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À lire aussi, la deuxième partie de l'interview de Benoît Famaey.
Après avoir pris connaissance de la découverte des galaxies naines d'Andromède par les chercheurs de la collaboration Pan-Andromeda Archaeological Survey (Pandas)), dont font partie Rodrigo Ibata, Nicolas Martin et Anthony Conn de l'observatoire de Strasbourg, nous voici prêts à aborder ce qu'elle pourrait bien nous dévoiler de la nature de notre univers.
Nous verrons que cette découverte s'inscrit dans un débat : celui des partisans de l'existence de la matière noire pour rendre compte d'énigmes en cosmologie et de ceux qui préfèrent modifier la loi de la gravitation sans introduire de particules non observées en laboratoire (que ce soit avec les détecteurs du LHC ou avec ceux qui sont enterrés comme Coupp).
L'astrophysicien Benoît Famaey est un spécialiste des galaxies et de Mond. Chercheur au CNRS, il travaille à l'observatoire de Strasbourg. © Pierre Maraval
Avant que Benoît Famaey (qui twitte les articles scientifiques qu'il trouve intéressants sous le pseudo @darth_ben) nous donne son opinion sur ces dernières observations, il est bon de se rafraîchir la mémoire, d'une part sur l'état de la chasse aux particules de matière noirematière noire (voir l'interview de Richard Taillet) et d'autre part sur la nature et les succès de la théorie Mond, exposés dans une précédente interview de Benoît Famaey.
Futura-Sciences : La découverte d'un disque de galaxies naines en rotation autour d'Andromède a été présentée comme une véritable surprise. Est-ce vraiment le cas ?
Benoît Famaey : L'existence de ce disque était suspectée depuis quelques années déjà, mais sur la base d'un nombre moins important de galaxies et de distances moins précises. Au cours des dernières années, l'astrophysicienastrophysicien Pavel Kroupa, de l'université de Bonn, a en effet publié, avec des collègues, plusieurs articles dans lesquels il indiquait clairement que l'on avait des indices de la présence d'un tel disque non seulement autour d'Andromède, mais aussi de la Voie lactée.
Pour lui, ces disques posaient un réel problème, et il n'a pas hésité à affirmer qu'ils constituaient une véritable réfutation du modèle cosmologique standard reposant sur l'existence de la matière noire et de l'énergie noire.
Cependant, la communauté astrophysiqueastrophysique est restée perplexe à la vue de ces résultats, en raison justement du désaccord entre ces observations et des attentes dans le cadre cosmologique standard. L'imprécision des données sur les distances des galaxies naines fut également un facteur de doute.
L'astrophysicien Pavel Kroupa, lors d'un séminaire en 2009. Il pense depuis quelque temps déjà que les galaxies naines sont incompatibles avec le modèle de la matière noire froide. © Université de Bonn, Julia T. Scho, Marcel S. Pawlowski
La présence de ces disques de galaxies naines est présentée comme entrant en conflit avec les prédictions du modèle de la matière noire froide. Pourquoi ?
Benoît Famaey : Le problème prend racine au niveau des simulations numériquessimulations numériques. Elles marchent très bien pour décrire l'apparition des grandes structures dans l'univers, comme les amas de galaxiesamas de galaxies et leur regroupement en vastes filaments, mais elles font plusieurs prédictions que ne semblent pas vérifier les observations à l'échelle des galaxies.
On s'attend à ce que les grandes galaxies, comme la nôtre et Andromède, se forment initialement par l'effondrementeffondrement gravitationnel de la matière normale à l'intérieur d'un vaste halo de matière noire et par l'accrétionaccrétion successive (capture de matière sous l'effet de la gravitation) de plus petites galaxies. Toutefois, selon les simulations, il doit aussi exister aujourd'hui autour de ces grandes galaxies des sous-halos satellites de matière noire en grand nombre, distribués de façon uniforme autour de la Voie lactéeVoie lactée et d'Andromède, et bien sûr des autres grandes galaxies. Ces sous-halos doivent être le lieu d'apparition de galaxies naines par centaines.
On savait depuis des années que dans le cas de la Voie lactée, et même d'Andromède, le compte n'y était pas. D'après les travaux d'astrophysiciens comme Pavel Kroupa, les quelques galaxies naines détectées n'étaient pas non plus distribuées de façon uniforme : elles se rassemblaient à l'intérieur d'un disque.
Sur cette animation, on voit d'abord 11 galaxies naines connues (en jaune) puis les 13 récemment découvertes (vert). S'y ajoutent en bleu des amas globulaires dits jeunes et en rouge des courants de marée. Les distances sont en kiloparsecs (kpc). On voit clairement une structure plane perpendiculaire au plan de la Voie lactée. Selon le modèle de la matière noire froide, une distribution isotropique devait être attendue. © Marcel Pawlowski, YouTube
Dans le cas de la Voie lactée, qui était le plus connu avant la publication de la collaboration Pandas, on peut encore aujourd'hui arguer que le manque de galaxies naines détectées est dû au fait que l'entièreté du ciel n'a pas encore été couverte par les grands relevés tels que le Sloan Digital Sky Survey (SDSS). Approximativement 25 % de la voûte céleste avaient été explorés par le SDSS, en 2008.
On s'attend à ce qu'il y ait de 100 à 600 galaxies naines autour de la Voie lactée, alors que l'on n'en connaît que 24. Il sera donc particulièrement important de voir si de nouveaux relevés en cours, tels que Pan-Starrs, détecteront de nouvelles galaxies en dehors du disque de galaxies naines.
En outre, notre Galaxie pourrait être une anomalieanomalie statistique, avec une chance de l'ordre de 1 sur 200, de se retrouver avec une telle distribution de galaxies satellites autour d'elle. C'est pour toutes ces raisons qu'il était important de vérifier si les problèmes rencontrés avec les galaxies naines étaient aussi présents avec Andromède.
Quelques membres du Pan-Andromeda Archaeological Survey, lors d'une rencontre à Paris. La collaboration Pandas regroupe environ 25 chercheurs d'Allemagne, d'Australie, du Canada, des États-Unis et de France. © Pan-Andromeda Archaeological Survey
Contrairement au cas de la Voie lactée, avec Andromède, nous n'avons pas de problèmes liés par exemple à des parties de ciel obscurcies. L'équipe de Pandas a donc pu obtenir un résultat probant. Les doutes quant à l'existence du disque de galaxies naines de M31, suspecté depuis des années, proviennent de la difficulté à mesurer leurs distances précises. Le point crucial du travail a donc été ici de mesurer ces distances avec une précision jusque-là inégalée. Cela a été fait grâce à la qualité des données obtenues et à un travail de modélisationmodélisation de la collaboration Pandas, basé sur la luminositéluminosité des étoiles géantesétoiles géantes rouges les plus brillantes (méthode dite « Tip of the Red Giant Branch »).
Il a finalement été mis en évidence deux populations de galaxies naines autour d'Andromède, l'une isotropeisotrope, en accord avec ce que l'on attend dans le cadre standard, et l'autre distribuée dans un plan extrêmement fin et en rotation, représentant plus de la moitié de l'ensemble des galaxies naines satellites d'Andromède.
Le cas d'Andromède est donc particulièrement intéressant, car il confirme que ces disques de galaxies naines semblent être la norme plutôt que l'exception. On peut donc probablement oublier l'argument de l'anomalie statistique.