Une nouvelle souche grippale semblable au virus pandémique H1N1 vient d'être identifiée par des chercheurs chinois. Que savons-nous à son sujet à l'heure actuelle ? 


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    « La prochaine pandémie causée par un virus de grippe porcinegrippe porcine ? » S'il ne fait aucun doute qu'il y aura de nouvelles pandémies dans le futur, le titre du HuffPost donne la couleurcouleur : une prochaine pandémie pourrait être causée par un virus de grippe porcine récemment identifié. Cela ravive les souvenirs de la pandémie de grippe H1N1 en 2009. Mais un tel titre est-il justifié ? Que savons-nous au juste de cette nouvelle souche virale baptisée G4 qui provient de H1N1 et faut-il en avoir peur ? 

    Qu'est-ce qu'un « potentiel pandémique » ?

    La BBC titre : « Un virus de la grippe avec un potentiel pandémique a été trouvé en Chine ». Dans un thread, le docteur Angela Rasmussen, virologue à l'université de ColumbiaColumbia explique que : « Lorsque nous pensons à ce dont les virus ont besoin en général pour devenir des agents pathogènes humains, et avoir un "potentiel pandémique", nous devons réfléchir à ce que les virus doivent faire. Elle énumère : premièrement, ils doivent entrer dans les cellules. Ensuite, ils doivent se répliquer. Puis, créer encore plus de virus. Aussi, ils doivent avoir la capacité de se transmettre facilement d'hôte en hôte. Et enfin et surtout, ils doivent provoquer une maladie. » Alors, que dit l'étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences concernant ce virus ?

    Pour qu'un virus soit à l'origine d'une pandémie, il doit causer une maladie. © nitikornfotolia, Fotolia
    Pour qu'un virus soit à l'origine d'une pandémie, il doit causer une maladie. © nitikornfotolia, Fotolia

    Que dit l'étude sur le potentiel pandémique ?

    Ce virus peut-il entrer dans les cellules ? Nicolas M. , doctorant en infectiologie à l'université de Paris, nous explique que « ce nouveau virus présente une diversité génétique forte avec une combinaison de segments génomiquesgénomiques provenant de virus circulant facilement chez le porc. Il est supposé par les auteurs que cette combinaison facilite l'adaptation et la circulation chez le porc avec une augmentation du nombre d'échantillons positifs détectés au cours du temps. Effectivement, la capacité à se lier aux acidesacides sialiques - les récepteurs du virus - joue un rôle important. Le porc possède les deux combinaisons majoritaires alpha 2,3 et alpha 2,6 le rendant sensible à l'infection par des virus de plusieurs espècesespèces. Un virus qui s'accroche plus facilement aux alpha 2,6 infectera plus facilement l'Homme au niveau des voies respiratoires supérieures car ces récepteurs y sont majoritaires ». La réponse est donc oui, il peut pénétrer dans les cellules.

    Peut-il se répliquer, créer plus de virus et se transmettre facilement à d'autres hôtes ? « Selon cette étude, il peut se répliquer dans les cellules épithéliales des voies aériennes humaines cultivées et chez les furets. De plus, les auteurs ont réussi à cultiver du virus produit par ces cellules. Il peut donc aussi créer plus de virus », précise le Dr Rasmussen. Peut-il facilement se transmettre à d'autres hôtes ? À la lecture de l'étude, c'est en effet ce que l'on constate entre furets. Pour autant « impossible de dire s'il est super-transmissible chez l'Homme avec ces résultats », affirme le Dr Rasmussen.

    Enfin, la question qui est peut-être la plus importante de toutes, en tout cas selon le Dr Rasmussen : provoque-t-il une maladie symptomatique ? « Cette question est particulièrement intéressante car il existe de nombreuses souches de grippe qui peuvent remplir les quatre premiers critères mais qui provoquent différents degrés de gravitégravité de la maladie », détaille le Dr Rasmussen. Pourtant OlivierOlivier Terrier, virologue au CNRS, semble un peu moins péremptoire : « Il n'est pas si fréquent d'observer un virus qui remplit simultanément quatre de ces caractéristiques, d'où l'intérêt suscité par la publication de cette étude. Ce papier décrit des souches qui remplissent au moins trois des critères et qu'il faut donc surveiller de près. Vu le contexte actuel, il y a eu pas mal d'intérêt autour de ce papier, et de mon point de vue il ne faut pas s'alarmer de trop - mais ce papier est important dans la mesure où il incite la communauté scientifique à surveiller encore plus étroitement ces virus. » Alors qu'en est-il concernant le développement de symptômessymptômes

    Il faut surveiller ce virus, mais ne pas nous concentrer uniquement sur lui. La prochaine pandémie se trouve peut-être ailleurs. © Shintartanya, Adobe Stock
    Il faut surveiller ce virus, mais ne pas nous concentrer uniquement sur lui. La prochaine pandémie se trouve peut-être ailleurs. © Shintartanya, Adobe Stock

    Doit-on avoir peur ?

