Nous sommes en 2025, on pourrait croire que tous les types d'étoiles dans la Voie lactée sont connus mais on peut encore avoir des surprises comme ce fut le cas en 1953 pour l'astronome états-uniens Alan Sandage et sa découverte des trainardes bleues. Aujourd'hui, le télescope Hubble se penche sur le cas d'une autre trouvaille exotique : des astres baptisés des rôdeurs bleus ! C'est l'occasion de rappeler au passage quelques notions d'astrophysique et d'histoire de l'astronomie.


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    Connaissez-vous M3, l'astre qui porteporte le numéro 5272 dans le New General CatalogueNew General Catalogue of Nebulae and Clusters of Stars ou NGC (en français « Nouveau catalogue général de nébuleuses et d'amas d'étoiles »), l'un des catalogues astronomiques les plus connus contenant 7 840 objets du ciel profond (principalement des galaxiesgalaxies, mais aussi d'autres types) recensés par astronomeastronome l'Irlando-Danois John Dreyer jusqu'en 1888 ?

    C'est un amas globulaireamas globulaire situé dans la constellationconstellation des ChiensChiens de chasse, à environ 33 300 années-lumièreannées-lumière du Système solaireSystème solaire, et qui n'a été débusqué qu'en 1764 par l'astronome français Charles MessierCharles Messier. Mais ce n'est qu'en 1784 que l'astronome germano-britannique d'origine allemande William HerschelWilliam Herschel, découvreur d'UranusUranus et du rayonnement infrarougeinfrarouge, a été le premier à résoudre M 3 en étoiles et à le reconnaître comme un amas.

    En 1953, l'astronome Allan Sandage va mettre NGC 5272 sur le devant de la scène en y faisant une découverte qui va laisser un temps les astrophysiciensastrophysiciens perplexes, celle de la première étoile dite traînarde bleue (en anglais « blue stragglers »).

    M 3 est l'un des plus gros et des plus brillants amas globulaires découverts à ce jour. Il contient environ un demi-million d'étoiles, mais très peu de gazgaz, de sorte qu'il ne s'y forme pas de nouvelles étoiles. Celles qui le constituent sont anciennes, petites et rouges. Or l'astre découvert par Sandage est bleu !

    Cela signifie que, contrairement aux autres étoiles de l'amas qui sont nées il y a plus de 8 milliards d'années, ce devrait être une jeune étoile massive dont la duréedurée de vie devrait nécessairement être de quelques millions d'années tout au plus, ce qui doit donner également l'ordre de grandeurordre de grandeur de son âge. Comment expliquer l'existence d'un astre aussi jeune, et donc paradoxal, dans NGC 5272 (alors que toutes leurs étoiles sont nées à peu près en même temps et qu'il n'y aucun signe de l'existence de pouponnières d'étoiles dans les amas globulaires) ? D'autant plus que, grâce notamment aux observations du télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble, on connait maintenant un nombre relativement élevé d'étoiles traînardes bleues dans Messier 3.

