Avec le télescope sous-marin Antares, sensible aux neutrinos dont la construction vient de s’achever dans le fond de la Méditerranée, les scientifiques disposent désormais d’un outil unique au monde pour détecter les particules parmi les plus énigmatiques de l’Univers.

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    Le navire câblier chargé de l'immersion des lignes Antarès. Crédit : Antares

    Le navire câblier chargé de l'immersion des lignes Antarès. Crédit : Antares

    La lente constructionconstruction du télescope Antares est terminée. Ses 12 lignes de détection souples de 400 mètres de longueur sont désormais immergées par 2.500 mètres de profondeur au large de Toulon, après leur ancrage confié aux bons soins de l'Ifremer. Plus de 900 modules optiques sont répartis le long de ces câbles, formant les "yeuxyeux" du télescope, construits par moitié au Centre de physique des particules de Marseille (CNRS/Université de la Méditerranée), qui supporte le projet, l'autre moitié à l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (CEA Irfu, Saclay).

    A l’abri de tout rayonnement parasite

    La position de ces détecteurs est pour le moins inhabituelle. Antares est le seul télescope au monde à pointer vers le bas. C'est donc à travers la Terre qu'il observe le ciel... Cette étrangeté s'explique par la première préoccupation des chercheurs, qui est de se soustraire à tout rayonnement parasiteparasite pouvant interférer avec les signes toujours ténus du passage des neutrinosneutrinos. Ces particules élémentaires de faible masse et sans charge électrique réagissent en effet très peu avec la matièrematière, qu'elles traversent sur de longues distances en ligne droite et sans être déviées par les champs magnétiqueschamps magnétiques.

    Image du site Futura Sciences

    Vue d'artiste du projet Antares sous l'eau. Crédit : Antares

    L'astuce est d'utiliser la Terre elle-même comme détecteur. Les particules célestes sont arrêtées par l'atmosphèreatmosphère, le sol ou l'océan, exceptés, justement, les neutrinos qui poursuivent imperturbablement leur route à travers la Terre. A cause de la longue distance, tout de même, certains, en réalité une proportion très faible, vont entrer en collision avec le noyau d'un atomeatome. Ce choc fatal pour le neutrino produit un muonmuon, une particule voisine de l'électronélectron, qui se déplacera dans la même direction que le neutrino d'origine dont il prendra en quelque sorte la place.

    Ces muons sont encore capables de parcourir quelques dizaines de kilomètres au sein de la Terre. S'ils ont été produits à faible profondeur dans le sous-sol, ils pourront donc en sortir. Et s'ils jaillissent dans l'eau, ils laisseront derrière eux un sillage faiblement lumineux (la lumièrelumière Tcherenkov). Pour qu'un instrument puisse le repérer, il faut encore que la lumière ambiante soit quasiment nulle. D'où l'idée d'installer Antares à 2,5 kilomètres sous la surface l'eau, à un endroit où règne une obscurité presque totale, seulement perturbée de temps à autre par le passage d'un habitant des abysses, en général doté de décorations lumineuses. Cette profondeur présente un second avantage déterminant, protégeant l'instrument de l'énorme bruit de fond des signaux cosmiques, arrêtés par l'épaisseur d'eau.

    Antares, bien sûr, ne peut pas être orienté, comme un téléscope habituel, mais il tourne avec la Terre. Il observe une portion du ciel de l'hémisphère sudhémisphère sud qui balaie régulièrement le centre galactiquecentre galactique, siège de phénomènes extrêmement violents à la source d'émissionsémissions de neutrinos.

    Les neutrinos pour sonder l’ultime frontière

    Par la traque des neutrinos, c'est l'astronomie des hautes énergiesénergies que les chercheurs ambitionnent de faire progresser de façon significative. De nombreuses sources de photonsphotons à haute énergie ont été découvertes au cours des dernières décennies, telles les galaxiesgalaxies abritant un trou noirtrou noir super-massif en leur centre ou les Gamma Ray Burst (GRB). Ces photons pourraient provenir d'interactions entre des protonsprotons ultra-énergétiques constituant le rayonnement cosmique. Mais le problème de leur détection se posait, car ces photons et protons de très haute énergie sont arrêtés par la matière ce qui rend difficile leur observation à de très grandes distances. En revanche, les neutrinos de haute énergie traversent l'Univers sans altération et sont des témoins directs de ces phénomènes. Ce n'est ni plus ni moins une nouvelle carte du ciel qui devrait apparaître grâce à Antares.

    L'énigme de la matière noirematière noire attend aussi beaucoup d'Antares. En effet, une partie de cette masse manquante, qui représente 85% de la matière, pourrait être constituée de "wimps" (weakly interacting massive particle), des particules élémentaires massives dont l'existence est prédite par la théorie de la sypersymétrie. Celles-ci sont à la fois particules et antiparticulesantiparticules, et leur annihilation mutuelle produirait une bouffée d'énergie comprenant, entre autres, des neutrinos de basse énergie.

    Des résultats, déjà !

    Alors qu'il était en cours de construction et que ses éléments étaient activés un à un, Antares a déjà permis de détecter plusieurs centaines de neutrinos provenant du ciel situé sous ses pieds. Peut-être y a-t-il déjà là des particules provenant de sources situées aux confins de l’Univers, mais pour pouvoir l'établir il faudra attendre que suffisamment d'événements aient été enregistrés pour établir une corrélation statistique. Pour l'instant une seule chose est certaine : Antares fonctionne, et on en reparlera.