Ce lundi 20 janvier 2025, Donald Trump est investi président des États-Unis. Il pourra alors officiellement mettre en œuvre ses mesures, notamment la nomination de son puissant soutien Elon Musk au sein de son gouvernement dans le but de faire le ménage dans l’administration américaine. Cette stratégie pourrait aussi profiter à l'entreprise SpaceX de davantage de latitude. Dans ces conditions, comment l’Europe spatiale va-t-elle assurer sa présence ?


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    Elon MuskElon Musk a fondé l'entreprise SpaceXSpaceX et l'a transformée en véritable empire du spatial. Rares sont ceux qui peuvent prétendre vouloir titiller cette toute puissance : la Chine, Jeff Bezos. L'Europe ? En l'état des lieux, non. On n'est pas dans le même monde. Alors quels choix reste-t-il ? L'indépendance ? Un patient retour en force ?

    SpaceX est omniprésent dans le domaine spatial aujourd'hui. Sur les 10 premiers vols de cette année 2025, 8 ont été opérés par SpaceX, lançant au total 112 satellites fabriqués par l'entreprise, dont 90 pour sa constellation StarlinkStarlink. En 2024, L'Europe avait opéré seulement 3 lancements, et SpaceX en avait réalisé 138, dont 4 essais du Starship.

    La fusée Vega-C est source de discorde en Europe. Arianespace assurera les opérations des quatre prochains vols, avant de passer la main au constructeur italien Avio. Un coup de force de l'Italie qui plonge l'avenir des fusées Vega dans l'incertitude. © ESA, Arianespace, Cnes, Centre optique du CSG
    La fusée Vega-C est source de discorde en Europe. Arianespace assurera les opérations des quatre prochains vols, avant de passer la main au constructeur italien Avio. Un coup de force de l'Italie qui plonge l'avenir des fusées Vega dans l'incertitude. © ESA, Arianespace, Cnes, Centre optique du CSG

    « On se prépare à tous les scénarios »

    Lors de sa cérémonie de vœux à la presse le 10 janvier, le directeur général de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) s'est montré rassurant face aux risques et aux menaces concernant certaines missions en coopération avec les États-Unis. C'est le cas d'Exomars. L'ESA a construit le rover Rosalind Franklin et comptait sur un partenaire international pour développer l'atterrisseur. Après un abandon des Américains, l'ESA se tourne vers la Russie, mais la guerre en Ukraine met brutalement un terme à la coopération. Depuis, la mission est en perpétuel report.

    La Lune est une « distraction » d'après Elon Musk, qui veut concentrer tous les efforts sur Mars. Cependant, pas question côté américain d'abandonner le programme Artemis. Mais il sera sans doute très épuré afin de pouvoir canaliser plus de moyens sur l'exploration martienne. Fini la SLS après Artemis III ? Serait-ce donc un nouvel espoir pour ExomarsExomars ? Si oui, est-ce que cela vaudra la fin de la coopération entre l'ESA et la Nasa sur le vaisseau OrionOrion dédié aux misions Artemis s'il est remplacé par le Starship ?

    « On se prépare à tous les scénarios », nous dit-on à l'ESA, qui aura le temps d'y voir plus clair sur sa relation future avec les États-Unis de Trump-Musk avant de voter, en novembre, ses prochains budgets et orientations à la conférence ministérielle de Brême.

    Le vaisseau spatial américain Orion est propulsé par un module de service fourni par l'ESA. Mais que va-t-il advenir de la collaboration si Musk incite la Nasa à remplacer Orion par le Starship à l'avenir ? © Airbus, ESA, Nasa
    Le vaisseau spatial américain Orion est propulsé par un module de service fourni par l'ESA. Mais que va-t-il advenir de la collaboration si Musk incite la Nasa à remplacer Orion par le Starship à l'avenir ? © Airbus, ESA, Nasa

    Une politique de souveraineté mise à mal par « l’internationale réactionnaire »

    Ariane 6, VegaVega-C, l'accès autonome à l'espace a été mis à mal ces deux dernières années en raison des retards. Ce ne sera bientôt plus qu'un souvenir, mais cet épisode difficile sert de leçon à l'Europe spatiale, qui doit se montrer plus agile pour ne pas perdre pied, ni sa place. GalileoGalileo pour la navigation, Copernicus pour l'imagerie, GovSatCom et bientôt Iris² pour les communications et la 5G5G sécurisée depuis l'orbite : l'Europe peut être fière de disposer de tous ces programmes, dignes d'une puissance spatiale de premier plan.

    Le besoin de souveraineté prédomine toutes les motivations derrière ces grands programmes. Cela reflète d'ailleurs l'esprit de la politique spatiale européenne. En dehors de quelques couacs, le pari est réussi. Les alliances des puissances européennes via l'UE et l'ESA ont permis de mettre en œuvre un programme, suffisant pour garantir une indépendance.

    Face à la domination de Starlink, et aux ingérences d’Elon Musk dans le conflit ukrainien, le projet Iris² permettra de ne pas dépendre de SpaceX. Le problème : pas de mise en service avant 2031, et c'est très long, trop long pour certains.

