Le trou noir supermassif au cœur de la Voie lactée et derrière la source radio Sagittarius A* (Sgr A*) recèle encore bien des secrets. Son étude peut nous servir à en percer d'autres en relation avec les autres trous noirs supermassifs du Cosmos et à leur impact sur l'évolution des galaxies. Le télescope spatial James-Webb vient de fournir pour la première fois des observations dans l'infrarouge moyen de l'équivalent des éruptions solaires, mais cette fois-ci dans le disque d'accrétion entourant l'astre compact géant. Ces observations viennent compléter celles obtenues dans le domaine des ondes radio.
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La théorie de la relativité générale d’Einstein a été formulée il y a un peu plus de 100 ans maintenant. Mais, des années 1920 aux années 1950, elle ne va connaître de développements significatifs qu'entre les mains d'une poignée de physiciensphysiciens et d'astronomesastronomes explorant, tel Georges LemaîtreGeorges Lemaître, les implications des équations relativistes de la gravitation en cosmologie, et tel EinsteinEinstein cherchant à généraliser sa théorie pour y incorporer la force électromagnétique et en déduire les propriétés des particules élémentaires alors connues. Tentatives vaines sur ces derniers points, si bien que la majorité des physiciens et des astrophysiciensastrophysiciens de l'époque vont surtout s'occuper de développer les conséquences de la découverte par Heisenberg et Schrödinger des équations de la mécanique quantique dans les domaines de la physiquephysique atomique et nucléaire, et de créer la théorie quantique et relativiste des champs qui y est impliquée.
Sagittarius A*, un laboratoire pour l'astrophysique
On va fêter cette année 2025 le centenaire de la découverte par Heisenberg de ces équations. Mais, incontestablement, comme aimait à le rappeler le prix Nobel de physique Subrahmanyan Chandrasekhar, « la théorie de la relativité générale est une théorie de la gravitation et comme la théorie newtonienne de la gravitation, qu'elle affine et élargit, son foyerfoyer naturel est l'astronomie », de sorte qu'elle a connu une renaissance à partir des années 1960 avec la découverte des quasarsquasars, du rayonnement fossilerayonnement fossile du Big BangBig Bang et enfin, des pulsarspulsars.
Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS, et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs, notamment des grands trous noirs supermassifs des galaxies qui sont derrière les quasars et qui impactent l'évolution des galaxies. © Fondation Hugot du Collège de France
C'est à partir de ces années, et surtout pendant les années 1970, que l'on va développer intensivement la physique des trous noirstrous noirs, des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles et explorer aussi des alternatives à la théorie de la gravitation d'Einstein qui, tout en supposant qu'il existe le même espace-tempsespace-temps courbe, vont postuler des équations différentes de celles d'Einstein (on va les tester au cours de ces années dans le Système solaireSystème solaire et avec des pulsars binairesbinaires). Les trous noirs vont alors devenir, dans ce cadre, des laboratoires théoriques permettant de tester aussi bien les conséquences les plus fondamentales de la physique d'Einstein des espaces-temps fortement courbés que celle de ces alternatives. On va réaliser de plus en plus qu'ils sont la clé du comportement des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies et qu'ils influencent fortement l'évolution de ces dernières. On va comprendre également que les trous noirs doivent contenir les clés d'une théorie quantique de la gravitation, clé probable à son tour de la naissance de l'UniversUnivers, de la matièrematière qu'il contient et de l'apparition des galaxies et des grandes structures qui les rassemblent.
Il se trouve que nous pensons avoir la chance d'avoir un trou noir à notre disposition pour étudier via des observations cette fois-ci toutes ces questions dans notre Voie lactéeVoie lactée et il est supermassif, comme au cœur de quasiment toutes les autres grandes galaxies, qu'elles soient spirales ou elliptiques principalement. Nous l'avons découvert initialement sans le savoir sous la forme d'une source radio intense dans la constellationconstellation du Sagittaire. On le désigne sous le nom de Sagittarius A*Sagittarius A* (Sgr A*) et il est situé à environ 27 000 années-lumièreannées-lumière du Système solaire.
De l'EHT au James-Webb
Pendant des décennies, les progrès de son étude vont se faire essentiellement en étudiant les mouvementsmouvements de certaines étoilesétoiles proches autour de Sagittarius A*. Ces mouvements combinés à d'autres observations à diverses longueurs d'ondelongueurs d'onde indiquent qu'il existe un objet très compact qui ne rayonne pas comme une étoile et se comporte donc, à bien des égards, comme un véritable trou noir du point de vue astrophysiqueastrophysique. Les études sur ces mouvements ont été conduites essentiellement par les prix Nobel de physique Reinhard Genzel et Andrea Ghez et elles ont montré que l'objet compact révélé possédait une massemasse d'un peu plus de 4 millions de fois celle du SoleilSoleil.