    À peine sorti de la première vague causée par le SARS-CoV-2, c'est évidemment la question que tout le monde se pose. Dans l'étude, on remarque que sur 35 travailleurs porcins testés (sur 338 travailleurs), 10 % possédaient des anticorpsanticorps contre le virus, preuve de leur infection. Aussi, l'immunité croiséeimmunité croisée, c'est-à-dire la capacité des autres anticorps grippaux courants à attaquer ce virus, semble faible. Malgré cela, Tania Louis, docteur en biologie et médiatrice scientifique, se veut rassurante : « ce nouveau virus n'a pas été repéré par les symptômes qu'il cause. C'est une autre raison, en plus du fait que nous maîtrisions bien la vaccinationvaccination antigrippale, pour ne pas paniquer ». Pour l'instant, ce virus ne semble donc pas causer de maladie symptomatique préoccupante.

    Néanmoins cette souche G4 remplit des caractéristiques très similaires à son prédécesseur H1N1. « Ces souches de virus sont le résultat d'un réassortiment multiple, et sur les huit gènesgènes qui composent le génomegénome segmenté du virus, on a cinq gènes qui proviennent de la souche pandémique H1N1 2009, mais aussi deux gènes qui proviennent de souches d'un lignage aviaire et un gène issu d'un triple réassortiment. C'est un réassortiment génétique un peu similaire qui avait été à l'origine de la souche pandémique H1N1 2009, et c'est peut-être cela la similitude la plus marquante à mes yeuxyeux », détaille Olivier Terrier.

    Dans une même volonté de ne pas s'alarmer, Nicolas M. nous précise que : « L'augmentation des méthodes d'identification et de tests fait que l'on détecte plus de virus. Il est possible d'avoir des spots d'identification plus élevés lorsque plusieurs espèces sont en contact. J'aurais tendance à dire que c'est quelque chose qui arrive de temps en temps, surtout dans les élevages porcins qui sont étroitement surveillés. Il ne faut pas négliger le risque mais je pense qu'il est encore tôt pour parler de menace imminente. »

    Il se veut donc prudent et ajoute : « Le fait d'infecter l'Homme ne fait pas tout. Pour avoir un fort potentiel pandémique, plusieurs étapes sont nécessaires. À ce stade, la virulence chez l'Homme n'est pas démontrée avec ce papier. Le virus semble s'attacher préférentiellement aux acides sialiques alpha 2,6, se transmet entre furets - qui constituent le meilleur modèle animal pour ce type d'expérience -, et l'immunité croisée semble faible mais ce n'est pas suffisant pour attester fermement du danger. Je pense qu'une surveillance est de rigueur mais il reste encore au virus à s'adapter totalement à l'Homme, à posséder une virulence forte, etc. Pour le moment, je pense qu'il faut surveiller activement et rester prudent. »

    Olivier Terrier poursuit : « Pour les virus de la grippe, la clé pour chercher à contrôler ce type de virus, c'est d'abord surveiller leur évolution et notamment dans les zones de proximité entre espèces aviaires et humaines, les porcs pouvant jouer le rôle de « mixeur ». Le second aspect, c'est la préventionprévention, pour essayer de diminuer un maximum la probabilité d'échanges de virus entre réservoirs aviaires, porcins et les hommes. L'idée c'est d'isoler/séparer les élevages, de protéger les personnels dans les élevages par exemple." Il précise quand même que "les souches de virus décrites possèdent plusieurs caractéristiques qui les placent tout en haut de la liste des virus influenzainfluenza à surveiller de très près. Il faut donc prendre au sérieux ces observations, sans pour autant être alarmiste. »

    Quant au Docteur Rasmussen, elle conclut ainsi : « Nous devons le surveiller, mais nous ne devons pas nous concentrer exclusivement sur un virus. Nous devons nous préparer à tout type de pandémie de grippe émergente. Nous pouvons intensifier les efforts de surveillance pour voir s'il semble que ce virus s'adapte de plus en plus aux hôtes humains ou s'il est associé à des cas de maladies graves. Nous pouvons l'étudier pour voir ce qui pourrait augmenter sa capacité à infecter, transmettre et provoquer des maladies chez l'Homme. Ce que nous ne devons pas faire, c'est paniquer. Nous devons nous préparer à la pandémie de grippe qui viendra : peut-être cet automneautomne, peut-être pas avant quelques années. Aussi, l'article a été soumis par l'auteur principal (un virologue très respecté), qui a choisi les examinateurs. Bien que l'examen par les pairs réguliers ne soit pas parfait, ce chemin vers la publication est moins strict, alors gardez cela à l'esprit. »