La nouvelle peut fasciner ou donner froid dans le dos. Des chercheurs ont réussi à « pirater » l’évolution, en reproduisant en accéléré la transformation du cerveau de singe vers le cerveau humain, grâce à un gène accroissant le nombre de cellules souches de neurones. Une expérience interrompue pour des raisons éthiques, mais qui soulève tout de même de nombreuses interrogations sur ce type de manipulation.


au sommaire


    Et si grâce à des manipulations génétiques les singes devenaient aussi intelligents que l’Homme, rivalisant avec eux comme dans la Planète des singes ? Le sujet fascine les scientifiques depuis des années, et une nouvelle expérience nous rapproche un peu plus du livre de Pierre Boule adapté au cinéma en 1968. Des chercheurs allemands et japonais affirment avoir « hacké » l'évolution du cerveau en augmentant le volumevolume du néocortex chez des embryons de ouistitis.

    Le cerveau humain, fruit d’une lente évolution depuis le singe

    Sept millions d'années séparent les grands singes des premiers Homo sapiens. Une lente évolution qui s'est notamment traduite par une augmentation de la taille du cerveau, et une modification de sa structure, avec notamment une expansion du néocortex cérébral. Ce dernier, la partie la plus jeune du cortexcortex cérébral au cours de l'évolution, est environ trois fois plus grand que celui de notre plus proche parent, le chimpanzéchimpanzé. Il est au centre des fonctions cognitives comme le raisonnement ou le langage. Une des questions clés pour les scientifiques est de savoir comment le néocortex a pu devenir si grand et nous donner nos capacités cognitives.

    Le saviez-vous ?

    De nombreux chercheurs travaillent depuis plusieurs années à découvrir les gènes responsables de l’évolution du cerveau humain. En 2015, des scientifiques chinois avaient misé sur le gène MCPH1, qu’ils avaient implanté dans le cerveau de 11 macaques rhésus (voir article précédent, ci-dessous). Si les singes génétiquement modifiés n’avaient pas vu leur cerveau grossir, ils avaient montré de meilleurs résultats à des tests de mémoire, selon les chercheurs.

    Une seule petite lettre d’ADN qui fait toute la différence

    Dans l'étude parue aujourd'hui dans la revue Science, Wieland Huttner et ses collègues du Max PlanckMax Planck Institute of Molecular Cell Biology and Genetics (MPI-CBG), basé à Dresde en Allemagne, se sont intéressés au gènegène ARHGAP11B. Ce dernier est issu d'une mutation du gène ARHGAP11A, qui s'est produite il y a environ 1,5 million d'années le long de la ligne évolutive qui a conduit aux Néandertaliens, aux Dénisoviens et aux humains d'aujourd'hui, après que cette lignée s'est séparée de celle du chimpanzé. Ce gène code pour une protéineprotéine connue pour sa capacité à accroître la production de cellules souchescellules souches neuronesneurones.

    Image d'une coupe d’hémisphère cérébral d'un fœtus de ouistiti transgénique âgé de 101 jours. Les noyaux des cellules sont visualisés en blanc. Les flèches indiquent un sillon et un gyrus. © Heide et al, MPI-CBG
    Image d'une coupe d’hémisphère cérébral d'un fœtus de ouistiti transgénique âgé de 101 jours. Les noyaux des cellules sont visualisés en blanc. Les flèches indiquent un sillon et un gyrus. © Heide et al, MPI-CBG

    « La mutation dans le gène ARHGAP11B d'une seule lettre génétique, à savoir le passage d'un C à un G, entraîne la perte de 55 nucléotidesnucléotides dans la formation de l'ARN messagerARN messager correspondant. Cela conduit à un changement dans la retranscription des acides aminésacides aminés dans la protéine, détaille Wieland Huttner. Cette mutation semble avoir immédiatement influencé l'évolution humaine », ajoute le chercheur. En 2015, Huttner avait réussi à accroître la production de cellules souches cérébrales chez des souris, mais avec une version « boostée » du gène. Cette fois-ci, les chercheurs allemands se sont alliés avec l'Institut central pour les animaux d'expérimentation (CIEA) de Kawasaki et de l'université Keio de Tokyo, pionniers dans la génération de singes transgéniquestransgéniques, pour mener une expérience chez des fœtusfœtus de ouistitis avec la version normale du gène humain.

    Un cerveau plus gros et plus replié

    Le gène a été implanté chez des embryons de ouistitis trois à cinq jours après l'ovulationovulation. Ils ont ensuite laissé les embryons grandir jusqu'à l'âge de 101 jours, soit 50 jours avant la date de naissance normale. Ils ont ainsi pu contacter trois évolutions majeures dans le développement cérébral des singes :

    • une augmentation de la taille du néocortex ;
    • une configuration en plis (circonvolutionscirconvolutions), qui permet chez l'humain d'augmenter la taille du cerveau tout en tenant dans le volume restreint de la boîte crânienneboîte crânienne ;
    • une augmentation du nombre de cellules progénératives des neurones, spécifiquement de ceux de la couche supérieure, ceux qui jouent un rôle essentiel dans l'évolution cérébrale chez les primatesprimates.
    Cerveau de ouistiti normal (à gauche) et modifié avec le gène ARHGAP11B (à droite). La taille du cortex cérébral (lignes jaunes) est accrue chez les singes transgéniques. © Heide et al, MPI-CBG
    Cerveau de ouistiti normal (à gauche) et modifié avec le gène ARHGAP11B (à droite). La taille du cortex cérébral (lignes jaunes) est accrue chez les singes transgéniques. © Heide et al, MPI-CBG

