Depuis la découverte de Cérès, la localisation de la planète naine dans notre Système solaire intrigue : elle présente des caractéristiques bien distinctes de ses voisins plus petits dans la ceinture d'astéroïdes. Une équipe de scientifiques propose un nouveau modèle pour expliquer l'histoire migratoire de Cérès. 


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    Découverte en 1801 par l'astronomeastronome Giuseppe Piazzi, CérèsCérès est un corps céleste de presque 1.000 kilomètres de diamètre situé dans la ceinture principale, entre les orbites de Mars et de JupiterJupiter. Survolée par la sonde Dawn à partir de 2015, elle est désormais classifiée en tant que planète naine : bien qu'assez massive pour présenter une forme sphérique, elle partage son orbite avec une multitude d'autres corps plus petits -- essentiellement des astéroïdes, certains atteignant plusieurs centaines de kilomètres de diamètre. Mais sa localisation dans notre Système solaire intrigue les scientifiques : beaucoup plus massive que ses voisins -- Cérès représente à elle seule près d'un tiers de la masse totale de la ceinture principale --, elle présente également des caractéristiques spectrales bien différentes des objets avec lesquels elle partage son orbite, poussant les astronomes à la considérer comme une intruse dans la ceinture d'astéroïdesceinture d'astéroïdes. D'après eux, elle se serait formée bien plus loin du SoleilSoleil qu'elle ne l'est aujourd'hui...

    Un corps planétaire très différent de ses voisins

    D'après les scientifiques, les caractéristiques physiquesphysiques de Cérès diffèrent bien trop de celles de ses voisins dans la ceinture principale pour qu'ils aient une origine commune : représentant près d'un tiers de la masse totale de la ceinture d'astéroïdes, elle en est le seul corps assez massif pour être en équilibre hydrostatique -- elle présente donc une forme sphéroïde. Les scientifiques y suspectent même la présence d'un océan interne, potentiellement conservé en partie à l'état liquideétat liquide. Mais ce n'est pas tout : sa composition semble différer de celle des autres corps de la ceinture principale, lui permettant également d'en être le seul corps à posséder une atmosphèreatmosphère, bien que très ténue, formée par la sublimationsublimation de glaces d'eau et d'ammoniacammoniac à sa surface -- la faible gravitégravité de Cérès ne lui permet en revanche pas de conserver son atmosphère de manière durable. 

    C'est ici un élément crucial : les astéroïdes n'émettent typiquement pas de vapeur et ne présentent pas d'atmosphère, et la présence d'éléments volatils, comme l'ammoniac, est généralement typique des comètescomètes formées dans les régions externes et plus froides du Système solaire, où elles auraient pu accréter ces éléments volatils ; c'est d'ailleurs la sublimation de ces éléments qui forment la queue cométaire, lorsque celle-ci se rapproche du Soleil.

    À partir de ces observations, les scientifiques suspectent que Cérès se soit formée dans des régions plus froides du Système solaire, où les températures permettraient la condensationcondensation de tels éléments volatils, au-delà de la limite de gelgel -- une frontière délimitant les régions externes et froides de notre Système solaire, des régions internes et plus chaudes. Actuellement située autour de l'orbite de Jupiter, sa distance au Soleil a évolué dans le temps au cours de l'évolution du Système solaire -- dans ses premières phases d'existence, le Soleil émettant moins de chaleurchaleur, la limite de gel en était vraisemblablement plus proche qu'elle ne l'est aujourd'hui. 

    Au-delà de la limite de gel (frost line), les composés métalliques, rocheux et gazeux peuvent se condenser. © Pearson Education, Addison Wesley
    Au-delà de la limite de gel (frost line), les composés métalliques, rocheux et gazeux peuvent se condenser. © Pearson Education, Addison Wesley

    Alors, comment Cérès a-t-elle pu se retrouver là, entourée de corps qui lui sont si étrangers ? Une équipe de scientifiques propose dans leur étude un nouveau modèle pour expliquer l'histoire migratoire de la planète naine. 

