    Seulement quelques semaines après la mise en service d'Hubble, les astronomes découvrent que les images transmises au sol sont anormalement floues ! Ce défaut d’optique sera corrigé par les astronautes de la Navette avec au premier rang des astronautes et des astronomes européens qui, en coopération avec leurs homologues américains, réussiront à corriger la myopie du télescope spatial grâce à la mise en place d’un système optique correcteur d’images permettant d’obtenir des informations d’une qualité encore inégalée aujourd’hui. Ce dispositif, baptisé Costar (Corrective optics space telescope axial replacement), sera développé et installé à la place du photomètre HPS lors de la première mission de maintenance en 1993.

    De leur participation à Hubble, qui recouvre les domaines de l'ultravioletultraviolet, de la lumièrelumière visible et de l'infrarougeinfrarouge proche, les astronomes européens ont pu pousser simultanément l'ESA à investir dans l'infrarouge lointain. Ainsi, naîtront les « observatoires ISO et Herschel conçus spécifiquement pour fonctionner dans ces domaines spectraux », qui permettront d'observer des phénomènes et des objets astrophysiquesastrophysiques qui compléteront ceux que peut voir Hubble avec une meilleure résolutionrésolution et une capacité renforcée dans l'infrarouge.