Grâce à un effet de lentille gravitationnelle, Hubble a débusqué un quasar qui est le plus brillant à ce jour parmi les tout premiers quasars de l'Univers observable il y a presque 13 milliards d'années.


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    Cela fait plus de 50 ans que nous avons pénétré dans le monde fascinant des quasars quand, en 1963, Maarten Schmidt et John Beverly Oke ont publié dans le journal Nature les résultats des observations qu'ils avaient réalisées en cherchant à déterminer la contrepartie optique d'une source radio puissante. Cette source avait été découverte quelques années auparavant par un autre astronomeastronome, Allan Sandage. L'article de Schmidt et Oke fut un coup de tonnerretonnerre dans le ciel de l'astrophysique et de la cosmologie, à l'époque, car l'analyse spectrale de l'astre qu'ils avaient identifié dans le visible, dans la constellation de la Vierge, révélait des lignes d'émission de l'hydrogènehydrogène fortement décalées vers le rouge. Cela signifiait que ce qui apparaissait comme une étoileétoile se situait en dehors de la Voie lactéeVoie lactée, mais surtout à une distance cosmologique. Pour être observable d'aussi loin, l'objet devait être d'une luminositéluminosité prodigieuse.

    Cette découverte d'une quasi-stellar radio source - un quasar, selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicienastrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu - démontrait que l'universunivers était différent dans le passé, et donc évoluait. Ceci n'était pas possible dans le cadre du modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard de l'époque, selon lequel, bien qu'en expansion, l'univers devait apparaître inchangé pour tous ses observateurs, quelle que soit leur position dans le temps. En revanche, l'existence de ce quasar - et surtout d'autres rapidement découverts - était en parfait accord avec la théorie du Big Bang. Celle-ci, en effet, prévoyait que si l'on observait des objets à des distances suffisamment grandes, on remontait de plus en plus loin dans le passé et l'histoire d'un univers en évolution. Il était donc normal d'observer à des milliards d'années-lumièreannées-lumière un univers dont l'aspect diffère de celui qu'il avait il y a seulement quelques dizaines de millions d'années, donc dans l'environnement proche de la Voie lactée.


    Une vue d'artiste de l'accrétion de la matière sous forme de gaz autour d'un trou noir supermassif de Kerr en rotation. Le gaz s'échauffe et rayonne en tombant. Des jets et des vents de matière peuvent également se produire. Si le flot de matière est suffisamment important, la luminosité devient exceptionnelle et l'on a un quasar. © ESA/Hubble, NASA, M. Kornmesser

    Des trous noirs accrétant de la matière qui chauffe et rayonne

    Nous savons aujourd'hui, comme on s'en doutait il y a déjà 50 ans environ, que les quasars sont très probablement des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs accrétant de la matièrematière en très grandes quantités. Pour se faire une idée plus concrète de leur luminosité, il suffit de savoir que le premier détecté, s'il se trouvait à 30 années-lumière, c'est-à-dire en gros sept fois la distance de notre étoile à Alpha du Centaure, apparaîtrait aussi brillant que le SoleilSoleil.

    Plus que jamais aujourd'hui, les astrophysiciens et les cosmologistes étudient les trous noirs supermassifs et sont donc à la recherche de quasars de plus en plus lointains et donc de plus en plus vieux. Ces véritables balises cosmiques peuvent nous donner de précieux renseignements sur la nature de l'énergie noireénergie noire et l'évolution des galaxiesgalaxies depuis le Big BangBig Bang. On pense par exemple qu'ils ont contribué à la fameuse réionisation de l'Univers observable, de pair avec les premières étoiles en émettant des flots de rayonnement capables d'ioniser les atomesatomes d'hydrogène et d'héliumhélium devenus neutres à la recombinaisonrecombinaison, au moment où prend naissance en conséquence le fameux rayonnement fossilerayonnement fossile.

    C'est ainsi que les héritiers modernes de Maarten Schmidt, John Beverly Oke et Allan Sandage se sont penchés sur une source pouvant prétendre au titre de lointain quasar déjà repéré par plusieurs télescopestélescopes dont le Panoramic Survey Telescope and Rapid Response System1 (Pan-STARRS1) à Hawaï et Wide-field Infrared Survey Explorer (Wise) dans l'espace, comme l'explique un article disponible sur arXiv.