    Un nouveau modèle de migration planétaire 

    Pour comprendre l'évolution de Cérès dans le Système solaire, il est nécessaire de revenir aux premières phases de son histoire, lorsque les planètes que l'on connait aujourd'hui étaient encore en cours de formation dans le disque protoplanétaire, il y a plus de 4,5 milliards d'années. À partir de cet état initial, l'équipe de scientifiques a simulé la formation de Jupiter et de SaturneSaturne, deux géantes gazeusesgéantes gazeuses assez massives pour provoquer des perturbations gravitationnelles sur les corps environnants, ainsi que d'embryonsembryons planétaires -- considérés ici comme les planètes UranusUranus et NeptuneNeptune en devenir --, pour ensuite inclure la formation d'un groupe d'objets de compositions et de tailles similaires à celles de Cérès, en partant de l'idée que la planète naine constituerait l'un des premiers planétésimaux (objets célestes en formation dans un disque d'accrétiondisque d'accrétion, en cours de devenir un corps planétaire) du Système solaire. 

    Leurs simulations montrent une histoire extrêmement chaotique : au cours de la formation des deux géantes gazeuses, Jupiter et Saturne, de nombreux corps formés dans les régions externes du Système solaire en auraient été éjectés, tandis que d'autres auraient migré vers les régions internes, du fait des perturbations gravitationnelles auxquelles ils auraient été soumis. Des objets similaires à Cérès, formés dans les régions externes du Système solaire, puis éparpillés, auraient ainsi très bien pu se stabiliser dans l'orbite de la ceinture d'astéroïdes. 

    D'après ses simulations, l'équipe d'astronomes propose un modèle en quatre étapes pour expliquer la migration de Cérès de sa zone de formation, dans les régions externes et froides du Système solaire au-delà de l'orbite de Saturne, à la ceinture d'astéroïdes où elle évolue désormais. Après une phase de mélange chaotique rapide dans la position des planétésimaux dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire externe, Cérès aurait été capturée dans une résonancerésonance gravitationnelle avec les géantes Jupiter et Saturne. Viendrait ensuite une troisième phase mouvementée durant laquelle des interactions avec d'autres corps (qualifiés d'« envahisseurs ») auraient pu permettre à Cérès de migrer vers les régions internes de notre Système solaire, pour ensuite s'y stabiliser lors de l'arrêt de ces perturbations gravitationnelles. 

    Schéma réalisé par les auteurs de l'étude, montrant les quatre étapes ayant mené à la migration d'un objet semblable à Cérès dans la ceinture principale. © de Sousa et <em>al.</em>, 2022
    Schéma réalisé par les auteurs de l'étude, montrant les quatre étapes ayant mené à la migration d'un objet semblable à Cérès dans la ceinture principale. © de Sousa et al., 2022

    Autre trouvaille intéressante : d'après leurs simulations, Cérès ne serait qu'un corps parmi plus de 3.600 formés dans cette zone du Système solaire. Ce résultat, en adéquation avec de précédentes études portant sur les objets au-delà de Saturne et dans la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper, conforte les scientifiques dans la validité de leur modèle de formation du Système solaire. Ainsi, Cérès serait bel et bien une intruse dans la ceinture d'astéroïdes ! 


    La planète naine Cérès serait née au-delà de Neptune

    Une découverte fortuite renforce l'attrait scientifique pour Cérès. La présence de poussières exogènesexogènes à la surface de la planète naine, par ailleurs le plus gros objet de la ceinture principale, indique qu'elle s'est formée bien plus loin de son emplacement actuel. Comme nous l'explique Pierre Vernazza, le chercheur à l'origine de cette découverte, Cérès est un des astéroïdes sur lequel il est opportun d'envoyer une mission à sa surface.

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt, publié le 19 janvier 2017

    Depuis près de deux ans, la sonde Dawn nous fait découvrir la planète naine Cérès, un objet faisant le lien entre les petits corps, dont il ne fait pas partie, et les plus gros comme les satellites de Jupiter. L'histoire de sa formation commence à être mieux comprise, à commencer par son lieu de naissance, bien différent de sa position actuelle. « Elle s'est très vraisemblablement formée dans le Système solaire externe, au-delà de l'orbite de Jupiter, nous expliquait en juillet 2016 Pierre Vernazza, chargé de recherche au CNRS et chercheur au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. La migration des planètes géantesplanètes géantes l'aurait éjectée vers l'intérieur, là où elle se trouve aujourd'hui ».

    Ce même scientifique a très vraisemblablement apporté une réponse définitive à cette question dans l'étude publiée dans The Astronomical Journal. À la tête d'une équipe internationale, composée principalement de chercheurs français du LAMLAM (CNRS, université Aix-Marseille), Pierre Vernazza a révélé la présence d'un « composant anhydre sur la surface de Cérès [des particules finesparticules fines de pyroxènepyroxène, NDLRNDLR] ». Une découverte tout à fait fortuite que l'on ne doit pas à la sonde Dawnsonde Dawn mais à l'observatoire SOFIA et son télescopetélescope infrarougeinfrarouge de 2,5 m installé dans un avion.

