Si aujourd’hui le cinéma d’animation fait partie de notre vie quotidienne, de nombreux témoignages archéologiques permettent d’affirmer que l'être humain s’est attelé depuis la nuit des temps à transmettre une illusion de mouvement à des objets pourtant figés.


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    Lascaux, Chauvet, Pech Merle..., les amateurs d’art préhistorique reconnaîtront certainement ici les plus belles grottes ornées qui jalonnent le territoire français. Si la France possède de nombreux sites mondialement reconnus pour la qualité de leurs peintures et gravures, il en existe de très nombreux autres de par le monde. Représentations animales et humaines, scènes de chasse, empreintes de mains ou dessins abstraits..., l'art pariétal fascine par son réalisme et la finesse des détails qui y sont représentés. Mais aussi par la dose de mystère que renferment ces témoignages d'un autre temps.

    La volonté d’une représentation dynamique

    Bien que gravés dans la roche, ces dessins pourraient cependant être plus animés qu'il n'y paraît. Cette idée avait été présentée dans un précédent article (voir ci-dessous), suite à la découverte de plusieurs morceaux de roche sur lesquels étaient gravés d'étranges animaux. Une étude avait montré que vu sous la lumière d'un feu, ces dessins pouvaient donner l'impression de bouger, laissant suggérer une tentative volontaire de représentation dynamique. L'ancêtre des dessins animés, en quelque sorte. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un exemple unique. Sur le site archéologique de Shahr-e Sukhteh en Iran, l'analyse des dessins ornant un ancien pot en terre cuite avait rejoint cette idée.

    Vase datant de 5 200 ans et présentant une séquence de dessins qui donnent l'illusion que la chèvre est en train de sauter lorsque le vase est mis en rotation. © <em>National Museum of Iran</em>, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
    Vase datant de 5 200 ans et présentant une séquence de dessins qui donnent l'illusion que la chèvre est en train de sauter lorsque le vase est mis en rotation. © National Museum of Iran, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

    Cinq images présentant une chèvre en train de sauter y sont dessinées. Or, l'animal semble prendre vie lorsque l'on fait tourner le pot, un peu à l'image des premiers zootropes, ces jouets optiques inventés au XIXe siècle. Daté d'il y a 5 200 ans, cet objet serait ainsi considéré actuellement comme le plus vieil exemple de la mise en œuvre du concept d'animation basé sur la persistance de la vision.

    Exemple de zootrope. Lorsque le jouet est mis en rotation, l'observateur qui regarde à travers les fentes a l'illusion d'un mouvement. © Andrew Dunn, Wikimedia Commons, CC BY-SA 2.0
    Exemple de zootrope. Lorsque le jouet est mis en rotation, l'observateur qui regarde à travers les fentes a l'illusion d'un mouvement. © Andrew Dunn, Wikimedia Commons, CC BY-SA 2.0

    Dessins en séquence ou superposés pour créer une illusion de mouvement

    Mais il est fort à parier que les Hommes se sont depuis bien plus longtemps que cela intéressés au mouvement des animaux. Se pourrait-il alors que les grottes ornées présentent des captures de scènes en mouvement qui soient pour l'instant passées inaperçues ?

    C'est bien ce que pensent certains chercheurs et ce que laisse suggérer l'analyse de certaines peintures, comme celle du Grand Panneau de la Salle du Fond dans la grotte Chauvet en France. Cette fresque de plus de 10 mètres de long datant de 32 000 ans semble en effet présenter en plusieurs endroits des dessins en séquence figurant une scène de chasse. En y regardant de plus près il semble en effet qu'un lionlion des cavernes, représenté plusieurs fois dans une série de postures différentes, pourchasse ses proies le long des mursmurs de la grotte.

    La séquence de lions des cavernes présente sur le Grand Panneau de la grotte Chauvet. © Claude Valette, CC BY-NC 4.0
    La séquence de lions des cavernes présente sur le Grand Panneau de la grotte Chauvet. © Claude Valette, CC BY-NC 4.0

    En ayant cette idée de représentation du mouvement en tête, il apparaît que de nombreux autres dessins peuvent être ainsi réinterprétés. À l'image de ce bison de la grotte Chauvet qui, à première vue, semble posséder huit pattes. Mais en le décortiquant, les chercheurs ont identifié qu'il pouvait en réalité se décomposer en deux dessins superposés, figurant à chaque fois une position différente des pattes. Mis l'un après l'autre, ces deux dessins montrent en effet un bison en train de galoper. Cette illusion de mouvement se révèle notamment en déplaçant une torche le long de la paroi rocheuse. Les peintures présentant plusieurs têtes ou plusieurs queues ne pourraient ainsi qu'être destinées à créer cette illusion de mouvement, comme si les animaux représentés s'animaient brusquement.  

    Mais pourquoi cette volonté d'imprégner du mouvement dans un dessin figé ? Simple recherche artistique, désir de transmettre de façon la plus réaliste possible une scène de vie quotidienne, chamanisme... ? Pour l'instant, les raisons qui ont poussé nos ancêtres à peindre ces scènes au fond de grottes profondes restent toujours un mystère.


