Un syndrome étrange qui apparaît brutalement en regardant un tableau, en visitant une église ou une ville chargée de culture puis disparaît, laissant ceux qu'il frappe confus, anxieux et perdus pendant plusieurs jours. Quand l'art provoque le vertige. Le syndrome de Stendhal. 


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    Le 22 janvier 1817, Marie-Henri Beyle écrivait : « ...j'avais un battement de cœur, ce que l'on appelle les nerfsnerfs à Berlin. La vie était épuisée en moi, je marchais avec la crainte de tomber ». L'auteur français, connu sous le nom de Stendhal, vient de visiter la basilique Santa Croce à Florence. L'intérieur de l'édifice est recouvert du sol au plafond de fresques et de peintures de noms célèbres de l'histoire de l'art : GiottoGiotto, Brunelleschi ou encore Donatello. C'est aussi la dernière demeure de Machiavel, Dante Alighieri, GaliléeGalilée ou encore Michel-AngeAnge. Pour un passionné d'art et un amoureux de l'Italie comme Stendhal, la basilique Santa Croce a de quoi retourner l'esprit, émouvoir au-delà de la raison. Au point d'en devenir malade. Ces quelques lignes écrites en 1817 ont servi de référence pour décrire un syndromesyndrome clinique bien réel qui frappe ceux qui sont confrontés à la beauté, à l'art, aux statues, aux peintures ou à l'architecture de villes comme Florence, Paris ou Jérusalem. Le bien nommé syndrome de Stendhal.

    L'intérieur de la basilique Santa Croce. © robertdering, Adobe Stock
    L'intérieur de la basilique Santa Croce. © robertdering, Adobe Stock

    Florence, la ville du vertige de l'art

    En 1989, Graziella Magherini, psychiatre et historienne de l'art à Florence, publie le fruit de 20 ans de recherche. Elle a reçu dans son cabinet 106 touristes en voyage dans sa ville. Tous ont expérimenté un malaise teinté d'excitation, une tachycardietachycardie, des mains moites, un sentiment de dépersonnalisation et d'épuisement en visitant les musées et les galeries d'art florentines. Magherini a réussi à classer les formes de syndrome de Stendhal en trois catégories : 66 % des patients qu'elle a pris en charge souffraient de symptômessymptômes neuropsychiatriques, 29 % d'un trouble profond de l'humeur et 5 % d'un état d'angoisse généralisé avec des attaques de panique, un trouble du rythme cardiaque et des douleursdouleurs dans la poitrine. Certains patients étaient dans un malaise tellement inconfortable qu'ils ont tenté de détruire des œuvres d'art pour soulager leur tourment. La statue de David sculptée par Michel-Ange, visible à la Galerie de l'Académie de Florence, induit chez ceux qui s'imprègnent un peu trop de sa « perfection » un désir sexuel intense ainsi qu'une intense satisfaction esthétique. Magherini l'a classé comme une variation du syndrome de Stendhal, le syndrome de David.

    Cet état de malaise général arrive sans prévenir et dure en général deux à huit jours avant de disparaître. Heureusement, il n'a aucune conséquence grave sur la santé, mis à part les blessures qui peuvent survenir en cas de syncope. Quiconque a déjà vécu le vertige de l'art est susceptible de le revivre lors d'une nouvelle confrontation avec un œuvre. Graziella Magherini a identifié des traits communs entre ces 106 patients : un niveau d'éducation important, être célibataire, croyant, le stress d'un voyage ou encore être sujet à des troubles de l'humeur.

    Si le passé culturel riche de Florence favorise l'apparition du syndrome de Stendhal, au point que Graziella Magherini l'a d'abord nommé syndrome de Florence, d'autres villes d'histoire et de culture peuvent avoir le même effet sur des touristes. Paris, par exemple.

    Le David de Michel-Ange, sculpté entre 1501 et 1504. © david, Adobe Stock
    Le David de Michel-Ange, sculpté entre 1501 et 1504. © david, Adobe Stock

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    Le vertige d'une culture différente

    Un psychiatre japonais vivant à Paris, Hiroaki Ota, a créé un réseau de soins pour prendre en charge ses compatriotes en voyage dans la ville lumière. En effet, les Japonais sont nombreux à développer des symptômes psychiatriques lors de leur séjour en France. Il le nomme Pari shōkōgun ou syndrome de Paris, qui possède de nombreux points communs avec le syndrome de Stendhal. Le Dr Ota diagnostique son premier cas en 1986 dans son cabinet de l'hôpital Sainte-Anne à Paris.

    HallucinationHallucination, repli sur soi, sentiment de persécution, de dépersonnalisation, d'anxiété et autres manifestations psychosomatiquespsychosomatiques s'emparent des touristes japonais - le phénomène est fréquent chez eux mais ce n'est pas la seule nationalité concernée - quand ils arrivent à Paris. Pour le Dr Ota, cela tient à plusieurs raisons : un choc culturel intense, l'idéalisation de Paris au Japon, la fatigue inhérente à un séjour à l'autre bout du monde, et enfin la barrière de la langue qui serait le premier facteur de malaise duquel les autres symptômes découleraient. 

    Jérusalem et le mur des Lamentations. © VanderWolf Images, Adobe Stock
    Jérusalem et le mur des Lamentations. © VanderWolf Images, Adobe Stock

    Le vertige religieux

    Graziella Magherini a évoqué l'importance du caractère religieux dans la survenue du syndrome de Stendhal. Entre 1980 et 1993, le psychiatre Yaïr Bar-El a pris en charge des touristes et des pèlerins en voyage à Jérusalem comme frappés. Environ deux jours après leur arrivée, certains d'entre eux étaient frappés d'une psychosepsychose, une anxiété soudaine, l'envie de s'isoler et de réaliser des rites religieux pendant cinq à sept jours avant de retrouver leur état normal.

    Yaïr Bar-El a classé les personnes en proie à cette « euphorieeuphorie religieuse » en trois types. Le premier est caractérisé par l'idée de devoir accomplir une mission religieuse, l'identification à un personnage biblique. Il apparaît chez des sujets isolés ayant des antécédents psychiatriques. Par exemple, un Américain de 40 ans, schizophrène, qui s'identifie au personnage de Samson qui se rend à Jérusalem pour déplacer une pierre du mur des Lamentations qu'il pense être à la mauvaise place.

    Le type 2 est plutôt caractérisé par un phénomène de groupe, même si des personnes isolées peuvent aussi y correspondre. Yaïr Bar-El relate l'objectif d'un groupe de juifs basé à Jérusalem souhaitant créer la vachevache rousse parfaite décrite dans l'Ancien Testament pour les purifier. Trois personnes de ce groupe ont été interrogées, toutes ont été diagnostiquées pour un trouble de la personnalité. 

    Enfin le type 3, des touristes sans antécédents psychiatriques qui développent un épisode psychotique de courte durée en visitant Jérusalem. Comme un avocatavocat suisse qui, après avoir visité l'Égypte et la Grèce, a développé une anxiété le lendemain de son arrivée dans la ville. Il a fait part de son envie de quitter le groupe, de se purifier, de chanter ou déclamer des psaumes, et fait le tour des lieux saints de Jérusalem pour y faire un sermon confus. Il a retrouvé son état normal après sept jours de symptômes.

    Syndrome de Stendhal, de Paris ou de Jérusalem ont le point commun d'être provoqués par une forme de beauté artistique, architecturale ou symbolique qui déstabilise au point de rendre malade. « La beauté n'est que la promesse du bonheur », disait Stendhal.