À l'origine du Frankenstein de Mary Shelley se cache une histoire bien plus sinistre encore que le célèbre roman. À l'occasion d'Halloween, explorons ensemble les récits de scientifiques prêts à tout dans leur lutte pour l'immortalité.


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    Toute œuvre, aussi créative soit-elle, ne naît jamais du vide. Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary ShelleyMary Shelley n'échappe pas à la règle. Fruit d'une époque d'expérimentation, de questionnement, et de mise au ban de la superstition, il est le témoignage d'une révolution de la pensée, prête à se tourner vers une nouvelle autorité scientifique, et de la curiosité d'une femme exceptionnelle. Parmi les événements qui ont marqué la conception de cet ouvrage, l'apparition de l'électricité et une série de conférences dédiées à la réanimation des corps morts ont eu une influence toute particulière.

    Une jeune femme au siècle des Lumières

    En juin 1816, année de rédaction de son magnum opus, Mary Shelley a 18 ans, et elle est animée d'une soif de savoir insatiable. Fille de la grande féministe Mary Wollstonecraft, elle a grandi entourée de livres et s'est forgé un esprit solide et intrépide. Heureusement pour elle, nous sommes en plein siècle des Lumières, et la science, en plein essor, devient un objet d'attention populaire. De nombreuses conférences sont organisées par-delà les milieux académiques, ouvrant leurs portesportes aux curieux souhaitant découvrir les dernières avancées de Humphry Davy ou d'Alessandro VoltaAlessandro Volta. Cette révolution intellectuelle sera une source cruciale d'inspiration pour la jeune et talentueuse autrice.

    Des découvertes électrisantes

    L'étude des phénomènes électriques connaît une explosion inégalée durant la première moitié du XVIIIe siècle, avec la contribution notable de Benjamin FranklinBenjamin Franklin, mais aussi de bien d'autres. Elle connaît son point culminant avec la controverse opposant Volta et Galvani : un débat si ardent qu'il a profondément marqué l'époque de Shelley. Dès les années 1780, Galvani constate qu'il est capable de déclencher des contractions musculaires chez des grenouilles mortes en faisant passer un courant par leurs pattes, puis, plus tard, par leur moelle épinièremoelle épinière. Il devient alors un fervent défenseur de la théorie de l'électricité animale, que Volta tentera farouchement de réfuter.

    Les expérimentations de Galvani permirent de démontrer l'existence d'une forme d'« électricité animale ». © Wikimedia Commons, Public Domain
    Les expérimentations de Galvani permirent de démontrer l'existence d'une forme d'« électricité animale ». © Wikimedia Commons, Public Domain

    Les expérimentations de Galvani inspirent rapidement toute une galerie d'individus plus ou moins recommandables, et après des chats, des chienschiens et des agneaux, bruit court que l'on va tenter de ranimer les condamnés à mort. C'est son neveu, Giovanni Aldini, qui ouvre la porte, et lorsque la Royal Humane Society met un corps entier à sa disposition en 1803, il n'hésite pas un instant. Sous l'action des piles électriques du jeune savant, le visage de George Foster, pendu pour le meurtre de sa femme et de sa fille, se crispe ; sa bouche se convulse et il ouvre même l'œilœil gauche.

    Ure et le pantin électrique

    Mais la démonstration de réanimation la plus marquante a probablement lieu deux ans après la publication de Frankenstein, en 1818. C'est sous le scalpel du docteur Andrew Ure que Matthew Clydesdale retrouve brièvement la vie, ou plutôt en donne à voir une parodie grotesque et terrifiante. Le défunt patient commence par frissonner lorsque le courant est appliqué pour la première fois entre sa colonne vertébralecolonne vertébrale et le nerfnerf sciatiquesciatique, exposé au niveau de la fesse. Puis l'électricité est connectée à un nerf au niveau du talon, provoquant un ample coup de pied qui manque de déstabiliser l'un des assistants de Ure.

    La scène de la réanimation de Matthew Clydesdale par le docteur Ure a profondément marqué les esprits de l'époque. © Louis Figueir, Houghton Library
    La scène de la réanimation de Matthew Clydesdale par le docteur Ure a profondément marqué les esprits de l'époque. © Louis Figueir, Houghton Library

    Lorsqu'il électrifie le diaphragmediaphragme, le docteur et le public abasourdis voient la poitrine du cadavre se soulever et s'abaisser au rythme d'une pénible respiration. Puis vient le moment terrible où sont rejoints le talon et une incision au-dessus du sourcilsourcil : « RageRage, horreur, désespoir, angoisse et sourires terrifiants s'unirent en une hideuse expression sur le visage du meurtrier », raconte le médecin. « À cet instant, de nombreux spectateurs furent contraints de quitter l'appartement de terreur ou de répulsion, et un gentilhomme s'évanouit. »

    Bien que Mary Shelley ne fasse aucune mention directe à l'usage de l'électricité dans le chapitre narrant la naissance de la créature de Frankenstein, il ne fait nul doute que les expérimentations de son époque ont profondément impacté et enrichit son récit. Rédigée un soir d'été orageux par une jeune femme en proie à un cauchemar décisif, l'œuvre sera plus tard adaptée au théâtre puis au cinéma, où le nom de Frankenstein sera attribué à la création plutôt qu'au créateur, et où l'électricité deviendra sa marque de fabrique pour le siècle à venir.