    Les amas globulaires sont des objets intrinsèquement beaux, mais le sujet de cette image du télescope spatial Hubble de la Nasa/ESA, Messier 3, est communément considéré comme l’un des plus beaux d’entre eux. Contenant un incroyable demi-million d’étoiles, ce bijou cosmique, vieux de huit milliards d’années, est l’un des amas globulaires les plus grands et les plus brillants jamais découverts. Cependant, une des raisons qui rend Messier 3 particulièrement spécial est sa population inhabituellement importante d’étoiles variables – des étoiles dont la luminosité fluctue au fil du temps. De nouvelles étoiles variables continuent d’être découvertes dans ce nid stellaire étincelant à ce jour, mais jusqu’à présent, nous en connaissons 274 ; de loin, le nombre le plus élevé trouvé dans un amas globulaire. Au moins 170 d’entre elles appartiennent à une variété spéciale appelée variable RR Lyrae, qui pulsent avec une période directement liée à leur luminosité intrinsèque. © Nasa, Esa
    Les amas globulaires sont des objets intrinsèquement beaux, mais le sujet de cette image du télescope spatial Hubble de la Nasa/ESA, Messier 3, est communément considéré comme l’un des plus beaux d’entre eux. Contenant un incroyable demi-million d’étoiles, ce bijou cosmique, vieux de huit milliards d’années, est l’un des amas globulaires les plus grands et les plus brillants jamais découverts. Cependant, une des raisons qui rend Messier 3 particulièrement spécial est sa population inhabituellement importante d’étoiles variables – des étoiles dont la luminosité fluctue au fil du temps. De nouvelles étoiles variables continuent d’être découvertes dans ce nid stellaire étincelant à ce jour, mais jusqu’à présent, nous en connaissons 274 ; de loin, le nombre le plus élevé trouvé dans un amas globulaire. Au moins 170 d’entre elles appartiennent à une variété spéciale appelée variable RR Lyrae, qui pulsent avec une période directement liée à leur luminosité intrinsèque. © Nasa, Esa

    En effet, maintenant bien rodée, la théorie de l'évolutionthéorie de l'évolution stellaire repose sur les travaux des pionniers de la structure stellaire qu'étaient Chandrasekhar et Martin Schwarzschild il y a plus d'un demi-siècle. Le flot de données astrophysiquesastrophysiques obtenues depuis la seconde moitié du XXe siècle n'a jamais démenti cette théorie, bien au contraire. On sait ainsi que plus une étoile est massive, plus elle brille et moins elle dure longtemps. Des étoiles d'environ 10 massesmasses solaires au moins sont chaudes et apparaissent de couleurcouleur bleue à l'observation. On les trouve en particulier dans les pouponnières d'étoiles, les amas ouvertsamas ouverts et leur durée de vie sont inférieures à 10 millions d'années.

    On sait aussi que la majorité des étoiles vivent en couple et que des transferts de masse dus aux forces de maréeforces de marée s'y produisent parfois. En outre, la densité d'étoiles dans le cœur d'un amas globulaire est telle que les chances d'une collision entre étoile y sont considérablement plus élevées que dans une galaxie, où elles sont négligeables, pour ne pas dire nulles.

    Les étoiles binairesbinaires, donc liées par la gravitationgravitation, sont nombreuses. Dans la Voie lactée, elles constituent même les deux tiers des étoiles. L'étude scientifique de ces étoiles a débuté depuis des siècles. Ainsi, Giovanni Battista Riccioli, astronome et jésuite italien à l'origine de la nomenclature de la face visible de la LuneLune, du temps de GaliléeGalilée, avait déjà observé à la lunette le système d'étoiles Alcor et Mizar, dans la Grande OurseGrande Ourse. Il avait découvert que Mizar elle-même était en fait un système double, Mizar A et Mizar B.

    Le scénario pour expliquer les blue stragglers qui s'est imposé est le suivant. Deux vieilles étoiles peu massives dans un système binairesystème binaire finiraient un jour par entrer en collision pour donner une nouvelle étoile un peu plus massive, du coup, bleue et avec une durée de vie certes courte mais pouvant atteindre 100 millions d'années tout au plus.

    L'image terrestre plus petite (en bas à gauche) prise par le <em>Digitized Sky Survey</em> illustre la petite zone de Messier 67 observée par Hubble. Image terrestre : <em>Digitized Sky Survey</em> ; image Hubble : Nasa, ESA et J. Krist (<em>Jet Propulsion Laboratory</em>) : Traitement : Gladys Kober (Nasa/<em>Catholic University of America</em>)
    L'image terrestre plus petite (en bas à gauche) prise par le Digitized Sky Survey illustre la petite zone de Messier 67 observée par Hubble. Image terrestre : Digitized Sky Survey ; image Hubble : Nasa, ESA et J. Krist (Jet Propulsion Laboratory) : Traitement : Gladys Kober (Nasa/Catholic University of America)

