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Equipement d'un travailleur agricole pour mesurer la contamination par voie cutanée (patch) et par voie respiratoire (pompe) lors de la mise en œuvre de pesticides. Crédits : I. Baldi et A. Garrigou
On parle beaucoup des problèmes éventuels liés à la présence de résidus de pesticidespesticides dans les produits alimentaires ou les eaux de boisson mais beaucoup moins du problème des travailleurs agricoles exposés directement à ces produits qu'ils utilisent en quantités importantes. Or diverses études permettent de mettre en évidence ou de suspecter leur rôle dans divers types de pathologiespathologies : troubles neurologiques ou cognitifs, cancerscancers, perturbations endocriniennes... Bien entendu, il ne faut pas mettre tous les pesticides dans le même sac ni confondre l'exposition du public, qui reste faible ou très faible dans la plupart des cas, avec celle des travailleurs agricoles qui peut être massive.
L'exposition peut se produire à toutes les étapes : lors de la préparation des solutions ou mélanges, lors de l'application et enfin lors du nettoyage des appareils ou des cuves ayant servi à la préparation ou à l'application. Cette exposition peut se faire par la voie respiratoire (poudres se dispersant au vidage des poches lors de la préparation, aérosolsaérosols lors de l'application) ou par la voie cutanée, souvent sous-estimée mais empruntée par de nombreux toxiques. L'application peut se faire grâce à un appareil individuel dorsaldorsal ou grâce à une rampe portée par un tracteur.
La protection des travailleurs agricoles est particulièrement difficile car le travail se fait souvent en plein soleil avec des tâches durant plusieurs heures, voire une à plusieurs journées entières. Lors de l'épandageépandage par tracteur, les vitresvitres de la cabine sont donc trop souvent laissées ouvertes à cause de la chaleur (tout le monde n'a pas une cabine climatisée !)). Lors du travail avec un pulvérisateur individuel le port d'une combinaison peut se révéler très pénible, à la chaleur s'ajoutant la dépense physique du travail. En outre certains agriculteurs ont abandonné leur port car en les voyant ainsi équipés ils se sont fait traiter de pollueurs par des témoins. Quoi qu'il en soit, il reste toujours le problème de la préparation et du nettoyage.
Le port d'une combinaison de protection demeure toutefois le moyen de protection le plus couramment recommandé, conjointement à des gants adaptés. Or dans une étude faite en 2007 Alain Garrigou et Isabelle Baldi (Dpt. Hygiène, Sécurité, Environnement, IUT, université Bordeaux 1, et Laboratoire Santé Travail Environnement, université Bordeaux 2) avaient mis en évidence toutes les difficultés inhérentes à l'utilisation de ces protections individuelles. Des mesures d'exposition de la peau avaient été faites en situation réelle ainsi que des analyses d'urine reflétant l'exposition globale (donc y compris la voie respiratoire). Paradoxalement les résultats n'étaient guère meilleurs avec une protection, voire pire !
Comparaison de la contamination externe, mesurée au niveau de la peau, sans vêtement protecteur et avec, pour trois tâches, la préparation du mélange à épandre, son application et le nettoyage des appareils. On constate que la contamination peut être plus élevée avec le port d'une combinaison protectrice qu'avec un simple T-shirt... © I. Baldi
Résultat d'un test des combinaisons protectrices :neuf sur dix ne sont pas conformes !
Le problème a été débattu avec divers organismes institutionnels et professionnels concernés. Plusieurs causes pouvaient être invoquées : soit la mauvaise utilisation de ces équipements de protection individuelle, soit la réutilisation d'équipements mal décontaminés, soit des imprudences liées au sentiment que l'opérateur est protégé, donc ne risque rien. Lors d'une collaboration avec un fabricant de produit phytosanitaireproduit phytosanitaire il est apparu qu'une nouvelle cause pouvait être impliquée. Des mesures rigoureuses faites par ce producteur montraient qu'une combinaison très présente sur le marché se révélait perméable à l'herbicideherbicide produit par cette société...
En effet les combinaisons disponibles ne sont pas produites spécifiquement pour l'agricultureagriculture. Il s'agit d'équipements conçus pour l'industrie chimique. Or les pesticides utilisés en agriculture peuvent être des mélanges de plusieurs substances et additifs n'ayant rien à voir avec les produits pour lesquelles ces combinaisons sont testées. A cela s'ajoute les conditions très particulières d'exposition liées à la spécificité et à la pénibilité des tâches en milieu agricole. Les auteurs signalaient qu'on pouvait également se poser des questions sur l'efficacité réelle de ces combinaisons en milieu industriel.
Alerté par cette étude, le Ministère du travail a fait réaliser une étude sur la performance de divers types de combinaisons par un organisme agréé, testées selon diverses norme officielles (voir le lien en fin de cet article). Neuf modèles sur dix se sont révélés non conformes aux spécification européennes (cinq fabricants) : un à cause, simplement, d'un manque d'information dans la notice et huit à cause d'une perméation (diffusion à travers le tissu) supérieure à la performance annoncée par le fabricant. Pour six d'en elles la perméation était immédiate ! Enfin, les notices d'utilisation sont souvent notoirement insuffisantes, confuses ou disponibles uniquement dans une langue étrangère.
Au vu de ces résultats il apparaît que les travailleurs agricoles, et de façon plus générale ceux de l'industrie chimique, ont du souci à se faire sur leur protection réelle...