S'il s'agit bien d'un trou noir, ce qui implique qu'il possède un horizon des événementshorizon des événements qui définit une sorte de membrane fermée que l'on ne peut traverser que dans un seul sens - car il faudrait dépasser la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière pour en sortir -, on ne sait pas encore très bien s'il est décrit par la solution des équations d'Einstein pour un trou noir sans rotation, la fameuse solution de Schwarzschild, ou en rotation comme on le pense, ce qui implique que l'espace-temps est celui de la solution dite de Kerr.

Plus récemment, comme le montrait la vidéo au tout début de cet article, ce sont les membres de la collaboration Event Horizon Telescope qui se sont penchés sur l’étude de Sagittarius A* dans le domaine des ondes électromagnétiques accessible aux radiotélescopes. Mais pour la première fois, ces observations ont été complétées par celles que rend possibles dans le domaine de l'infrarougeinfrarouge moyen les instruments du télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb, le JWST.
Comme le démontre un article publié dont une version se trouve en accès libre sur arXiv, une équipe internationale dirigée par des astronomes du Centre d'astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) a détecté pour la première fois une éruption dans l'infrarouge moyen dans le disque d'accrétiondisque d'accrétion entourant le trou noir Sgr A* grâce au JWST. L'infrarouge moyen permet en effet d'observer des objets et des phénomènes, comme les équivalents des éruptions solaireséruptions solaires, qui sont souvent difficiles à observer dans d'autres longueurs d'onde en raison de la poussière impénétrable.
Une analogue des éruptions solaires magnétiques
Dans un communiqué, Joseph Michail, l'un des principaux auteurs de l'article et chercheur postdoctoral au Harvard CfA, explique : « L'éruption de Sgr A* évoluait et changeait rapidement, en quelques heures, et tous ces changements ne sont pas visibles à toutes les longueurs d'onde. Depuis plus de 20 ans, nous savions ce qui se passait dans le domaine radio et ce qui se passait dans le proche infrarouge, mais le lien entre les deux n'avait jamais été clair ou certain à 100 %. Cette nouvelle observation dans l'infrarouge moyen comble cette lacune et relie les deux. »
On va pouvoir ainsi mieux tester les modèles numériquesmodèles numériques décrivant ce qui se passe dans le disque d'accrétion turbulent du trou noir supermassiftrou noir supermassif et qui prédisent des éruptions, selon des mécanismes de magnétohydrodynamique et de physique des plasmas que l'on retrouve derrière les éruptions solaires mieux connues. En effet, de nombreuses simulations suggèrent que les éruptions de Sgr A* sont causées par la fameuse reconnexion des lignes de champ magnétiquechamp magnétique dans le disque d'accrétion turbulent. On observe ainsi dans le cas du Soleil que lorsque deux lignes de champ magnétique se rapprochent, elles peuvent se connecter l'une à l'autre et libérer une grande quantité de leur énergieénergie alimentant l'émissionémission dite synchrotron d'électronsélectrons se déplaçant à des vitesses proches de la vitesse de la lumière le long des lignes de champ magnétique.
Les nouvelles observations offertes par le JWST sont cohérentes avec les modèles et simulations existants, ce qui constitue un élément de preuve supplémentaire pour étayer la théorie de ce qui se cache derrière les éruptions.
« Bien que nos observations suggèrent que l'émission dans l'infrarouge moyen de Sgr A* résulte effectivement de l'émission synchrotron des électrons en refroidissement, il reste encore beaucoup à comprendre sur la reconnexion magnétiquereconnexion magnétique et la turbulenceturbulence dans le disque d'accrétion de Sgr A*. Cette première détection dans l'infrarouge moyen et la variabilité observée avec le SMA ont non seulement comblé une lacune dans notre compréhension de ce qui cause les éruptions de Sgr A*, mais ont également ouvert une nouvelle voie de recherche importante », explique Sebastiano von Fellenberg, chercheur postdoctoral à l'Institut Max-PlanckPlanck de radioastronomie (MPIfR) et auteur principal du nouvel article.
Les observations du James-Webb étaient alors complétées en simultanée avec le réseau submillimétrique (SMA), au sommet du Mauna Kea/Hawaï), le télescope NuSTAR et l'observatoire à rayons Xrayons X ChandraChandra.
Le SMA a ainsi montré que l'observation de l'éruption en ondes millimétriques était décalée d'environ 10 minutes par rapport à l'éruption dans l'infrarouge moyen. Il n'y avait cependant, semble-t-il, pas assez d'énergie pour produire un rayonnement X détectable.