Il a réalisé deux longues missions dans la Station spatiale internationale. Il a failli se noyer dans son casque en pleine sortie extravéhiculaire ! L’astronaute italien Luca Parmitano de l’Agence spatiale européenne est aujourd’hui instructeur de Sophie Adenot dans les locaux de la Nasa, à Houston. Dans un entretien exclusif avec Futura, il nous raconte l’entraînement de l’astronaute française qui réalisera sa première mission l’année prochaine.


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    Ses deux missions, en 2013 et 2019, cumulent près d'un an en orbite et il a été commandant de la Station spatiale internationale. Luca Parmitano est aussi l'astronaute connu pour son sang-froid face à des situations périlleuses, notamment celle qu'il a vécue en 2013 où il a failli se noyer dans son casque en pleine sortie en scaphandre.

    Luca Parmitano est sans doute l'un des astronautes actifs les plus respectés et il fait partie des favoris pour voler autour de la Lune avec la NasaNasa. Depuis plusieurs années, il est basé au centre Johnson d'entraînement des astronautes de la Nasa, à Houston, au Texas, en qualité d'officier de liaison. Aujourd'hui, il est aussi l'instructeur des nouveaux astronautes de carrière de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, dont notre chère Sophie Adenot, qui effectuera sa première mission en 2026. Il nous raconte les détails de l’entraînement.

    Futura : En quoi consiste l’entraînement à Houston ?

    Luca Parmitano : L'entraînement a commencé en mars 2024 et s'est terminé en décembre. On appelle cela : l'EVQ (Extra Vehicular Qualification). C'est la première qualification pour voir leur aptitude pour une activité extravéhiculaire. Et je peux dire que les quatre* [Sophie Adenot, Raphaël Liégeois (Belgique), Pablo Alvarez Fernandez (Espagne) et Marco Sieber (Suisse)] ont montré un énorme potentiel. Cela consiste en neuf immersions avec le scaphandre dans la piscine de la Nasa, qui s'appelle Neutral Buoyancy Lab (NBL). L'entraînement est incrémental. Au début, c'est assez simple. Les trois premières immersions servent à apprendre comment bouger avec le scaphandre, et pour vérifier si la combinaison est bien dimensionnée. Après, de la quatrième à la neuvième immersion, durant six heures, les astronautes sont chargés d'exécuter des tâches en suivant une procédure qu'ils ont eux-mêmes écrite. Après l'EVQ, ce sont les instructeurs qui écrivent les procédures mais là, ce sont les astronautes car ils doivent savoir ce qu'il faut faire. D'ailleurs, on attend d'eux qu'ils commettent des erreurs pour les comprendre et ne jamais les répéter. 

    Futura : Quelle est la différence avec l’entraînement en piscine qu’ils ont reçu plus tôt au Centre européen de formation des astronautes (EAC) ?

    Luca Parmitano : C'est complètement différent. Au basic training, on n'a pas de scaphandre, mais juste une combinaison de plongée avec un masque qui recouvre entièrement le visage pour pouvoir communiquer. Le but de cet entraînement est de comprendre comment gérer la communication et des outils sous l'eau. Mais à l'EVQ, on utilise un vrai scaphandre pressurisé EMU (Extra Mobility Unit) qui a déjà servi à faire des EVA (sorties extravéhiculaires) depuis l'ISS ou la Navette spatiale, et qui a été recyclé pour l'entraînement sous l'eau.  

    Futura : À partir de quand les plonge-t-on dans des situations imprévues ? 

    Luca Parmitano : Dès la quatrième immersion, ils commencent à exécuter des plans de secours. D'abord, c'est tout simple avec la récupération d'un instrument en panne à quelques dizaines de mètres. Puis ça devient toujours plus compliqué jusqu'à la neuvième mission où ils doivent démontrer qu'ils sont capables de récupérer un instrument en panne n'importe où et de le ramener dans la station en trente minutes. Sophie et les autres ont tous réussi en 25 minutes environ. Les examinateurs étaient impressionnés.

