Formés par la condensation de nuages moléculaires, les amas d’étoiles que l'on connaît dans la Voie lactée ou les galaxies proches sont des ensembles de gaz froid et dense. Mais que savons-nous des galaxies lointaines ? Pour la première fois, des chercheurs ont obtenu dans une résolution d'image inégalée des nuages moléculaires d'une jeune galaxie située à plus de 8 milliards d'années-lumière.


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    Les amas d'étoiles sont formés par la condensation de nuagesnuages moléculaires, des ensembles de gaz froid et dense présents dans toutes les galaxies. Les propriétés physiques de ces nuages dans notre Galaxie ou dans les galaxies proches sont connues depuis longtemps. Mais sont-elles identiques dans les galaxies lointaines, situées à plus de 8 milliards d'années-lumièreannées-lumière ?

    Grâce à une résolutionrésolution jamais égalée jusqu'à aujourd'hui dans une galaxie lointaine, une équipe internationale, dirigée par l'université de Genève (Unige), et impliquant quatre laboratoires français, a pu détecter pour la première fois des nuages moléculaires dans une Voie lactée en devenir. Ses observations, publiées dans la revue Nature Astronomy, démontrent que ces nuages ont une massemasse, une densité et des turbulencesturbulences internes plus élevées que dans les galaxies proches et produisent bien plus d'étoiles. Les astronomesastronomes attribuent ces différences aux conditions interstellaires ambiantes des galaxies lointaines, trop extrêmes pour la survie des nuages moléculaires typiques des galaxies proches.

    Nuages moléculaires détectés à une résolution jamais égalée jusqu'à aujourd'hui de 90 années-lumière dans le Serpent Cosmique, situé à plus de 8 milliards d'années-lumière, un progéniteur typique de notre Galaxie. © Unige, Dessauges
    Nuages moléculaires détectés à une résolution jamais égalée jusqu'à aujourd'hui de 90 années-lumière dans le Serpent Cosmique, situé à plus de 8 milliards d'années-lumière, un progéniteur typique de notre Galaxie. © Unige, Dessauges

    Les nuages moléculaires sont constitués de gaz d'hydrogène moléculaire dense et froid qui tourbillonne à des vitessesvitesses supersoniques, provoquant des fluctuations de densité qui se condensent et forment les étoiles. Dans les galaxies proches, comme la Voie LactéeVoie Lactée, un nuage moléculaire produit entre mille et un million d'étoiles. Pourtant, dans les galaxies lointaines, situées à plus de 8 milliards d'années-lumière, les astronomes observent des amas gigantesques contenant jusqu'à 100 fois plus d'étoiles. Pourquoi une telle différence ?

    Une observation inégalée grâce à une loupe cosmique

    Pour répondre à cette question, les astronomes ont pu bénéficier d'un télescopetélescope naturel - le phénomène de lentille gravitationnelle -, couplé à l'usage d'Alma (Atacama Large Millimeter/submillimiter Array), un interféromètreinterféromètre de 50 antennes radios millimétriques qui reconstruisent l'image entière d'une galaxie de manière instantanée. « Les lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles sont un télescope naturel qui produit un effet de loupe grâce à l'alignement d'un objet massif entre l'observateur et l'objet lointain, explique Johan Richard, astronome au Centre de recherche astrophysiqueastrophysique de Lyon (CRAL, Université de Lyon Claude BernardClaude Bernard/ENS Lyon/CNRS). Grâce à cet effet, nous obtenons des zooms sur des parties des galaxies lointaines que nous pouvons alors étudier avec une résolution encore jamais égalée de 90 années-lumière ! ». Alma, quant à lui, permet de mesurer le niveau de monoxyde de carbonemonoxyde de carbone qui sert de traceur du gaz d'hydrogènehydrogène moléculaire qui constitue le nuage froid.

    Des nuages moléculaires aux propriétés différentes

    Cette résolution a permis de caractériser les nuages de manière individuelle dans une galaxie lointaine, surnommée le Serpent Cosmique, située à 8 milliards d'années-lumière. « C'est la première fois que nous pouvons différencier les nuages moléculaires les uns des autres », s'enthousiasme Françoise CombesFrançoise Combes, chercheuse au Laboratoire d'étude du rayonnement et de la matièrematière en astrophysique et atmosphèresatmosphères (Lerma, CNRS/Observatoire de Paris/université Cergy-Pontoise/Sorbonne Université). Les astronomes ont ainsi comparé la masse, la taille, la densité et les turbulences internes entre les nuages moléculaires des galaxies proches et lointaines. « On pensait que les nuages avaient les mêmes propriétés, quels que soient le temps et les galaxies, poursuit le chercheur genevois, mais nos observations ont démontré le contraire ! ».

    Observé à des résolutions 50.000 fois meilleures, chacun de ces nuages ressemble au gaz très tourmenté de la nébuleuse Carina située à seulement 7.500 années-lumière, une véritable pouponnière d'étoiles naissantes. © Nasa, Esa
    Observé à des résolutions 50.000 fois meilleures, chacun de ces nuages ressemble au gaz très tourmenté de la nébuleuse Carina située à seulement 7.500 années-lumière, une véritable pouponnière d'étoiles naissantes. © Nasa, Esa

    Des nuages moléculaires résistants aux environnements extrêmes

    En effet, ces premières observations ont révélé que les nuages moléculaires des galaxies lointaines avaient une masse, une densité et des turbulences de 10 à 100 fois plus élevées que les nuages des galaxies proches. « De telles valeurs avaient uniquement été mesurées dans des nuages de galaxies proches entrées en collision, rendant leur milieu interstellaire semblable à celui des galaxies lointaines », complète Miroslava Dessauges, chercheuse au Département d'astronomie de la Faculté des sciences de l'Unige et première auteure de l'étude.

    Les chercheurs ont ainsi mis en relation ces différences de propriétés physiques des nuages avec les environnements des galaxies, plus extrêmes et hostiles dans les galaxies lointaines que ceux de leurs sœurs proches : « un nuage moléculaire de galaxie proche se retrouverait instantanément collapsé et détruit dans le milieu interstellaire des galaxies lointaines, d'où ses propriétés multipliées pour garantir sa survie et son équilibre », explique la chercheuse genevoise. « Hasard ou pas hasard, la masse caractéristique des nuages moléculaires du Serpent Cosmique apparait en parfait accord avec notre scénario de fragmentation de disques galactiques turbulents, proposé comme mécanisme de formation de nuages moléculaires massifs dans les galaxies lointaines », se réjouit Lucio Mayer, professeur au Centre de théorie physique et cosmologique de l'université de Zurich.

    L'équipe internationale a aussi découvert que le niveau d'efficacité de formation d'étoiles des nuages moléculaires du Serpent Cosmique est particulièrement élevé, favorisé par les grandes turbulences internes des nuages. « Dans les galaxies proches, un nuage forme en étoiles environ 5 % de sa masse. Dans les galaxies lointaines, ce chiffre grimpe à 30 % », observe Daniel Schaerer, professeur au Département d'astronomie de la Faculté des sciences de l'Unige.

    Les astronomes vont à présent étudier d'autres galaxies lointaines, afin de confirmer leurs observations faites sur le Serpent Cosmique. « Nous allons également pousser encore plus loin la résolution en profitant des performances uniques de l'interféromètre ALMA et investiguer plus en détail sur cette capacité des nuages moléculaires observés dans les galaxies lointaines à former des étoiles si efficacement », conclut Miroslava Dessauges.