Pour la première fois, le télescope spatial James-Webb a observé l'occultation d'une étoile. Cette première est d'autant plus exceptionnelle que cette occultation est le fait des anneaux de Chariklo, un petit corps situé à un peu plus de 2,5 milliards de kilomètres du Soleil. Les observations du télescope infrarouge ont par ailleurs confirmé la présence de glace d'eau cristalline dans le système de Chariklo.


au sommaire


    En 2013, en utilisant des télescopes au sol, l'astronomeastronome brésilien Felipe Braga-Ribas et ses collaborateurs avaient découvert que le centaure (10199) Chariklo, un petit corps dont l'orbite se trouve entre celles de SaturneSaturne et d'UranusUranus, héberge un système de deux minces anneaux (voir notre article de 2014 ci-dessous). Auparavant, les seuls anneaux connus étaient ceux se trouvant autour des quatre planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune).

    Pour repérer les anneaux de Chariklo, les astronomes avaient observé le passage du petit corps devant une étoile. À leur grande surprise, l'astre lumineux avait disparu à deux reprises avant puis, à deux reprises, après son occultation par Chariklo, révélant la présence des anneaux. Ces derniers orbitent à environ 400 kilomètres du centre de Chariklo, qui mesure pour sa part environ 250 kilomètres de diamètre, ce qui en fait le plus grand centaure connu.

    Cette vidéo montre les observations prises, par le télescope spatial James-Webb, d'une étoile (fixe au centre de la vidéo) alors que Chariklo passe devant elle. La vidéo est composée de 63 observations individuelles obtenues sur environ une heure le 18 octobre à une longueur d'onde de 1,5 micromètre (F150W) avec la caméra proche infrarouge (NIRCam) de Webb. Une analyse minutieuse de la luminosité de l'étoile révèle que les anneaux du système de Chariklo ont été clairement détectés. © Nasa, ESA, CSA, Nicolás Morales (IAA/CSIC)
    Cette vidéo montre les observations prises, par le télescope spatial James-Webb, d'une étoile (fixe au centre de la vidéo) alors que Chariklo passe devant elle. La vidéo est composée de 63 observations individuelles obtenues sur environ une heure le 18 octobre à une longueur d'onde de 1,5 micromètre (F150W) avec la caméra proche infrarouge (NIRCam) de Webb. Une analyse minutieuse de la luminosité de l'étoile révèle que les anneaux du système de Chariklo ont été clairement détectés. © Nasa, ESA, CSA, Nicolás Morales (IAA/CSIC)

    Une première occultation pour James-Webb

    Le 18 octobre 2022, Pablo Santos-Sanz, de l'Institut d'astrophysiqueastrophysique d'Andalousie (GrenadeGrenade, Espagne), et ses collègues ont utilisé la même technique pour réobserver ces anneaux, mais en utilisant cette fois-ci la caméra proche infrarougecaméra proche infrarouge (NIRCam) du télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb. Il s'agissait de la première tentative d'observation d'une occultation stellaire avec ce télescope. La courbe de lumièrelumière de l'événement, c'est-à-dire le graphique de la luminositéluminosité de l'étoileétoile (ici GaiaGaia DR3 6873519665992128512) au cours du temps, montre que les « ombres » produites par les anneaux de Chariklo ont été clairement détectées, démontrant une nouvelle façon d'utiliser Webb pour explorer les objets du Système solaireSystème solaire. Comme prévu après la dernière manœuvre de trajectoire de Webb, Chariklo n'a pas lui-même occulté l'étoile.