    Sophie Adenot lors d'une de ses immersions au NBL. © ESA, Nasa
    Sophie Adenot lors d'une de ses immersions au NBL. © ESA, Nasa

    Futura : En plus de l’EVQ, en quoi consistait le reste de leur entraînement à Houston ? 

    Luca Parmitano : Ils ont complété une partie de l'entraînement pour la Station spatiale internationale : les systèmes associés à la partie électrique, la navigation, l'utilisation de l'intérieur, beaucoup de logistique et de maintenance, car c'est une part énorme de ce qu'on fait dans la station. Donc, ils ont reçu une très bonne partie de l'entraînement général qui faut posséder avant de commencer l'entraînement pour la mission elle-même. 

    Futura : Quel est la suite de l’entraînement pour Sophie Adenot ?

    Luca Parmitano : Maintenant, Sophie est au milieu de l'entraînement spécifique pour sa mission. Il y a beaucoup plus de cours. Elle est vraiment à fond dans la préparation. Elle revient juste de Moscou pour la partie russe de l'entraînement car on rappelle qu'en dépit de la situation politique très compliquée sur Terre, on travaille très bien ensemble. Bientôt, elle reprendra son entraînement à Houston avec son équipage qu'elle connaît déjà : le commandant Jack Hathaway [Nasa], et Jessica Meir [Nasa] avec qui j'ai volé. Ils vont reprendre les entraînements pour les EVA, les situations d'urgence, et la navette [qui les emmènera dans l'ISS]. La partie scientifique intervient toujours vers la fin de l'entraînement pour mieux retenir les informations. 

    Sophie Adenot, très heureuse d'essayer son scaphandre EMU au centre Johnson de la Nasa. © ESA, Nasa
    Sophie Adenot, très heureuse d'essayer son scaphandre EMU au centre Johnson de la Nasa. © ESA, Nasa

    Futura : Sophie Adenot est une pilote comme toi. Comment s’adapte-t-on à la partie scientifique ?

    Luca Parmitano : J'aime beaucoup la phrase : « Il est plus facile d'apprendre un pilote à être scientifique qu'à un scientifique à être pilote. » Je me rappelle très bien que pendant mes deux missions, j'étais super curieux de la science que j'allais faire. Cette curiosité, qui est commune à tous les astronautes, nous aide à étudier la science derrière des expériences que l'on va effectuer. Cela nous aide aussi à bien suivre les instructions. C'est très important car notre bonne exécution des procédures scientifiques est au cœur de notre travail à bord de l'ISS. C'est moi qui avais interviewé Sophie et Raphaël pendant la sélection. Et maintenant que je les connais mieux en tant qu'instructeur, je sais qu'ils aiment étudier. Ils posent beaucoup de questions. Ils vont comprendre l'importance de ce qu'ils font. 

    Futura : Qu’est-ce qui distingue Sophie Adenot d’après toi ? 

    Luca Parmitano : Dès le début, Sophie s'est imposée en tant que leader de la classe. Ça vient sûrement de son expérience de pilote militaire d'hélicoptèrehélicoptère. Pendant l'entraînement, elle parlait pour le groupe, et les autres astronautes allaient chez elle pour des conseils, et même pour avoir une vision commune à leur promotion, les « Hoppers ».

    Luca Parmitano sert de cobaye à l'astronaute de la Nasa Chris Cassidy pour une expérience médicale. Ces expériences constituent une partie importante de la science faite à bord de l'ISS. © ESA, Nasa
    Luca Parmitano sert de cobaye à l'astronaute de la Nasa Chris Cassidy pour une expérience médicale. Ces expériences constituent une partie importante de la science faite à bord de l'ISS. © ESA, Nasa

    * Les quatre sont Sophie Adenot, Raphaël Liégeois (Belgique), Pablo Alvarez Fernandez (Espagne), et Marco Sieber (Suisse). Dernière membre de la sélection 2022 des astronautes de carrière de l'Agence spatiale européenne, la Britannique Rosemary Coogan a commencé son entraînement plus tard en décembre avec un astronaute japonais, car il est plus aisé d'encadrer un groupe pair.