Une équipe menée par un astrophysicien de l'Observatoire de la Côte d'Azur a utilisé le télescope Hubble pour faire un nouveau zoom sur un astre mythique situé à 2,5 milliards d’années-lumière de la Voie lactée et dont la découverte en 1963 a contribué à changer de paradigme en cosmologie, accréditant la théorie du Big Bang. Il s'agit du quasar 3C 273, un noyau actif de galaxie contenant un trou noir supermassif avec une luminosité plus de 10 fois supérieure à celle des galaxies elliptiques géantes les plus brillantes. En fait, s'il n'était qu'à quelques dizaines d'années-lumière de la Terre, il apparaîtrait aussi brillant que le Soleil dans le ciel !


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    Imaginez une région de la taille du Système solaire, qui émet 100 à 1 000 fois plus de lumière qu'une galaxie entière contenant une centaine de milliards d'étoiles, et qui génère une lueur qui éclipse sa galaxie hôte et tout ce qu'elle contient. Science-fiction ? Non, mais on peut comprendre la stupéfaction des astrophysiciensastrophysiciens quand ils ont découvert le premier exemple de cette monstruosité cosmique il y a des décennies. On sait maintenant qu'il s'agit très probablement d'un noyau actif de galaxienoyau actif de galaxie alimenté par le rayonnement d'un trou noir supermassiftrou noir supermassif de Kerr en rotation, entouré d'un disque d'accrétiondisque d'accrétion avalant de la matièrematière et projetant des jets de particules.

    Cette astreastre mythique dont nous allons révéler le nom a fait l'objet de nouvelles observations avec Hubble en utilisant le Space Telescope Imaging Spectrograph (STIS), également équipé d'un coronographecoronographe héritier de l'instrument mis au point par l'astronomeastronome Bernard LyotBernard Lyot au cours des années 1930. Le coronographe, qu'il a inventé afin de pouvoir observer la couronne solaire sans devoir attendre une éclipse, reproduit les éclipses totaleséclipses totales à l'aide d'un masque opaque afin d'étudier la couronne sans que la photosphèrephotosphère ne gêne l'observation.

    Aujourd'hui, on apprend donc que Bin Ren, de l'Observatoire de la Côte d'Azur et de l'université Côte d'Azur à Nice, a dirigé de janvier 2022 à février 2024 la première démonstration scientifique extragalactique de l'usage du coronographe à bord du télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble. On peut le constater en consultant un communiqué de la NasaNasa accompagnant une publication sur arXiv, qui explique que huit orbitesorbites d'observations coronographiques ont été accomplies dans ce but.


    Sandra Faber est une professeure d'astronomie et d'astrophysique de l'université de Californie à Santa Cruz connue pour avoir conjointement découvert avec Robert Earl Jackson une méthode de détermination de distances pour les galaxies elliptiques appelée « relation de Faber-Jackson ». Elle a aussi, à la tête de son équipe connue sous le nom de « Seven Samurai », découvert une concentration en masse de nature inconnue dénommée « Grand attracteur ». Elle interroge, ici, Maarten Schmidt au sujet de sa découverte des quasars. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Annual Review

    Le quasar 3C 273, une preuve de la théorie du Big Bang

    Mais remontons en 1963, lorsque Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, et John Beverly Oke publiaient dans le journal Nature les résultats des observations qu'ils avaient réalisées en utilisant notamment la technique des occultationsoccultations. Ils cherchaient à déterminer la contrepartie optique d'une source radio puissante découverte quelques années auparavant par un autre astronome, Allan Sandage. La source avait été baptisée 3C 273, ce qui veut dire qu'elle était le 273e objet du troisième catalogue de Cambridge recensant les sources radio.

    L'article de Schmidt et Oke fut un coup de tonnerretonnerre dans le ciel de l'astrophysiqueastrophysique et de la cosmologiecosmologie. L'analyse spectrale de l'astre qu'ils avaient identifié dans le visible dans la constellation de la Vierge révélait des lignes d'émissionémission de l'hydrogènehydrogène fortement décalées vers le rouge. Cela signifiait que ce qui apparaissait comme une étoile se situait en dehors de la Voie lactéeVoie lactée, mais surtout à une distance cosmologique. Pour être observable d'aussi loin, l'objet devait être d'une luminositéluminosité prodigieuse. On sait aujourd'hui que le quasarquasar 3C 273 est situé à 2,44 milliards d'années-lumièreannées-lumière à l'intérieur d'une galaxie elliptiquegalaxie elliptique géante.

    Cette découverte, rapidement suivie d'autres, d'une quasi-stellar radio source, un quasar selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu, démontrait que l'UniversUnivers était différent dans le passé, et donc évoluait. Ceci n'était pas possible dans le cadre du modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard de l'époque, selon lequel, bien qu'en expansion, l'Univers devait apparaître inchangé pour tous ses observateurs, quelle que soit leur position dans le temps. En revanche, l'existence de 3C 273 et ses semblables (on en connaît aujourd'hui plus de 200 000) était en parfait accord avec la théorie du Big Bang, puisque celle-ci prévoyait que si l'on observait des objets à des distances suffisamment grandes, on remontait de plus en plus loin dans le passé et l'histoire d'un Univers en évolution. Il était donc normal d'observer à des milliards d'années-lumière un Univers dont l'aspect diffère de celui qu'il avait il y a seulement quelques dizaines de millions d'années, donc dans l'environnement proche de la Voie lactée.