    Cette courbe de lumière de l'occultation, obtenue avec la NIRCam à une longueur d'onde de 1,5 micron (F150W), montre les baisses de luminosité de l'étoile (Gaia DR3 6873519665992128512) lorsque les anneaux de Chariklo sont passés devant elle le 18 octobre. Comme on le voit dans l'illustration de l'occultation, l'étoile n'est pas passée derrière Chariklo du point de vue de Webb, mais elle est passée derrière ses anneaux. Chaque creux correspond aux ombres des deux anneaux autour de Chariklo, qui mesurent environ 6 à 7 km et environ 2 à 4 km de large, séparés par un espace de 9 km. Les deux anneaux individuels ne sont pas entièrement résolus. © Nasa, ESA, ASC, Leah Hustak (STScI). Science : Pablo Santos-Sanz (IAA/CSIC), Nicolás Morales (IAA/CSIC), Bruno Morgado (UFRJ, ON/MCTI, LIneA)
    Cette courbe de lumière de l'occultation, obtenue avec la NIRCam à une longueur d'onde de 1,5 micron (F150W), montre les baisses de luminosité de l'étoile (Gaia DR3 6873519665992128512) lorsque les anneaux de Chariklo sont passés devant elle le 18 octobre. Comme on le voit dans l'illustration de l'occultation, l'étoile n'est pas passée derrière Chariklo du point de vue de Webb, mais elle est passée derrière ses anneaux. Chaque creux correspond aux ombres des deux anneaux autour de Chariklo, qui mesurent environ 6 à 7 km et environ 2 à 4 km de large, séparés par un espace de 9 km. Les deux anneaux individuels ne sont pas entièrement résolus. © Nasa, ESA, ASC, Leah Hustak (STScI). Science : Pablo Santos-Sanz (IAA/CSIC), Nicolás Morales (IAA/CSIC), Bruno Morgado (UFRJ, ON/MCTI, LIneA)

    Santos-Sanz a expliqué : « Au fur et à mesure que nous approfondirons les données, nous explorerons si nous résolvons proprement les deux anneaux. À partir de la forme des courbes de lumière d'occultation des anneaux, nous explorerons également l'épaisseur des anneaux, la taille et la couleurcouleur des particules de l'anneau, et plus encore. Nous espérons comprendre pourquoi ce petit corps a des anneaux, et peut-être détecter de nouveaux anneaux plus faibles. »

    Les anneaux sont probablement composés de petites particules de glace d'eau mélangées à un matériaumatériau sombre, des débris d'un corps glacé qui est entré en collision avec Chariklo dans le passé. Chariklo est trop petit et trop éloigné pour que même James-Webb puisse imager directement les anneaux séparés du corps principal ; les occultations sont donc le seul moyen pour caractériser les anneaux par eux-mêmes.

    De la glace d'eau cristalline dans le système de Chariklo

    Peu de temps après l'occultation, Webb a de nouveau ciblé Chariklo, cette fois pour recueillir des observations de la lumière solaire réfléchie par Chariklo et ses anneaux. Le spectrespectre du système montre trois bandes d'absorptionabsorption de la glace d'eau. Noemí Pinilla-Alonso, qui a dirigé ces observations spectroscopiques, a expliqué que « les spectres des télescopes au sol suggéraient la présence de cette glace (Duffard et al. 2014), mais la qualité exquise du spectre de Webb a révélé la signature claire de la glace cristalline pour la première fois ». Dean Hines, le chercheur principal de ce deuxième programme, a ajouté : « Étant donné que les particules à haute énergieénergie transforment la glace d'un état cristallin à un état amorpheamorphe, la détection de glace cristalline indique que le système de Chariklo subit des micro-collisions continues qui exposent un matériau vierge ou déclenchent des processus de cristallisation. »

    <em>Webb</em> a capturé un spectre du système de Chariklo avec son spectrographe proche infrarouge (NIRSpec) le 31 octobre, peu après l'occultation. Ce spectre montre des preuves claires de glace d'eau cristalline (zones bleues), qui n'avait auparavant été que suggérée par des observations au sol. © Nasa, ESA, ASC, Leah Hustak (STScI). Sciences : Noemí Pinilla-Alonso (FSI/UCF), Ian Wong (STScI), Javier Licandro (IAC)
    Webb a capturé un spectre du système de Chariklo avec son spectrographe proche infrarouge (NIRSpec) le 31 octobre, peu après l'occultation. Ce spectre montre des preuves claires de glace d'eau cristalline (zones bleues), qui n'avait auparavant été que suggérée par des observations au sol. © Nasa, ESA, ASC, Leah Hustak (STScI). Sciences : Noemí Pinilla-Alonso (FSI/UCF), Ian Wong (STScI), Javier Licandro (IAC)

