Les membres de la collaboration Bicep2 ont-ils bel et bien apporté la preuve manquante de la théorie de l'inflation ? Ou bien la polarisation du rayonnement fossile qu'ils pensent avoir détectée n'est-elle qu'une manifestation des émissions des poussières magnétisées de la Voie lactée ? Tout en continuant à chercher à le savoir, les membres de la collaboration Planck ont dressé une nouvelle carte partielle du champ magnétique de notre Galaxie déduite de ces émissions. Ils viennent de la rendre publique.

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    Le 14 mai 2009, une fuséefusée Ariane 5Ariane 5 s'élançait vers les étoiles, avec à son bord les satellites Planck et Herschel destinés à rejoindre à terme le point de Lagrange L2. Depuis, cinq années se sont écoulées. Ces deux yeuxyeux de l'humanité sur orbite lui ont permis de voir comme jamais auparavant ce qui se passait quand l'univers observable n'était âgé que de 380.000 ans, ainsi que l'intérieur des pouponnières d'étoiles. Les chercheurs continuent à analyser les observations de Planck après nous avoir fourni la carte la plus précise à ce jour des fluctuations de température de la plus vieille lumière du monde, celle du rayonnement fossilerayonnement fossile.


    Une courte présentation des objectifs de la mission Planck. © HFI Planck, YouTube

    Ils s'apprêtaient à fournir celle de sa polarisation à l'automneautomne 2014 quand la bombe des observations de Bicep2Bicep2 a explosé le 17 mars. Dans l'interview qu'il a donnée à Futura-Sciences, le cosmologiste français Denis Barkats nous a expliqué comment ses collègues et lui étaient arrivés à se convaincre, malgré leur scepticisme initial, qu'ils avaient probablement découvert et mesuré l'effet produit par des ondes gravitationnelles primordiales sur la polarisation du rayonnement fossile. En termes plus techniques, ils avaient sans doute réussi à mesurer les modes Bmodes B génériquement produits par les modèles de la théorie de l'inflation.

    La quête des ondes gravitationnelles du Big Bang

    Pour arriver à ce résultat qui, s'il était confirmé, nous permettrait de plonger au cœur des conditions de la naissance du bébé univers alors qu'il n'était âgé que de 10-37 s, il avait fallu faire de longues observations en AntarctiqueAntarctique d'une petite région de la voûte céleste baptisée le southernsouthern galactic hole. Après avoir sérieusement étudié la question, les membres de la collaboration Bicep2 étaient arrivés à la conclusion que cette partie du ciel devait être particulièrement peu polluée par des émissionsémissions dans le domaine des micro-ondes causées par les poussières de la Voie lactée lorsqu'on cherchait à mesurer la polarisation du rayonnement fossile.


    La genèse du satellite Planck jusqu'à son lancement à Kourou le 14 mai 2009. © HFI Planck, YouTube

    Il existe en effet des champs magnétiqueschamps magnétiques complexes et turbulents dans le milieu interstellaire baignant les étoiles de la Voie lactéeVoie lactée. Ces champs peuvent s'élever en formant des sortes d'arches au-dessus du plan galactique, et ils influencent la propagation des rayons cosmiquesrayons cosmiques de sorte qu'ils rendent difficiles les tentatives de détection indirecte des particules de matière noirematière noire, par exemple avec l'expérience AMS-02. Les poussières galactiques éjectées dans le milieu interstellaire par les étoiles mourantes sont très froides, mais elles sont suffisamment chaudes pour émettre des rayonnements dans le domaine des micro-ondes. Si ces poussières sont asymétriquesasymétriques, le champ électriquechamp électrique de la lumière qu'elles émettent est orienté parallèlement à l'axe le plus long de ces poussières, de sorte que la lumière devient polarisée. En outre, les poussières sont sensibles aux lignes de champ magnétique et leur axe le plus long a tendance à s'orienter perpendiculairement à ces lignes de champs. Au final, il apparaît une émission de lumière polarisée à l'échelle galactique avec des structures mimant celles des modes B produits par l'inflation.