    L'astronome américain Allan Sandage (1926-2010) en 1982. Il a été le premier à obtenir une valeur correcte de la constante de Hubble, et est célèbre pour sa découverte du premier quasar, 3C 273, en 1959. © Douglas Carr Cunningham
    L'astronome américain Allan Sandage (1926-2010) en 1982. Il a été le premier à obtenir une valeur correcte de la constante de Hubble, et est célèbre pour sa découverte du premier quasar, 3C 273, en 1959. © Douglas Carr Cunningham

    Les quasars, des trous noirs supermassifs ?

    Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces quasars qui, bien que libérant d'énormes quantités d'énergieénergie, semblaient être de petite taille. On a d'abord pensé qu'il pouvait s'agir d'énormes étoiles dominées par les effets de la relativité généralerelativité générale, notamment responsables du décalage spectral, avant d'envisager assez rapidement qu'il pouvait s'agir de trous noirs supermassifs accrétant d'importantes quantités de gazgaz. Dans le bestiaire des astres relativistes que l'on commençait à explorer sérieusement pendant les années 1960, certains, comme le Russe Igor Novikov et l'Israélien Yuval Ne'eman, ont même proposé que les quasars soient en fait des trous blancs. C'est-à-dire soit des régions de l'Univers dont l'expansion au moment du Big BangBig Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l'autre extrémité de trous de ver éjectant la matière qu'ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmoscosmos, voire dans un autre Univers.

    Peut-être s'agit-il aussi d'un trou de ver dans le cas de 3C 273. Mais si nous sommes bien en présence d'un trou noir, alors on estime qu'il contient 887 millions de massesmasses solaires. En tout état de cause, 3C 273 est le quasar le plus brillant sur la voûte céleste. S'il se trouvait à 30 années-lumière, c'est-à-dire en gros sept fois la distance de notre étoile à Alpha du Centaure, il apparaîtrait aussi brillant que le SoleilSoleil !

    À gauche, meilleure image du quasar brillant 3C 273 en 2013 par Hubble. À droite, meilleure image du quasar brillant 3C 273 en 2024 (Ren et al. 2024) en utilisant la coronographie.
    À gauche, meilleure image du quasar brillant 3C 273 en 2013 par Hubble. À droite, meilleure image du quasar brillant 3C 273 en 2024 (Ren et al. 2024) en utilisant la coronographie.

    « Beaucoup de choses étranges »

    Que montrent donc les nouvelles images de l'environnement autour du quasar 3C 273 prises par coronographie avec Hubble ?

    Selon Bin Ren dans le communiqué de la Nasa : « Beaucoup de choses étranges. Nous avons quelques taches de différentes tailles et une mystérieuse structure filamentaire en forme de L. Tout cela se trouve à moins de 16 000 années-lumière du trou noir. Grâce à la puissance d'observation de Hubble, nous ouvrons une nouvelle porteporte vers la compréhension des quasars. Mes collègues sont ravis car ils n'ont jamais vu autant de détails auparavant ».

    Certains des objets mis en évidence en regardant le trou noir huit fois plus près que jamais auparavant grâce au coronographe de Hubble pourraient être de petites galaxies satellites tombant vers le trou noir supermassif central. On distingue mieux aussi ce qui semble être un jet de matière extragalactique du quasar, long de 300 000 années-lumière et qui traverse l'espace à une vitessevitesse proche de celle de la lumière.

    Encore la même image du noyau du quasar 3C 273 prise par le télescope spatial Hubble. Un coronographe sur Hubble bloque l’éblouissement provenant du trou noir supermassif au cœur du quasar. Cela permet aux astronomes d’observer des détails inédits à proximité du trou noir, tels que d’étranges filaments, des lobes et une mystérieuse structure en forme de L, probablement causée par de petites galaxies dévorées par le trou noir. ©<br>Nasa, ESA, Bin Ren (Université Côte d’Azur/CNRS) ; Remerciements : John Bahcall (IAS) ; Traitement d’images : Joseph DePasquale (STScI)
    Encore la même image du noyau du quasar 3C 273 prise par le télescope spatial Hubble. Un coronographe sur Hubble bloque l’éblouissement provenant du trou noir supermassif au cœur du quasar. Cela permet aux astronomes d’observer des détails inédits à proximité du trou noir, tels que d’étranges filaments, des lobes et une mystérieuse structure en forme de L, probablement causée par de petites galaxies dévorées par le trou noir. ©
    Nasa, ESA, Bin Ren (Université Côte d’Azur/CNRS) ; Remerciements : John Bahcall (IAS) ; Traitement d’images : Joseph DePasquale (STScI)

    « Grâce aux structures spatiales fines et au mouvementmouvement du jet, Hubble a comblé un fossé entre l'interférométrieinterférométrie radio à petite échelle et les observations d'imagerie optique à grande échelle, et nous pouvons ainsi faire un pas en avant vers une compréhension plus complète de la morphologiemorphologie de l'hôte du quasar. Notre vue précédente était très limitée, mais Hubble nous permet de comprendre en détail la morphologie complexe du quasar et les interactions galactiques. À l'avenir, observer plus loin 3C 273 en lumière infrarougeinfrarouge avec le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb pourrait nous donner plus d'indices », conclut Ren toujours dans le communiqué de la Nasa.


    Françoise Combes, astrophysicienne et professeure au Collège de France, explique les dernières découvertes au sujet des quasars. © Les Mardis de l'Espace des sciences