    La majeure partie de la lumière réfléchielumière réfléchie dans le spectre provient de Chariklo lui-même : les modèles suggèrent que la surface de l'anneau observée, telle que vue par JWST lors de ces observations, représente probablement un cinquième de la surface du corps lui-même. Pinilla-Alonso a commenté : « En observant Chariklo avec Webb pendant plusieurs années à mesure que l'angle de vue des anneaux change, nous pourrons peut-être isoler la contribution des anneaux eux-mêmes. »


    Chariklo, l'astéroïde qui a deux anneaux

    Article de Xavier DemeersmanXavier Demeersman, publié le 27 mars 2014

    Lors de l'occultation d'une étoile par le plus gros astéroïdeastéroïde connu de la famille des centaures, des astronomes qui cherchaient à le caractériser ont constaté avec surprise la présence de deux anneaux. Confirmée par l'observation conjointe de sept télescopes, leur existence est une première dans l'histoire de l'astronomie qui, jusqu'à présent, n'en connaissait que dans l'environnement des quatre plus grosses planètes du Système solaire.

    Dans le Système solaire, nous savons tous que de magnifiques anneaux entourent Saturne (un spectacle qu'on ne se lasse jamais d'observer). Moins célèbres et plus ténus, trois autres ceinturent les planètes géantes JupiterJupiter, Uranus et NeptuneNeptune. Cela ne fait d'ailleurs qu'une trentaine d'années que ceux des deux dernières ont été découverts (respectivement en 1977 et 1984). Mais comme la nature nous réserve encore bien des surprises, il faudra désormais compter sur des anneaux autour d'un astéroïde ! Qui aurait pu imaginer cela auparavant ?

    Divulguée le 26 mars, l'annonce a fait son effet au sein de la communauté scientifique. Le codécouvreur Felipe Braga-Ribas (observatoire national, MCTI, à Rio de Janeiro) qui a signé l'article publié dans l'édition en ligne de la revue Nature, le concède : lui et toute son équipe de chercheurs n'étaient pas à la recherche d'un anneau. « Nous étions d'ailleurs loin de penser que de petits corps tels Chariklo en étaient dotés. Aussi, cette découverte --comme la surprenante quantité de détails observés -- se révéla être une réelle surprise ! » Ils ne s'y attendaient vraiment pas...

    Un satellite inattendu

    Informés que le gros astéroïde (10199) Chariklo, distant alors d'environ deux milliards de kilomètres de la Terre, passerait devant la lointaine étoile désignée UCAC248-108672 au cours de la nuit du 3 juin 2013, les astronomes se mobilisèrent pour se rendre dans l'unique région terrestre où le phénomène serait observable, une bande étroite dans le nord du Chili. Pas moins de sept grands télescopes de la région, parmi lesquels le télescope danois (1,54 mètre de diamètre) et le télescope belge Trappist (TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope) installés à l'observatoire de La Silla (Eso), ont enregistré l'événement.

    L'occultation d'une étoile par un astéroïde, une comètecomète ou encore une planète naineplanète naine est toujours une belle occasion pour les chercheurs de caractériser les formes, tailles et compositions de ces petits corps qui appartiennent à notre Système solaire. À ce sujet d'ailleurs, pas plus tard que le 20 mars dernier, une fraction d'États-Uniens ont pu suivre le transittransit de l'astéroïde (163) Érigone (73 km de diamètre) devant l'étoile la plus brillante du LionLion, RégulusRégulus (α Leonis, CorCor Leonis).

    En vue d'artiste, l'anneau de poussière entourant l’astéroïde Chariklo. © Eso, L. Calçada, M. Kornmesser, N. Risinger
    En vue d'artiste, l'anneau de poussière entourant l’astéroïde Chariklo. © Eso, L. Calçada, M. Kornmesser, N. Risinger

    Centaure protéiforme

    Découvert en 1977, Chariklo est connu pour être le plus gros astéroïde -- environ 250 km dans sa plus grande longueur -- de la famille protéiforme des Centaures. Rappelons qu'à l'instar des figures mythologiques mi-Hommes mi-cheval du même nom, les objets célestes qui ont la particularité de circuler sur des orbites irrégulières entre Saturne et Uranus (sans cesse perturbés gravitationnellement, ils sont vraisemblablement originaires de la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper, en marge de Neptune) partagent, quant à eux, leur identité entre comète et astéroïde.