    C'est l'absence de spectrespectre infrarouge de Cérès qui a motivé Pierre Vernazza à employer ce télescope. Il ne s'attendait pas bien sûr à découvrir de la poussière exogène. Poussant plus loin ses investigations sur son origine, le chercheur et son équipe ont déterminé que cette contaminationcontamination provient « vraisemblablement d'un nuagenuage de poussière situé dans la ceinture principale externe et qui s'est formé à la suite d'une collision récente, il y a un moins de 10 millions d'années ».

    Composition de surface et structure interne de la planète naine Cérès. La surface apparaît comme un mélange de poussières anhydres (pyroxène), vraisemblablement exogènes, et de poussières hydratées endogènes (phyllosilicates, carbonates). Les modèles prédisent également la présence d’un noyau rocheux. © LAM, Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA
    Composition de surface et structure interne de la planète naine Cérès. La surface apparaît comme un mélange de poussières anhydres (pyroxène), vraisemblablement exogènes, et de poussières hydratées endogènes (phyllosilicates, carbonates). Les modèles prédisent également la présence d’un noyau rocheux. © LAM, Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA

    Si le pyroxène observé à la surface de Cérès est de nature exogène, alors « plus rien ne relie Cérès aux autres astéroïdes de sa classe spectrale (dits de type C) ». Le fait que les silicatessilicates hydratés observés à sa surface par Dawn soient riches en ammoniac, cela « ouvre la possibilité d'une origine transneptunienne : Cérès et Orcus pourraient être "jumeaux" ». Ainsi Cérès, de même que les astéroïdes de type P et D qui sont des résidus primordiaux de la formation des planètes et pour lesquels une origine transneptunienne est évoquée, pourrait s'être « formé aux confins du système solaire [au-delà de 10 UAUA, NDLR] et aurait atterri dans la ceinture principale à la suite de la migration des planètes géantes ». À cela s'ajoute que Cérès n'est peut-être pas le seul astéroïde dans cette situation. D'autres ont vraisemblablement migré de ces régions externes, « dont Iga, le quatrième astéroïde, en termes de masse, de la Ceinture principale »

    Une cible majeure pour le futur

    Si cette découverte est confirmée, ce qui ne fait guère de doute, elle fait de Cérès une « cible majeure pour le futur et accroît l'intérêt d'un atterrisseur qui se poserait dessus ». Avec Cérès, les astronomes ont, à quelques encablures de la Terre, « un objet qui peut donner des informations sur le disque externe primordial ». Certes il ne permet pas de « remonter directement au disque primordial global car les briques élémentaires ont été altérées par l'eau liquide » mais assurément, des données significatives sur l'histoire de la formation des planètes sont à récupérer.

    D'un diamètre de 92 km, le cratère Occator abrite les fameuses taches lumineuses observées par Dawn. © Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA
    D'un diamètre de 92 km, le cratère Occator abrite les fameuses taches lumineuses observées par Dawn. © Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA

    Quant aux futures missions à destination de Cérès, quelques projets existent dont celui du JPLJPL, qui veut faire atterrir un roverrover. Il y a aussi le Nautilus de Pierre Vernazza. Son idée est de « poser un atterrisseur de type Philae avec une charge utile d'une vingtaine de kilogrammeskilogrammes et d'utiliser un orbiteur minimaliste avec seulement deux instruments et une charge utile pour les communications avec la Terre ». Au vu des dernières avancées dans la connaissance de Cérès, Nautilus devrait embarquer des instruments pour « mesurer la composition isotopique des éléments, déterminer la nature des silicates, ainsi que la présence ou non de matièrematière organique ».

    À court terme, les chances qu'un des deux projets voit le jour sont très faibles. La sélection par la NasaNasa des missions Psyché et Lucy à destination de deux astéroïdes rend peu probable la sélection d'une autre mission, encore à destination d'un de ces objets lors de la prochaine sélection. Du côté de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, l'ESA, la prochaine sélection d'une mission est attendue en novembre 2018 avec à la clé un budget qui pourrait ne pas être suffisant pour Nautilus. Cela dit, « je reste optimiste ». À un horizon d'une dizaine d'années, il est inconcevable que l'on n'y retourne pas « avec une mission plus ambitieuse que Dawn et que l'on se pose dessus ».