    Des blue stragglers au blue lurkers

    Mais voilà maintenant qu'une autre classe d'étoiles paradoxales a été découverte et on les appelle cette fois-ci des rôdeurs bleus, blue lurker en anglais. Tout récemment, une équipe d'astronomes a publié un article que l'on peut lire en accès libre sur arXiv et qui porte sur une telle étoile découverte avec le télescope spatial Hubble dans un amas ouvert de la Voie lactéeVoie lactée connu sous le nom de M 67M 67.

    Même si on est plutôt en présence d'une étoile jaune, d'une masse comparable à celle du SoleilSoleil, des caractéristiques de cette étoile suggèrent un lien avec le scénario de formation des trainardes bleues, d'où son appartenance à la classe exotiqueexotique des rôdeurs bleus.

    Dans un communiqué de la NasaNasa au sujet de cette découverte, on peut lire plusieurs commentaires d'Emily Leiner de l'Illinois Institute of Technology à Chicago, qui explique notamment que, selon elle et ses collègues, l'étoile a eu une « histoire d'évolution super compliquée.  Cette étoile est vraiment passionnante car c'est un exemple d'étoile qui a interagi dans un système à trois étoiles ».

    L'indice principal laissant penser que l'étoile a eu une vie tumultueuse, c'est sa vitesse de rotationvitesse de rotation élevée, mise en évidence grâce au télescope spatial Kepler de la Nasa. Alors que les étoiles normales semblables au Soleil mettent généralement environ 30 jours pour effectuer une rotation, le rôdeur bleu n'en met que quatre !

    Il y en a un autre : le rôdeur bleu orbiteorbite autour d'une naine blanchenaine blanche. Or, en utilisant la spectroscopie ultraviolette, Hubble a découvert que la naine blanche est très chaude (environ trois fois la température de surface du Soleil) et pèse 0,72 masse solaire. Or, selon la théorie, les naines blanches chaudes de M67 ne devraient contenir qu'environ 0,5 masse solaire, sauf si la naine blanche est le sous-produit de la fusionfusion de deux étoiles qui faisaient autrefois partie d'un système d'étoiles triples.

    Évolution d'une étoile « <em>Blue Lurker</em> » dans un système triple Panneau 1 : un système d'étoiles triples contenant trois étoiles semblables au Soleil. Deux d'entre elles sont en orbite très serrée. La troisième étoile a une orbite beaucoup plus large. Panneau 2 : la paire d'étoiles rapprochées se rejoint en spirale et fusionne pour former une étoile massive supplémentaire. Panneau 3 : l'étoile fusionnée évolue en une étoile géante. Au fur et à mesure que l'énorme photosphère se dilate, une partie de la matière tombe sur le compagnon extérieur, ce qui fait grossir le compagnon et augmenter sa vitesse de rotation. Panneaux 4-5 : l'étoile centrale fusionnée finit par brûler et forme une naine blanche massive, et le compagnon extérieur s'enroule vers la naine blanche, laissant un système d'étoiles binaires avec une orbite plus serrée. Panneau 6 : le compagnon extérieur survivant ressemble beaucoup à notre Soleil mais est surnommé un « <em>blue lurker </em>». Bien qu'il soit légèrement plus bleu et plus brillant que prévu en raison du transfert de masse antérieur de l'étoile centrale et qu'il tourne maintenant très rapidement, ces caractéristiques sont subtiles. L'étoile pourrait facilement être confondue avec une étoile normale semblable au Soleil malgré son histoire évolutive exotique. © Nasa, ESA, Leah Hustak (STScI)
    Évolution d'une étoile « Blue Lurker » dans un système triple Panneau 1 : un système d'étoiles triples contenant trois étoiles semblables au Soleil. Deux d'entre elles sont en orbite très serrée. La troisième étoile a une orbite beaucoup plus large. Panneau 2 : la paire d'étoiles rapprochées se rejoint en spirale et fusionne pour former une étoile massive supplémentaire. Panneau 3 : l'étoile fusionnée évolue en une étoile géante. Au fur et à mesure que l'énorme photosphère se dilate, une partie de la matière tombe sur le compagnon extérieur, ce qui fait grossir le compagnon et augmenter sa vitesse de rotation. Panneaux 4-5 : l'étoile centrale fusionnée finit par brûler et forme une naine blanche massive, et le compagnon extérieur s'enroule vers la naine blanche, laissant un système d'étoiles binaires avec une orbite plus serrée. Panneau 6 : le compagnon extérieur survivant ressemble beaucoup à notre Soleil mais est surnommé un « blue lurker ». Bien qu'il soit légèrement plus bleu et plus brillant que prévu en raison du transfert de masse antérieur de l'étoile centrale et qu'il tourne maintenant très rapidement, ces caractéristiques sont subtiles. L'étoile pourrait facilement être confondue avec une étoile normale semblable au Soleil malgré son histoire évolutive exotique. © Nasa, ESA, Leah Hustak (STScI)

