La formation du système solaire recèle encore bien des mystères. L’un des plus tenaces est l’étrange différence entre les rapports d’isotopes de l’oxygène dans les roches terrestres et dans les météorites. En cherchant à utiliser la source la plus intense en rayons ultraviolets du monde, des chercheurs américains ont peut-être levé le voile sur cette énigme.

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    La récupération de la feuille d'or de Genesis ayant servi à collecter des particules de vent solaire. Crédit : Nasa

    La récupération de la feuille d'or de Genesis ayant servi à collecter des particules de vent solaire. Crédit : Nasa

    Il y a comme une aura de mystère concernant les isotopes de l'oxygène dans le système solaire. D'abord on connaît la fameuse crise de l'oxygène solaire, mais il y a aussi l'énigme de l'oxygène terrestre. Elément le plus abondant sur Terre, il existe sous forme de trois isotopes. L'oxygène 16 (O16) constitue jusqu'à 99,762 % de l'oxygène terrestre. L'oxygène 17, plus lourd car il comporte 8 protons et 9 neutrons, représente 0,038 %, tandis que le 018 contribue à hauteur de 0,2 %. Au total, la massemasse de l'oxygène représente presque la moitié de celle de la Terre ! Il est le plus souvent chimiquement lié et on le retrouve sous forme de silicatessilicates dans bien des roches terrestres comme les granitesgranites ou les péridotitespéridotites.

    Or, lorsque l'on compare les abondances de ces isotopes dans la moyenne des roches de notre planète avec celles des météoritesmétéorites comme Allende, la célèbre chondritechondrite carbonée, on trouve des désaccords. Ces écarts ont de quoi surprendre puisque la Terre s'est formée par accrétionaccrétion de météorites et de planétésimaux. Ce casse-tête occupe l'esprit des cosmochimistes depuis de nombreuses années et plusieurs explications ont été proposées, dont celle d'un effet dit d'écrantage du flux de photonsphotons UV (ultravioletultraviolet) à l'intérieur de la nébuleusenébuleuse protosolaire.

    On observe cet effet dans les nuagesnuages moléculaires interstellaires. Les différents isotopes de l'oxygène se retrouvent piégés dans des moléculesmolécules de monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO) et, en raison de leur différences de masses, il faut des photons ultraviolets possédant de légères différences de longueurs d'ondelongueurs d'onde pour briser ces molécules, le CO avec O16 étant majoritaire. Le processus d'écrantage fonctionne alors de la façon suivante. A la surface d'un de ces nuages les premières molécules de CO16 absorbent une grande partie des photons et protègent ainsi celles situées à l'intérieur du nuage. Mais les molécules CO9 et CO10, plus rares et plus diffuses, sont elles bien moins protégées par cet écrantage et elles se dissocient davantage. Au final, les atomesatomes d'oxygènes libres se recombinent avec d'autres molécules pour former du dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) avec des isotopes lourds, lequel sera incorporé dans les poussières qui donneront, par agglutinationagglutination, les météorites à l'origine des planètes.

    Cliquez pour agrandir. Certaines des réactions produites dans les nuages moléculaires par les photons UV produits par les jeunes étoiles chaudes. Crédit : <em>Berkeley Lab.</em>

    Cliquez pour agrandir. Certaines des réactions produites dans les nuages moléculaires par les photons UV produits par les jeunes étoiles chaudes. Crédit : Berkeley Lab.

    Vérification au laboratoire

    Dans le cas du système solaire, cet effet aurait joué près du SoleilSoleil et c'est pourquoi sur Terre les rapports isotopiques de l'oxygène seraient différents de ceux des autres corps formés plus loin du Soleil. Mais cette théorie était-elle exacte ? Pour le savoir, Mark Thiemens, un cosmochimiste, membre important de l'équipe analysant les échantillons de vent solairevent solaire rapportés sur Terre par la sonde Genesis, a décidé d'utiliser la source de rayons ultraviolets intense  de l'Université de Berkeley, Advanced Light Source (ALS), pour reproduire en laboratoire ce phénomène d'écrantage.

    Un synchrotron a alors émis quatre faisceaux de photons UV à différentes longueurs d'onde dirigés sur un échantillon de monoxyde de carbone CO ultra-pur pendant plusieurs heures et le résultat a été collecté dans une capsule refroidie avec de l'azoteazote liquideliquide. L'analyse au spectromètrespectromètre de masse a stupéfié les chercheurs.

    Mark Thiemens dans son laboratoire de cosmochimie. Crédit : Nasa

    Mark Thiemens dans son laboratoire de cosmochimie. Crédit : Nasa

    En effet, si l'on a bien retrouvé les rapports d'abondances observés sur Terre et dans les échantillons de Genesis, les cosmochimistes ont découvert que le processus d'écrantage ne peut pas constituer la véritable explication. Il faudrait selon eux en appeler à certaines propriétés électroniques des molécules de CO. Un résultat totalement inattendu !

    Beaucoup de travail reste encore à faire pour y voir plus clair et les chercheurs veulent étudier maintenant, toujours avec ALS, les interactions physico-chimiques complexes entre les isotopes d'oxygène, l'eau et les silicates présents dans les nuages moléculaires et à l'origine des roches terrestres.