Une récente étude publiée dans la revue Science par le Dr Amanda Hughes et son équipe à l'université de Bristol suggère que les associations entre testostérone plasmatique, position socio-économique et état de santé général ne sont pas le résultat d'une action causale de la testostérone mais bien de facteurs de confusion ou de causalités inverses. 


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    Ah, la testostérone. Cette hormone dite masculine, car présentant un taux moyen dix fois supérieur chez les hommes, est en proie à des mythes tenaces. Elle serait en partie responsable de l'agressivité de ces derniers, de leur attrait pour la compétition et le pouvoir, et de leur position socio-économique. Une récente étude, publiée par une équipe de l'Université de Bristol, démontre que le lien entre position socio-économique et taux de testostérone plasmatique ne s'explique pas par un effet causal de la testostérone. En fait, toutes les affirmations que nous venons d'évoquer au sujet de la testostérone sont erronées et pour le comprendre, il faut remonter un peu dans l'histoire des études sur cette hormone.

    Des études chez les prisonniers

    L'étude des liens entre testostérone et comportement, notamment l'agressivité, a été réalisée dans la seconde moitié du XXe siècle essentiellement chez des prisonniers. L'une des premières études à tester l'hypothèse d'un lien entre taux de testostérone plasmatique et agressivité est publiée en 1972. Par la suite, d'autres études suivront, donnant des résultats très épars en matièrematière de corrélation. Une étude de 1995 tentera de régler le problème avec un échantillon digne de ce nom pour obtenir une puissance statistique suffisamment robuste et conclura qu'il existe un lien entre le taux de testostérone plasmatique et les comportements déviants et agressifs chez les prisonniers.

    Curieusement, cette étude ne fait pas mention de limites considérables dans sa discussion comme le milieu social et la population très particulière que constituent le milieu carcéral, des biais de causalité inverse et différents facteurs de confusion, par exemple l'heure de la journée à laquelle sont réalisés les prélèvements. Les auteurs, des scientifiques géorgiens, sont probablement influencés par la guerre civile qui vient de prendre fin dans leur pays et l'engouement potentiel suscité par le projet du génome humain pour expliquer les comportements des individus par la seule biologie.

    Les premières études sur le lien entre testostérone et agressivité ont été réalisées en prison. © Lightfields Studios, Adobe Stock
    Les premières études sur le lien entre testostérone et agressivité ont été réalisées en prison. © Lightfields Studios, Adobe Stock

    En effet, la recherche d'un déterminisme biologique strict en matière de comportements déviants est rassurante : si un individu X est prédisposé à commettre des crimes, cela veut dire qu'on peut facilement prévenir les crimes d'une part et d'autre part, essentialiser la distinction entre les bons citoyens et les mauvais, ce qui renforce le statu quo en matière de modèle social. Cette époque est révolue. Nous savons désormais que c'est l'environnement social, politique et économique ainsi que l'histoire individuelle des personnes qui déterminent principalement leurs actions complexes. La biologie joue un rôle marginal à cet égard chez les êtres humains. Même pour des choix a priori plus primitifs, comme la préférence au sucre déterminée en partie biologiquement, on pourrait arguer que le contexte (idées reçues sur le poids, culte de la minceur, etc.) prédomine chez l'humain quand on voit l'ampleur que prend encore le marché des boissons édulcorées. Mais revenons à nos hormones : les idées reçues concernant la testostérone persistent alors que les preuves empiriques les corroborant ne permettent pas de les soutenir. 

    Les hormones n'ont pas d'effet spécifique sur les comportements

    L'ocytocine serait l'hormone de l'attachement, la testostérone celle de l'agressivité et de la conquête du pouvoir, tandis que la dopaminedopamine serait le neurotransmetteurneurotransmetteur du bonheur. Dans leur soucisouci de simplification abusive, certains médias véhiculent ces associations en reliant une hormone à des comportements sociaux biens définis. La littérature scientifique sur le sujet est bien plus prudente. En effet, la plupart des revues de littérature, que ce soit concernant l'ocytocine ou la testostérone, suggèrent plutôt des rôles éminemment contextuels de ces hormones. Dès lors, selon le contexte et d'autres variables individuelles, l'ocytocine est associée dans certaines expériences à la méfiance, à l'ethnocentrisme ou encore la jubilation dans le malheur d'autrui si celui-ci nous est bénéfique.

    Les hormones sont associées à des comportements radicalement différents selon le contexte social. © GoodIdeas, Adobe Stock
    Les hormones sont associées à des comportements radicalement différents selon le contexte social. © GoodIdeas, Adobe Stock

    Quant à la littérature concernant la testostérone, elle suggère que cette hormone est aussi associée, selon le contexte, à des actions altruistes et à des comportements prosociaux. À titre d'exemple, on pourra mentionner cette étude de 2011 qui montre que chez un groupe de femmes, l'administration sublinguale d'une dose unique de testostérone provoque une augmentation substantielle du comportement de négociation équitable, réduisant ainsi les conflits et augmentant l'efficacité des interactions sociales. Cependant, un point très intéressant est à noter dans cette étude : les femmes conscientes d'avoir reçu de la testostérone (par opposition à celles qui ont reçu de la testostérone en aveugle) témoignent de comportements plus agressifs. Un fait qui suggère que les idées reçues que nous avons à propos d'une hormone peuvent aussi influencer nos comportements. En conclusion, on sait que le lien entre testostérone et agressivité est généralement inexistant dans de grands échantillons. Néanmoins, la testostérone est constamment associée à des comportements qui permettent l'obtention ou le maintien d'un certain statut social. Alors comment l'étude initiale de l'université de Bristol que nous avons évoquée suggère que ce lien n'est pas causal ? 

    Les gènes prédisposant à un niveau élevé de testostérone plasmatique ne sont pas corrélés au statut socioéconomique

    C'est à l'aide de données issues de la BioBank britannique et de la randomisation mendélienne que l'équipe du Dr Amanda Hughes est parvenue à cette conclusion. Les scientifiques ont identifié les variants génétiquesgénétiques prédisposant à des hauts niveaux plasmatiques de testostérone. Contrairement à la testostérone plasmatique, la présence des variants génétiques n'est ni sensible à l'heure de la journée, ni au milieu social auquel on appartient, ni à ce que nous venons de manger ou encore à notre niveau d'activité physiquephysique. Cela prémunit contre le biais de causalité inverse, c'est-à-dire, déceler une association et penser que A cause B tandis que c'est B qui cause A. Ici, cela reviendrait à dire que le taux de testostérone plasmatique prédispose à un niveau socioéconomique plus élevé tandis que c'est le niveau socioéconomique plus élevé qui engendre en réalité un taux de testostérone plasmatique supérieur.

     

    Les explications du Dr Amanda Hughes sur le lien entre testostérone et position économique. © MRC IEU at University of Bristol

    Si les investigateurs ont bien confirmé les liens qui existaient entre niveau de testostérone plasmatique, position socioéconomique et état de santé, les corrélations disparaissent ou deviennent excessivement moins robustes lorsque l'on remplace la variable testostérone plasmatique par variants génétiques prédisposant à un haut niveau de testostérone. Fort de ce constat, les auteurs suggèrent que les associations reportées jusque-là entre testostérone plasmatique, position socio-économique et santé sont probablement dues à des facteurs de confusion ou à une causalité inverse.

    Pour aller plus loin : un documentaire d'Arte sur les liens entre comportements et testostérone. © Reportages & Documentaires