    Le saviez-vous ?

    M67 a été enregistré pour la première fois par l’astronome allemand Johann Gottfried Koehler en 1779, puis redécouvert et identifié comme un groupe d’étoiles par Charles Messier un an plus tard. Il se trouve à environ 2 800 années-lumière de la Terre dans la constellation du Cancer. M67 est un groupe de plus de 500 étoiles faiblement liées par la gravitation, un groupement connu sous le nom d’amas ouvert. Les amas ouverts comme celui-ci sont généralement assez jeunes, mais M67 est l’un des plus anciens amas ouverts connus, âgé d’environ 4 milliards d’années, soit à peu près le même âge que notre Soleil.

    En fait, l’amas contient environ 100 étoiles dont la composition et l’âge sont similaires à notre Soleil, ainsi que de nombreuses étoiles géantes rouges et naines blanches. Il abrite également une trentaine d’étoiles « traînardes bleues », des étoiles étranges qui sont plus brillantes et plus bleues que la population à partir de laquelle elles se sont formées. M67 est le plus ancien amas ouvert du catalogue Messier. M67 est également inhabituel par sa localisation, à près de 1 500 années-lumière au-dessus du plan de la Voie lactée. La plupart des amas ouverts sont répartis le long du plan central de la Voie lactée.

    Une clé pour comprendre l'évolution des étoiles triples

    Pour être précis et éviter des confusions, la naine blanche serait le cadavre de l'étoile issue de la fusion, il y a environ 500 millions d'années, mais avant de mourir, l'étoile aurait déversé une partie de sa masse arrachée par les forces de marée de l'astre qui allait devenir le rôdeur bleu. Le transfert de masse s'accompagnant aussi d'un transfert de moment cinétiquemoment cinétique, ce qui va donner la naine jaunenaine jaune en rotation plus rapide qu'attendue et qui est donc, contrairement à ce que l'on pourrait croire, appelée un blue lurker.

    Toujours dans le communiqué de la Nasa, Emily Leiner explique que « nous savons que ces systèmes d'étoiles multiplesétoiles multiples sont assez courants et qu'ils vont conduire à des résultats vraiment intéressants. Nous n'avons tout simplement pas encore de modèle capable de relier de manière fiable toutes ces étapes de l'évolution. Les systèmes d'étoiles triples représentent environ 10 % de la population d'étoiles semblables au Soleil. Mais il est difficile de reconstituer cette histoire évolutive ».

    Mais, avec la naine blanche autour de laquelle le rôdeur étudié avec Hubble orbite, on est indirectement en présence d'un « des seuls systèmes triples dont nous pouvons raconter l'histoire aussi détaillée de son évolution ».