    Des gravures préhistoriques qui s’animaient autour du feu

    Des petites plaquettesplaquettes transportables en calcairecalcaire proviennent d'un site préhistorique du sud de la France. Les gravures de bisons, de loup et d'Hommes qu'elles arborent devaient s'animer à la nuit tombée, lorsque les Hommes préhistoriques les plaçaient près des flammes et laissaient libre cours à leur imagination.

    Article de Fidgi Berio publié le 25 avril 2022

    Les Hommes du Paléolithique fabriquaient de l'art mobilier pour orner les espaces dans lesquels ils vivaient. Cet art mobilier préhistorique s'oppose à l'art pariétal en cela qu'il n'est pas associé aux parois de grottes (art pariétal) ni sur des roches en milieu ouvert (art rupestre). L'art mobilier est en effet l'art des objets, ceux-ci pouvaient, par leurs petites dimensions, être transportés au fil des déplacements humains. Il comprend une variété d'objets telle que, par exemple, des statuettes figuratives d'animaux ou d'humains ou encore des bâtons et des armes gravés. Cet art mobilier peut être réalisé sur plusieurs supports tels que le boisbois, l'os et la pierre et attester de la maîtrise de plusieurs techniques artistiques telles que la gravure, la sculpture et la peinture.

    Photographies et dessins d'interprétation de gravures sur des plaquettes de Montastruc. Échelle : 10 cm. © Needham et <em>al.</em>, 2022
    Photographies et dessins d'interprétation de gravures sur des plaquettes de Montastruc. Échelle : 10 cm. © Needham et al., 2022

    Les plaquettes en pierre comportant des gravures sont un type d'art mobilier qui est principalement retrouvé sur des sites magdaléniens. Ces plaquettes du Paléolithique peuvent être présentes en plusieurs milliers d'exemplaires sur certains sites, ce qui questionne quant à leur potentielle utilité. Certaines de ces plaquettes, lorsqu'elles sont particulièrement bien conservées, présentent en effet des traces d'utilisation et notamment de chauffage et de fragmentation. Lorsque de telles marques ne sont pas visibles, les recherches se concentrent cependant sur la compréhension et l'interprétation des gravures présentes à la surface de ces plaquettes. Les auteurs d'une étude publiée dans le journal PLoS One se sont donc intéressés à une cinquantaine de plaquettes gravées du Paléolithique pour tenter de lever le voile sur le mystère de leur utilisation.

    Des gravures qui s'animent près des flammes

    Les plaquettes sont faites en roche calcaire et proviennent du site magdalénien de Montastruc, dans le Tarn-et-Garonne. Ce site a été daté d'il y a entre environ 13.000 et 12.000 ans en arrière. Les gravures qu'elles portent représentent notamment des chevaux, bouquetinsbouquetins, bisons, un loup et des silhouettes humaines. Les plus grandes plaquettes ont la taille d'une feuille de papier A4 mais la plupart sont plus petites de moitié et leur épaisseur ne dépasse pas les trois centimètres.

    Pour cette étude, les auteurs ont placé des plaquettes de calcaire à proximité d'un foyerfoyer ou dans celui-ci, ont mesuré la température qui s'en dégageait et ont enregistré les effets visuels produits par la lumière d'un feu nocturnenocturne sur ces plaquettes.

    Les auteurs ont placé des plaquettes en calcaire autour d'un feu et ont exagéré leurs couleurs avant et après le chauffage afin de déterminer quelles plaquettes du Paléolithique ont été chauffées et dans quel but. © Needham et <em>al.</em>, 2022
    Les auteurs ont placé des plaquettes en calcaire autour d'un feu et ont exagéré leurs couleurs avant et après le chauffage afin de déterminer quelles plaquettes du Paléolithique ont été chauffées et dans quel but. © Needham et al., 2022

    Les auteurs expliquent d'abord que le calcaire change de couleurcouleur et se fracture en fonction des hautes températures auxquelles il est exposé (coloration rouge entre 100 et 300 °C et décoloration grise à plus de 600 °C), ce qui a pu constituer des propriétés intéressantes pour les artistes du Paléolithique. De plus, le fait de placer des plaquettes gravées à proximité d'un feu renforce le flou des caractéristiques naturelles des plaquettes de calcaire ainsi que celles de la gravure. À une période où les Hommes se regroupaient dans des grottes à la faveur de la nuit et où le foyer semblait, au premier abord, ne servir qu'à se chauffer et à cuire des aliments, les Hommes préhistoriques de Montastruc devaient aussi utiliser les jeux d'ombres et de lumière à proximité des flammes pour stimuler leur système visuel, déclencher des réponses psychologiques perceptives et éveiller leur imagination.


    En vidéo : l’art rupestre paléolithique était-il aussi du cinéma ?