    Quelle ne fut pas la surprise de l'équipe de constater des irrégularités lors des instants qui précédèrent et suivirent l'occultation ! En effet, les variations de luminosité de cette étoile de magnitudemagnitude 12 ont trahi l'existence de matériaux autour du corps principal. En recoupant toutes les données disponibles, les astronomes furent en mesure de distinguer deux anneaux de densité différente autour de Chariklo. Songeant au paysage insolite, Uffe Gråe Jørgensen de l'université de Copenhague raconte : « J'essaie de m'imaginer debout, à la surface de cet objet glacé -- suffisamment petit pour qu'une voiturevoiture de course puisse atteindre la vitessevitesse de libération et s'envoler dans l'espace --, observant un système d'anneaux large de 20 km et 1.000 fois plus proche que la LuneLune de la Terre »

    Illustration de Chariklo et de ses deux anneaux inattendus découverts lors de la campagne d'observation menée avec sept télescopes sud-américains. Profitant de l'occultation d'une étoile lointaine par l'astéroïde, les astronomes ont décelé la présence de matière tout autour. Toutes les données ont permis de caractériser deux couronnes de débris. © Eso, L. Calçada, M. Kornmesser, N. Risinger
    Illustration de Chariklo et de ses deux anneaux inattendus découverts lors de la campagne d'observation menée avec sept télescopes sud-américains. Profitant de l'occultation d'une étoile lointaine par l'astéroïde, les astronomes ont décelé la présence de matière tout autour. Toutes les données ont permis de caractériser deux couronnes de débris. © Eso, L. Calçada, M. Kornmesser, N. Risinger

    Deux fins anneaux escortés par de petits satellites

    Baptisés de façon arbitraire des noms des fleuves brésiliens Oyapock et Chuí, les anneaux s'étendent respectivement à 391 km et 405 km du centre de l'astéroïde. Le plus proche est aussi le plus dense. Sa largeur est estimée à 7 km et il posséderait 12 fois plus de matériaux que son voisin, lequel occupe une largeur de 3 km. Environ 9 km séparent ces deux anneaux. Leur étude spectrale a montré qu'ils sont riches en eau. S'ils pouvaient être agrégés en un seul corps, le plus dense aurait de quoi constituer une sphère gelée de 2 km de diamètre, alors que le plus modeste ne représenterait qu'une boule d'un diamètre deux fois plus faible.

    Enfin, pour expliquer leur présence inattendue, les chercheurs ont dégagé plusieurs scénarios possibles, reconnaissant cependant qu'il est encore trop tôt pour trancher. Il peut s'agir bien entendu de débris amassés après une ou plusieurs collisions entre deux astéroïdes ou comètes, des résidus d'une comète, d'une dispersion de matériaux, etc. Malgré tout, l'équipe se doute que deux petits satellites naturels, encore bien cachés, ont joué un rôle déterminant dans la formation des anneaux. Considérés comme de véritables chienschiens de berger, à l'instar de ce qui est observé au bord des anneaux de Saturneanneaux de Saturne, ils seraient les garants de la bonne tenue des anneaux qui cernent Chariklo. Il n'est pas exclu qu'à terme, dans plus ou moins une dizaine de millions d'années, ils se constituent en petits satellites.

    En attendant, reste aux astronomes à débusquer les deux petites lunes potentielles. « À l'image des anneaux, un ou plusieurs petits satellites attendent certainement d'être découverts autour de Chariklo », affirme Felipe Braga-Ribas. Autant d'éléments qui permettront à l'avenir d'affiner les modèles de la formation de corps dans l'environnement immédiat d'objets plus gros et massifs qu'eux, à l'instar de notre Lune.