    Des précautions éthiques draconiennes

    De là à créer des singes aussi intelligents et concurrents à l'Homme, le pas est loin d'être franchi. Néanmoins, pour éviter toute polémique, les chercheurs ont pris soin de s'entourer de toutes les précautions éthiques. Pas question ici de travailler sur des macaques ou des chimpanzés, bien trop proches de l'Homme, ni de mener à terme la naissance des singes génétiquement modifiés. Wieland Huttner sous-entend d'ailleurs des critiques envers l'expérience chinoise. « Mener à terme la naissance des ouistitis aurait été irresponsable, car on ne connaît pas les changements comportementaux induits par la modification du néocortex », juge le chercheur. On ne saura donc pas pour le moment si ces ouistitis auraient pu jouer aux échecs avec nous.


    Un gène de cerveau humain implanté chez des singes

    Article de AFP-Relaxnews publié le 20/04/2019

    Des chercheurs chinois ont introduit chez des macaques une version humaine d'un gène impliqué dans le développement du cerveau. Bien que l'expérience n'ait pas été franchement concluante, elle ne manquera pas de susciter une nouvelle controverse après l'affaire des bébés génétiquement améliorés.

    Des scientifiques chinois ont implanté à des singes un gène considéré comme jouant un rôle dans le développement du cerveau humain, dans le cadre d'une étude sur l'évolution de l'intelligenceintelligence humaine. Parue en mars dans la publication anglophone National Science Review de Pékin, cette étude a été réalisée par des chercheurs de l'Institut de zoologie de Kunming (sud-ouest de la Chine) et de l'Académie des sciences chinoise en collaboration avec des chercheurs américains de l'université de Caroline du Nord.

    Les chercheurs ont implanté à 11 macaques rhésusmacaques rhésus des versions humaines du gène MCPH1, qui selon des estimations scientifiques jouent un rôle dans le développement du cerveau humain. Le cerveau de ces singes, comme celui des humains, a mis plus de temps à se développer ; la taille de leur cerveau n'était toutefois pas supérieure à celle de leurs congénères du groupe de contrôle. Seuls cinq d'entre eux ont survécu jusqu'à la phase de tests, où ils devaient se souvenir de couleurscouleurs et de formes sur un écran et à des IRMIRM. D'après les chercheurs, les animaux modifiés ont obtenu de meilleurs résultats aux tests sur la mémoire à court terme avec un meilleur temps de réaction par rapport aux singes vivant dans la nature.

    Sur les 11 macaques rhésus ayant reçu un gène de cerveau humain, seuls cinq ont survécu. © smerikal, Flickr
    Sur les 11 macaques rhésus ayant reçu un gène de cerveau humain, seuls cinq ont survécu. © smerikal, Flickr

    « On se retrouve sur La Planète des Singes »

    « Nos résultats montrent que des primates transgéniques non humains (en dehors des espècesespèces de grands singes) ont le potentiel pour fournir des aperçus importants concernant des questions fondamentales sur ce qui rend l'homme unique », écrivent les auteurs de l'étude. Selon eux, le macaque rhésus, bien que plus proche génétiquement des humains que les rongeursrongeurs, reste suffisamment éloigné de l'homme pour ne pas susciter de questionnement éthique mais cela n'a toutefois pas dissuadé les critiques. « Dans l'imaginaire populaire, on se retrouve tout simplement sur La Planète des Singes », a ainsi commenté Jacqueline Glover, une bioéthicienne de l'université du Colorado. « Les humaniser revient à faire quelque chose de mal. Où vivraient-ils et que feraient-ils ? Il ne faut pas créer un être vivant qui ne peut pas avoir une vie significative dans un contexte quelconque », a-t-elle déclaré à la MIT Technology Review. Larry Baum, un chercheur du Centre for Genomic Sciences de l'université de Hong Kong, a néanmoins relativisé ces craintes, soulignant que cette étude n'a modifié que l'un des quelque 20.000 gènes du macaque.

    Des manipulations génétiques qui suscitent le questionnement

    Cette expérience est la dernière en date d'une série de recherches biomédicales chinoises qui ont suscité une controverse au plan de l'éthique. En janvier, une équipe de scientifiques a annoncé avoir cloné cinq singes à partir d'un spécimen unique dont les gènes avaient été modifiés pour le rendre malade, afin d'étudier les troubles du sommeiltroubles du sommeil. Ils avaient découvert que ces singes montraient des signes de problèmes mentaux associés (dépression, anxiété, comportements liés à la schizophrénieschizophrénie). Ces résultats publiés dans la National Science Review visaient, selon eux, à servir la recherche sur les maladies psychologiques humaines. En novembre 2018, le chercheur chinois He Jiankui s'était vanté d'avoir fait naître deux bébés humains dont les gènes avaient été modifiés pour les protéger du virusvirus du sidasida. Très critiqué par Pékin et la communauté scientifique internationale, il s'est retrouvé au centre d'une enquête de police et a été démis de ses fonctions dans l'université du sud de la Chine où il officiait.