    Vue d'artiste de Nyx, un vaisseau spatial proposé par la start-up franco-allemande The Exploration Company, et retenu par l'ESA dans la première phase du programme de sélection de cargo spatial commercial à destination de l'ISS. Un premier pas vers la construction d'un vaisseau souverain pour ne plus dépendre de SpaceX ? © The Exploration Company
    Vue d'artiste de Nyx, un vaisseau spatial proposé par la start-up franco-allemande The Exploration Company, et retenu par l'ESA dans la première phase du programme de sélection de cargo spatial commercial à destination de l'ISS. Un premier pas vers la construction d'un vaisseau souverain pour ne plus dépendre de SpaceX ? © The Exploration Company

    La surprise est venue de l'Italie, dirigée actuellement par la Première Ministre d'extrême droite Georgia Meloni, dont on a pu témoigner d'une certaine proximité avec Musk ces derniers mois. Le 5 janvier, Bloomberg révèle la négociation d'un contrat de 1,5 milliard de dollars entre l’Italie et SpaceX pour utiliser Starlink le temps qu'Iris² devienne opérationnel. Meloni a nié toute signature, mais c'est un coup de maître pour le milliardaire, qui cherche manifestement à redéfinir la vision politique européenne, à coup d'ingérences dans les élections. Le résultat est une perturbation inédite dans l'unité européenne, seule garante des grands programmes spatiaux du Vieux Continent. Alors si la souveraineté du spatial européen est mise à mal, peut-on avoir d'autres prétentions ?

    Compétitivité : une chimère ?

    Lors d'un entretien avec des journalistes, organisé par l'association AJPAE, le P.-D.G. d'ArianeGroup Martin Sion a précisé que cinq vols Ariane 6Ariane 6 sont prévus cette année, le premier devant décoller au plus tôt fin février. Ensuite, la montée en cadence parviendra progressivement à... neuf ou dix vols par an, soit la cadence de vols Falcon 9Falcon 9 visée par SpaceX en à peine trois semaines. Seule une forte cadence alliée à la réutilisation est garante de compétitivité aujourd'hui. Carton plein pour SpaceX, qui est aussi très disponible, tandis que le carnet de vol d'Ariane 6 est complet pour les prochaines années.

    Le Starship et un véritable game-changer, même s'il n'est encore qu'en phase de test. Il faut s'attendre à une nouvelle révolution des lanceurs et de l'accès à l'espace avec lui. Réaction de l'ESA : une étude pour voire comment l'Europe spatiale serait en mesure de produire un mégalanceur, qui a malheureusement peu de chance d'aller plus loin. © Trevor Mahlmann
    Le Starship et un véritable game-changer, même s'il n'est encore qu'en phase de test. Il faut s'attendre à une nouvelle révolution des lanceurs et de l'accès à l'espace avec lui. Réaction de l'ESA : une étude pour voire comment l'Europe spatiale serait en mesure de produire un mégalanceur, qui a malheureusement peu de chance d'aller plus loin. © Trevor Mahlmann

    Pour déployer sa mégaconstellation satellite Kuiper, AmazonAmazon a réservé 18 vols Ariane 6, mais c'était plus pour une question de disponibilité que pour une raison de compétitivité. Pour déployer ses satellites, Jeff BezosJeff Bezos avait besoin de lanceurslanceurs en plus de la New Glenn de sa société Blue Origin, et il n'était pas question de voler à bord de SpaceX. Heureusement, de nouveaux lanceurs sont sur le point d'arriver en Europe. On en compte une dizaine, dont les Allemands RFA et Isar Aerospace, l'Espagnol PLDSpace qui a récemment dévoilé ses plans de devenir un nouveau SpaceX, ou encore la start-upstart-up française Latitude et la filiale d'ArianeGroup Maiaspace. L'arrivée de ces nouveaux lanceurs va rebattre les cartes de l'accès à l'espace en Europe, jusqu'à présent dicté par l'ESA.

    Au-delà des lanceurs, l'écosystèmeécosystème spatial européen a largement bénéficié de la vaguevague de création d'entreprises du New SpaceNew Space. Aujourd'hui, certaines d'entre elles vendent leurs produits ou leurs services satellitaires au-delà de l'Europe, y compris aux États-Unis. Les entreprises, qui exportent aux États-Unis, seront prochainement au cœur d'une guerre commerciale entre l'Europe et les Américains, avec en tête Donald Trump qui menace d'augmenter radicalement les droits de taxe à la frontière.

    La fusée Maia est un des lanceurs européens en développement basés sur la réutilisation. C'est une étape indispensable pour Maiaspace et sa maison-mère ArianeGroup pour se positionner dans l'appel d'offres pour la succession d'Ariane 6, car la réutilisation est une des prérogatives. © Maiaspace, ArianeGroup
    La fusée Maia est un des lanceurs européens en développement basés sur la réutilisation. C'est une étape indispensable pour Maiaspace et sa maison-mère ArianeGroup pour se positionner dans l'appel d'offres pour la succession d'Ariane 6, car la réutilisation est une des prérogatives. © Maiaspace, ArianeGroup

    La qualité au-delà de l’ambition

    Rappelons-nous tout de même combien le spatial européen est extrêmement fiable aux yeuxyeux des Américains. C'est une fuséefusée Ariane 5 qui a déployé le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb de la Nasa, coûtant pas moins de 10 milliards de dollars ! La qualité de la mise en orbite fut telle que l'on a pu doubler l'espérance de vieespérance de vie du télescope. C'est boosté par un module de propulsion européen que le vaisseau Orion va emmener les astronautesastronautes de la Nasa vers la LuneLune. La qualité du spatial européen est telle qu'on accepte volontiers tout partenariat.

    Mais, face aux ambitions d'Elon Musk, il ne faut surtout pas se reposer sur ses laurierslauriers comme l'Europe l'a trop longtemps fait. Est-ce que la compétition du spatial commercial va suffire à redynamiser les esprits ? Ou faudra-t-il quelque chose de plus inspirant ? Le spatial européen a toujours eu besoin de challenge pour rester au top niveau !