    Dans cette animation, on voit le principe d'une lentille gravitationnelle. Les rayons lumineux émis par un astre, ici un quasar, sont déviés en passant au voisinage d'un autre astre – ici une galaxie peu lumineuse – interposé entre le premier objet et un observateur sur Terre. Le quasar J0439+1634 apparaît donc sous forme de plusieurs images dédoublées et plus lumineuses. © ESA/Hubble, L. Calçada

    Un trou noir supermassif de 700 millions de masses solaires

    Baptisée J043947.08+163415.7 ou encore J0439+1634 en plus court, son décalage spectral vers le rouge a été précisé à l'aide d'observations spectroscopiques effectuées avec le Multi-Mirror Telescope en Arizona, l'observatoire Gemini North et l'observatoire Keckobservatoire Keck à Hawaï. J0439+1634 était bien un quasar mais sa lumière avait parcouru environ 12,8 milliards d'années-lumière pour nous parvenir. Il était plus facilement visible à cette distance grâce à un effet de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle produite par le champ de gravitationgravitation d'une galaxie située à environ 6 milliards d'années-lumière de la Voie lactée. Déjà très brillant, sa luminosité absolue était multipliée par un facteur de 50 environ, de sorte qu'elle apparaît équivalente à 600.000 milliards de fois celle du Soleil. On n'avait encore jamais trouvé de quasars aussi brillants dans le cosmoscosmos observable primitif, un milliard d'années après le Big Bang tout au plus.

    C'est le pouvoir de résolutionrésolution exceptionnelle du télescope HubbleHubble qui a permis de voir que J0439+1634 était en fait au départ, pour les premiers instruments qui l'ont observé, une combinaison de la lumière produite par le quasar et la galaxie à l'origine d'un effet de lentille. L'étude d'une des raies atomiques de l'atome du magnésiummagnésium à l'aide des instruments équipant le télescope Gemini North a non seulement permis de déterminer la distance de ce quasar mais a aussi permis d'évaluer la massemasse du trou noir supermassif : environ 700 millions de masses solaires (pour mémoire, celui de la Voie lactée n'en contient que 4 millions environ).

    La lumière du quasar J0439+1634, distante de 12,8 milliards d'années-lumière, passe à proximité d'une galaxie faiblement lumineuse distante d'environ six milliards d'années-lumière sur ce schéma. La gravité de cette galaxie au premier plan déforme l’espace autour d’elle, selon la théorie de la relativité générale d’Einstein. Cela dévie la lumière comme le ferait une lentille optique, agrandissant l’image du quasar par un facteur de cinquante, tout en divisant l’image du quasar en trois. La galaxie au premier plan et le quasar à images multiples visibles sur une image haute résolution du télescope Hubble. Les télescopes au sol, notamment MMT, Keck, Gemini, LBT et JCMT ont été utilisés pour observer ces objets en longueurs d'onde visible, infrarouge et submillimétrique, pour mesurer sa distance et pour caractériser son trou noir central et sa galaxie hôte.<br />© Nasa, Esa, Xiaohui Fan (Université de l'Arizona)
    La lumière du quasar J0439+1634, distante de 12,8 milliards d'années-lumière, passe à proximité d'une galaxie faiblement lumineuse distante d'environ six milliards d'années-lumière sur ce schéma. La gravité de cette galaxie au premier plan déforme l’espace autour d’elle, selon la théorie de la relativité générale d’Einstein. Cela dévie la lumière comme le ferait une lentille optique, agrandissant l’image du quasar par un facteur de cinquante, tout en divisant l’image du quasar en trois. La galaxie au premier plan et le quasar à images multiples visibles sur une image haute résolution du télescope Hubble. Les télescopes au sol, notamment MMT, Keck, Gemini, LBT et JCMT ont été utilisés pour observer ces objets en longueurs d'onde visible, infrarouge et submillimétrique, pour mesurer sa distance et pour caractériser son trou noir central et sa galaxie hôte.
    © Nasa, Esa, Xiaohui Fan (Université de l'Arizona)

    Des observations effectuées à des longueurs d'ondelongueurs d'onde submillimétrique avec le télescope James Clerk Maxwell au sommet du Mauna Kea suggèrent que l'activité du trou noir supermassif en mode quasar semble provoquer, probablement à cause du rayonnement ou des jets et ventsvents de matière associés à l'accrétionaccrétion, l'effondrementeffondrement de nombreux nuagesnuages moléculaires. De sorte, que le taux de formation d'étoiles dans la toute jeune galaxie entourant ce trou noir pourrait bien être aussi élevé que 10.000 étoiles par an (contre une dans la Voie lactée de nos jours).

    Astrophysiciens et cosmologistes n'en ont pas fini avec J0439+1634. Ils prévoient de l'examiner de plus près avec Alma et enfin le télescope spatial James-Webb dont la résolution devrait nous permettre d'avoir des informations sur une région dont la taille est de 150 années-lumière autour du trou noir. L'objectif étant toujours de mieux comprendre les relations évolutives entre trous noirs supermassifs et galaxies dans l'histoire du cosmos observable.

