La colchicine, qui a suscité un espoir via un communiqué de presse, est inefficace contre la Covid-19 chez les patients non hospitalisés, d'après les données pré-publiées. 


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    « Colchicine is the new chloroquine ». Encore une ! Encore une moléculemolécule thérapeutique que l'on présente comme un « Zidane du 12 juillet 1998 » au travers d'un communiqué de presse, et qui s'avère être un « Zidane du 09 juillet 2006 » lorsque l'on regarde les données pré-publiées. Revenons en détail sur ce nouvel espoir illusoire dans la lutte contre la covid-19

    Qu'est-ce que la colchicine ? 

    Encore un alcaloïde découvert par Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou ! Mais si, rappelez-vous, nous avons déjà croisé ces personnages dans notre histoire sur la chloroquine. Comme nous l'explique Florian Lemaitre, maître de conférencesmaître de conférences des universités et praticien hospitalier au Centre hospitalier universitaire de RennesRennes dans un fil Twitter : « Il s'agit d'un poison du fuseau mitotique qui bloque la division cellulaire. À ce titre, il agit sur toutes les cellules de l'organisme. »

    Dans ce même fil, il nous précise également dans quelle pathologie elle est indiquée et la façon dont elle est métabolisée par l'organisme : « Elle est indiquée dans le traitement de la crise de gouttecrise de goutte principalement par son effet d'inhibition de la phagocyte mais aussi en diminuant le chimiotactisme et la production de certains médiateurs de l'inflammationinflammation. Elle est également indiquée dans la péricarditepéricardite. La colchicine est métabolisée par les enzymesenzymes hépatiques pour deux tiers et par voie rénale pour un tiers, donc à risque d'accumulation chez le patient âgé. C'est aussi un médicament à risque d'interaction médicamenteuse. L'absorptionabsorption est très variable d'un patient à l'autre et le médicament diffuse très, très largement. »

    La colchicine agit sur toutes les cellules de l'organisme. © rost9, Fotolia
    La colchicine agit sur toutes les cellules de l'organisme. © rost9, Fotolia

    Une molécule à ne pas utiliser à la légère

    Comme son acolyte la chloroquine, elle possède une marge thérapeutique étroite. Mais Florian Lemaitre apporte une explication un peu plus nuancée : « On a entendu dire que la marge thérapeutique est étroite car la dose toxique est proche de la dose thérapeutique, ce n'est évidemment que très partiellement vrai car c'est la concentration dans l'organisme qui compte. Cela, on peut difficilement le prédire à l'avance vu les éléments cités précédemment (absorption, métabolismemétabolisme important, substratssubstrats d'enzymes et de pompes, élimination rénale...) : ça en fait un médicament très à risque surtout chez le patient âgé, inflammatoire et sous polymédication. »

    Il prévient sur le fait qu'il ne faut pas utiliser un tel médicament à la légère : « Une fois dans l'organisme, rien ne peut l'en faire sortir ; ce n'est pas dialysable. Aussi, comme le mécanisme d'action est commun à toutes les cellules, la toxicitétoxicité touche toutes les cellules ! Le patient peut faire des défaillances multi-organiques. On parle donc là d'un médicament très à risque qui tue chaque année plusieurs personnes. À ne pas utiliser sans un contrôle médical strict et surtout pas sur la base d'un communiqué de presse à nouveau sans données pré-cliniques sous-tendant le rationnel pharmacologique. »

    Un communiqué explosif... 

    Aucun rationnel pré-clinique pour cette molécule donc. Peut-être des antécédents empiriques dans le traitement des infections virales respiratoires ? Que nenni ! Et cela n'empêche pas la molécule d'être incluse dans une recherche interventionnelle sur la personne humaine au Canada. Soit... Nous avons encore dispersé nos efforts, mais pourquoi pas, après tout, nous ne sommes plus à quelques molécules près.

    Dans le communiqué de presse, certains résultats, sur des critères secondaires, nous sont donnés en diminution du risque absolu et non en risque relatif, c'est-à-dire sans mettre les chiffres obtenus en comparaison avec le groupe contrôle. De même, on constate qu'il est noté que le point primaire « approche la significativité statistique », de quoi réjouir les biostatisciens de profession. Ce communiqué était donc assez obscur et il fallait attendre les données, qui ont été pré-publiées ce 27 janvier. 

    Ce communiqué était donc assez obscur et il fallait attendre les données, qui ont été pré-publiées ce 27 janvier. © andriano_cz, Adobe Stock
    Ce communiqué était donc assez obscur et il fallait attendre les données, qui ont été pré-publiées ce 27 janvier. © andriano_cz, Adobe Stock

    ...pour des données décevantes

    Premièrement, sur le critère de jugement primaire, c'est-à-dire le point crucial sur lequel on veut que la molécule testée ait une efficacité, les résultats ne sont pas significatifs. Toute la communication préalable s'écroule, d'autant plus que l'on remarque également que les effets secondaires sont sensiblement plus nombreux dans le groupe colchicine, avec des résultats statistiquement significatifs ici. La balance bénéfice-risque s'en retrouve fortement impactée.

    Comme nous l'explique Clara Locher, practicienne hospitalière universitaire au Centre hospitalier universitaire de Rennes, dans un fil twitter : « Pour apprécier l'efficacité d'un traitement, on peut calculer ce que l'on appelle le "Number Needed to Treat" (NNT). Ce NNT correspond au nombre moyen de patients qu'il faut traiter pour éviter un évènement. Dans cet essai cliniqueessai clinique, le NNT est d'environ 90. Dès lors, même si l'essai était significatif, est-il raisonnable de traiter 90 personnes pendant 30 jours avec un poison du fuseau pour éviter une seule hospitalisation ? » Il semble bien que nous ayons encore affaire ici à un faux espoir dans la lutte contre la Covid-19Covid-19. L'affaire chloroquine ne nous a manifestement pas encore servi de leçon.