    Des poussières magnétisées dans le milieu interstellaire

    Pour avoir une plus grande confiance dans les résultats de Bicep2, il faut donc vérifier que la contaminationcontamination du signal cosmologique par la poussière galactique est bien négligeable. Le même problème se pose pour Planck, qui a observé toute la voûte céleste. Mais Planck dispose d'un atout pour soustraire ce bruit de fond : des mesures effectuées sur neuf fréquencesfréquences, alors que celles de Bicep2 ont été prises à 150 GHz. On sait en effet comment doit varier l'intensité de cette contamination en fonction de la fréquence, ce qui permet de l'identifier et de l'éliminer.

    Il existe d'autres avant-plans susceptibles de brouiller le signal cosmologique et qui rendent difficiles l'observation des modes B. La solution à ce problème est en gros la même que pour les émissions des poussières galactiques.

    Sur cette image de la direction des projections des lignes du champ magnétique de la Voie lactée vu par le satellite Planck, la partie du ciel observée par Bicep2 a été superposée en bas à droite. Les stratégies d'observation de ces deux expériences sont en effet très différentes et complémentaires : Planck balaie tout le ciel en collectant nombre d'informations dans neuf fréquences différentes, alors que Bicep2 scrute en profondeur une petite zone (elle-même observée plus finement dans sa partie centrale, la couleur indiquant la densité de mesure, de faible en bleu à forte en rouge), en se concentrant sur une seule fréquence. © Esa, collaboration Planck, collaboration Bicep2

    Sur cette image de la direction des projections des lignes du champ magnétique de la Voie lactée vu par le satellite Planck, la partie du ciel observée par Bicep2 a été superposée en bas à droite. Les stratégies d'observation de ces deux expériences sont en effet très différentes et complémentaires : Planck balaie tout le ciel en collectant nombre d'informations dans neuf fréquences différentes, alors que Bicep2 scrute en profondeur une petite zone (elle-même observée plus finement dans sa partie centrale, la couleur indiquant la densité de mesure, de faible en bleu à forte en rouge), en se concentrant sur une seule fréquence. © Esa, collaboration Planck, collaboration Bicep2

    Le sort encore incertain des cosmologies cycliques

    Les Planckiens viennent justement de rendre publics des résultats concernant une partie des émissions de lumière polarisée issues de ces poussières avec quatre articles publiés sur arxiv et une première carte du champ magnétique de la Voie lactée déduite de la mesure de ces émissions de lumière polarisée. Comme il est expliqué sur le site de Planck HFI, des zones à haute latitudelatitude de part et d'autre du plan galactique ont été masquées parce que le signal y est plus faible et que le travail d'analyse à leur sujet est encore en cours. Malheureusement, les émissions éventuellement présentes dans la région du southern galactic hole ne font pas partie de la carte, de sorte que les Planckiens font durer le suspense en ce qui concerne les résultats de Bicep2. On ne sait donc toujours pas si l'on peut lever le doute sur une éventuelle contamination du southern galactic hole par des émissions de poussières galactiques sous-estimées, par exemple celles qu'auraient détectées récemment Hao Liu, Philipp Mertsch et Subir Sarkar.

    Une remise en cause des résultats de Bicep2 pourrait remettre en selle des alternatives à la théorie de l'inflation qui semblent maintenant réfutées, à savoir la cosmologiecosmologie cyclique conforme de Roger Penrose et le modèle ekpyrotique, un autre modèle d'univers cyclique que Justin Khoury, Burt Ovrut, Paul Steinhardt et Neil Turok avaient proposé en 2001. Une chose est sûre : ce qui est du bruit pour les cosmologistes est de l'information pour les astrophysiciensastrophysiciens, qui connaissent désormais un peu mieux les champs magnétiques parcourant la Voie lactée.