    L'image en fausses couleurs, fournie par Hubble, montre les trois images d'un quasar fortement décalées vers le rouge alors que celle de la galaxie plus proche, mais nettement moins lumineuse, est indiquée par une couleur bleue. © Nasa, Esa, Xiaohui Fan (Université de l'Arizona)
    L'image en fausses couleurs, fournie par Hubble, montre les trois images d'un quasar fortement décalées vers le rouge alors que celle de la galaxie plus proche, mais nettement moins lumineuse, est indiquée par une couleur bleue. © Nasa, Esa, Xiaohui Fan (Université de l'Arizona)

    Le plus puissant des quasars étonne les astronomes

    Article de OAMP publié le 04/12/2012

    Grâce au VLT de l'ESOESO, des astronomes ont découvert un quasar extraordinairement puissant, émettant un flux d'énergie au moins cinq fois supérieur au record du genre, ou, si l'on préfère, représentant deux mille milliards de soleils. La surprise est que cette puissance... atteint enfin les valeurs que prédisait la thé

    Les quasars constituent des centres galactiquescentres galactiques extrêmement brillants alimentés par des trous noirs supermassifs. De nombreux jets propulsent d'énormes quantités de matière à l'intérieur de leurs galaxies hôtes, et ces flux de matière jouent un rôle prépondérant dans l'évolution des galaxies. Toutefois, jusqu'à présent, les jets des quasars observés n'étaient pas aussi puissants que le prévoyaient les théoriciens. Une nouvelle étude très détaillée a porté sur l'un de ces objets énergétiques (connu sous l'appellation SDSS J1106+1939) en utilisant l'instrument X-Shooter installé sur le Very Large TelescopeVery Large Telescope (VLT) de l'ESO à l'Observatoire de Paranal, au Chili.

    Bien que les trous noirs soient connus pour absorber la matière, la plupart des quasars accélèrent également la matière environnante et l'éjectent à grande vitessevitesse. « Nous avons découvert le jet de quasar le plus énergétique connu à ce jour. La vitesse à laquelle l'énergie est emportée par cette énorme masse de matière éjectée à grande vitesse de SDSS J1106+1939 est au moins équivalente à 2.000 milliards de fois la puissance du Soleil. C'est aussi environ 100 fois supérieur à la puissance d'éjection totale de la Voie lactée - un vrai monstre d'éjection, explique le responsable d'équipe, Nahum Arav (Virginia Tech, États-Unis). C'est la première fois que le jet mesuré d'un quasar atteint ce niveau de hautes énergies prévu par la théorie. »


    Deux images du premier quasar identifié comme un objet cosmologique en 1962, prises par Hubble. 3C 273 se présente comme une étoile brillante avec un jet de matière en bas à droite de l'image de gauche. Sur l'image de droite, une technique de coronographie similaire à celle utilisée pour observer la couronne solaire montre quelques détails de la galaxie hôte du quasar. © WFPC2 : Nasa et J. Bahcall (IAS), A. Martel (JHU), H. Ford (JHU), M. Clampin (STScI), G. Hartig (STScI), G. Illingworth (UCO, Lick Observatory), the ACS Science Team, Esa

    Un jet de matière démesuré pour le quasar SDSS J1106+1939

    De nombreuses simulations théoriques suggèrent que l'impact de ces jets sur les galaxies environnantes pourrait résoudre certaines énigmes de la cosmologie moderne. On peut citer le lien entre la masse d'une galaxie et celle de son trou noir central, ou encore les raisons pour lesquelles il existe si peu de grandes galaxies dans l'univers. Toutefois, la question de savoir si les quasars ont été capables de produire des jets suffisamment puissants pour expliquer ces phénomènes est demeurée sans réponse jusqu'à présent.

    Le jet nouvellement découvert se situe à environ 1.000 années-lumière du trou noir supermassif qui occupe le centre du quasar SDSS J1106+1939. Ce jet est au moins 5 fois plus puissant que celui issu du quasar détenteur du précédent record. L'analyse des chercheurs montre qu'une masse approximativement égale à 400 fois la masse du Soleil s'échappe du quasar chaque année, se déplaçant à une vitesse de 8.000 km/s. « Nous n'aurions pas pu faire cette découverte sans les données de grande qualité fournies par le spectrographespectrographe X-shooter du VLT, souligne Benoît Borguet (Virginia Tech), auteur principal de l'article. Pour la première fois, nous avons pu explorer en détail la région située autour du quasar. » L'équipe a également observé un autre quasar et trouvé que l'un et l'autre sont caractérisés par des jets intenses.

    Il s'agit là d'exemples typiques d'une catégorie répandue de quasars, bien que peu étudiée auparavant. Ces résultats devraient donc être largement appliqués aux quasars lumineux qui parsèment l'univers. Benoît Borguet et ses collègues explorent à présent une douzaine de quasars similaires afin de confirmer la validité de ces résultats.