On assiste depuis quelques décennies à la mise en place de programmes de conservation des ressources phytogénétiques, en réponse à l'érosion progressive de la biodiversité des plantes cultivées à l'échelle mondiale. Parmi les stratégies proposées, la création de réserves in-situ suppose qu'aucune variété étrangère de la plante à conserver ne peut y être introduite et que les pratiques culturales doivent rester inchangées.

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    Or, pour la première fois, les chercheurs de l'IRDIRD et du CIMMYT qui étudient les variétés de maïs cultivées au Mexique, apportent des preuves génétiques que les pratiques culturales et le comportement de l'agriculteur, en favorisant l'introduction fréquente de variétés étrangères, joueraient un rôle crucial dans le maintien d'une grande diversité. La conservation in-situ pourrait donc se concevoir comme un modèle dynamique favorable aux échanges, et non comme un modèle fondé sur l'isolement des variétés à sauvegarder.

    Depuis quelques dizaines d'années, l'érosion de la diversité génétique des plantes cultivées impose la nécessité de développer des initiatives de sauvegardesauvegarde de ces ressources végétales, telle que la conservation in-situ des plantes cultivées. Dans le modèle couramment proposé, ces variétés seraient maintenues dans des réserves, isolées d'autres variétés étrangères et cultivées selon des pratiques agraires ancestrales. Or, des chercheurs de l'IRD et du CIMMYT de Mexico se sont appuyés sur des travaux antérieurs menés au Mexique sur des variétés de maïs pour proposer un autre modèle, dynamique, jugé plus compatible avec le développement agricole et plus proche des conditions réelles dans lesquelles ces plantes se sont diversifiées sous l'action constante des agriculteurs. Dans la mesure où les variétés locales sont maintenues en culture sur des surfaces suffisantes, l'introduction de variétés étrangères, en favorisant un certain taux d'échanges de gènes, constituerait en fait une source de diversité et non un facteur d'érosion génétique.

    C'est au Mexique, berceau de la culture du maïs, que cette graminéegraminée descendante d'une graminée sauvage locale, la téosinte, a été domestiquée et s'est diversifiée sous l'action de l'homme, il y a au moins 6 000 ans. À la faveur d'un programme de conservation in-situ associant le CIMMYT, l'INIFAP (Institut national de la recherche forestière et agricole et de l'élevage, Mexique) et l'IRD, mené dans les vallées centrales d'Oaxaca, les chercheurs ont caractérisé la structure génétique des différentes populations des variétés locales de maïs et mesuré l'impact des pratiques culturales sur cette diversité. Ils se sont intéressés à deux types de diversité, la diversité phénotypique (celle des caractères morpho-anatomiques des plants) et la diversité génétique (observée par les marqueurs génétiques).


    Epis de maïs, variété locale "tata kawa" (variété qui pousse à 1500-2300m, semailles en avril-mai, récolte en novembre-décembre). (©IRD/Katz, Esther)

    L'étude des populations de variétés de maïs cultivées dans six villages de cette région centrale du Mexique a ainsi révélé que les caractères morphologiques et agronomiques au champ, tels que la taille des épis, la couleurcouleur des grains, la période de floraison, etc., variaient suivant l'agriculteur. À l'échelle du génome, une grande homogénéité entre les populations de maïs au sein d'un même village et, plus surprenant, entre villages distants, a été mise en évidence par les marqueurs génétiques, ce qui signifie que l'ensemble des variétés locales possède une base génétique commune. La diversité observée des caractères qui intéressent directement les paysans serait par conséquent le résultat des choix personnels de ces derniers pour la sélection de leurs semences, telle qu'elle se pratique avant chaque cycle de culture.

    Les agriculteurs de cette région cultivent actuellement le maïs suivant des pratiques ancestrales, établies depuis des centaines d'années. Les champs sont ensemencés d'un cycle de culture à l'autre avec les grains des épis issus de la récolte précédente, mais de temps à autre les paysans choisissent d'échanger des lots de grains avec d'autres paysans voisins, plus ou moins éloignés géographiquement, afin d'expérimenter la mise en culture de ces grains. Chaque paysan juge ainsi de l'intérêt de semences en fonction de leurs caractéristiques. Le choix des critères de sélection reste très individuel et dépend d'un certain nombre de facteurs : tandis que le goût, la couleur, la tenue à la cuisson interviennent comme critères de qualité culinaire, les caractéristiques des feuilles des plants constituent des critères de qualité du fourrage.

    Cette étude apporte pour la première fois les preuves génétiques que ces pratiques culturales, conduites à petite échelle (le village et la région), constituent un élément clé de l'évolution du maïs et de sa diversité. La conservation in-situ des variétés dites "de ferme " des plantes cultivées, à l'instar du maïs, pourrait donc se concevoir non pas sur l'isolement, mais sur un mode dynamique d'échange de matériel génétiquematériel génétique entre les différentes populations d'une même région dans laquelle les agriculteurs joueraient un rôle prépondérant. Ceux-ci "cultiveraient" la diversité des populations de maïs, qui apparaissent comme des systèmes génétiques ouverts, entretenant ainsi les centres de diversité de cette céréalecéréale vivrière majeure. Les recherches menées dans ce contexte sur les flux de gènes entre les populations devraient permettre de mieux évaluer les risques de diffusiondiffusion de variétés de maïs génétiquement modifiées, éventuellement introduites au Mexique, au sein des variétés traditionnelles locales et ainsi apporter des éléments de réponse au débat public engagé depuis de nombreuses années sur cette question.