    Les dessins animés ne dateraient pas d'hier, d'après les travaux de Marc AzémaMarc Azéma. Près de 41 % des représentations pariétales peintes dans des grottes ornées, comme Lascaux ou Chauvet, exposeraient des mouvements. Plus surprenant : les techniques employées pour donner vie aux œuvres rupestres (images successives, surimposition) sont encore employées en cinématographie et dans la bande dessinée. 

    Article de Quentin Mauguit, publié le 26/02/2013

    Les grottes de Chauvet et de Lascaux, pour ne citer qu'elles, renferment de nombreuses œuvres du Paléolithique. Elles représentent pour la plupart des animaux (principalement des grands mammifèresmammifères), le reste étant composé de signes (c'est-à-dire de motifs abstraits) et rarement d'Hommes (une exception est visible dans la scène du puits de Lascaux). Ces représentations ont toujours vues comme des images fixes, mais cette approche pourrait avoir été inappropriée dans bien des cas.

    C'est l'hypothèse que formule Marc Azéma après plus de 15 années de travaux. Ce chercheur de l'université de Toulouse II-Le Mirail (par ailleurs membre de l'équipe scientifique qui étudie la grotte Chauvet) a adopté une approche éthologique dans ses prospections. En d'autres termes, il a d'abord cherché à comprendre le comportement et la biologie des mammifères représentés avant d'interpréter les œuvres pariétales. Ainsi, environ 41 % des animaux peints dans les grottes ornées sont en réalité représentés en mouvement (chiffre publié par Marc Azéma dans la revue Pour la Science).

    Selon lui, plusieurs méthodes graphiques ont été employées par les artistes aurignaciens pour animer leurs créations, au tout début, voilà 32.000 ans. Étonnamment, elles sont toujours utilisées de nos jours dans les domaines de la bande dessinée et de la cinématographie. N'oublions pas un point important : ces œuvres étaient peintes sur des volumesvolumes difformes à la lueur de torches, de lampes à graisse ou de feux. Or, la nature vacillante de la lumière émise possède un certain pouvoir d'animation.

     

    Ces séquences animées présentent-elles les premières animations de l'histoire ? Elles ont été réalisées en décomposant des peintures rupestres faites d'images surimposées puis en les assemblant dans un montage. © Marc Azéma, YouTubeYouTube

    Mouvements et des perspectives paléolithiques

    Le mouvement peut notamment être créé par la réalisation d'images successives. Un bel exemple nous est montré sur le grand panneau de la salle du fond de la grotte Chauvet (voir la photographiephotographie, plus bas). On y voit une scène de chasse complète impliquant des lions des cavernes, des chevaux, des bisons et des mammouths. L'extrémité droite de la fresque se compose de deux rangées superposées de 16 têtes de lion reliées à un morceau de buste.

    C'est avec les yeux que l'on crée l'animation : leur lecture de droite à gauche donne en effet une impression de mouvement. On peut alors y voir une attaque menée sur un troupeau de bisons, qui tendent de prendre la fuite. De plus, dans ce mouvement du regard, les félinsfélins de la rangée supérieure deviennent plus petits que ceux qu'ils surplombent, ce qui donne un effet de perspective à la scène. 

    Cette photographie a été prise dans la salle du fond de la grotte Chauvet, sur la paroi de gauche. Des lions chassent des bisons. Il faut noter la notion de mouvement induite par les différentes têtes de félin si l'image est lue de droite à gauche. © Jean Clottes, DR
    Cette photographie a été prise dans la salle du fond de la grotte Chauvet, sur la paroi de gauche. Des lions chassent des bisons. Il faut noter la notion de mouvement induite par les différentes têtes de félin si l'image est lue de droite à gauche. © Jean Clottes, DR

    La surimposition ou la juxtaposition d'images a également été employée pour animer des animaux soit dans leur intégralité soit en partie (notamment pour faire bouger des oreilles, des queues ou des têtes). Un bel exemple est présenté dans l'abri du Colombier en Ardèche. Un bouquetin y a en effet été représenté voilà 12.000 ans avec plusieurs séries de pattes, ce qui suggère un mouvement.

    Du vrai cinéma aurignacien ?

    Il est possible d'aller encore plus loin. L'œuvre peut être décomposée en une succession d'images représentant différentes phases d'un mouvement. Celui-ci apparaît clairement lorsque tous les clichés sont projetés les uns à la suite des autres. Fait notable : cette approche, tout comme la précédente, inclut en plus une notion de temps.

    Ainsi, la représentation du mouvement dans l'art était déjà maîtrisée durant la préhistoire. Cette observation implique plusieurs points importants. Les artistes de l’époque, du moins ceux qui ont animé leurs œuvres, auraient exploité une des propriétés majeures de la perception visuelle : la persistance rétinienne. L'œilœil humain garde en mémoire une illustration durant 50 ms environ, ce qui signifie que nous observons un mouvement continu lorsque des images saccadées sont projetées avec un intervalle de temps plus court. Par ailleurs, les actions observées dans ces œuvres pariétales n'auraient pas existé sans le réflexe de recomposition du mouvement que pratique notre cerveaucerveau. Les premiers cinémas ont-ils été construits dans des grottes ?