La quasi-totalité des personnes saines présentent des anomalies génétiques dans leurs cellules. Des mutations a priori sans effet cancérigène mais qui touchent plus particulièrement les organes les plus exposés aux facteurs environnementaux comme les rayons UV, la pollution ou l’alimentation.


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    Les 30.000 milliards de cellules du corps humain possèdent a priori toutes le même patrimoine génétique, issu du zygote initial de la fécondation. C'est ce qui fait que l'ADN de chacun est unique. Au cours du temps, des mutations peuvent toutefois altérer certaines cellules et constituer des groupes de « clones mutants » avec un ADN légèrement différent de celui d'origine. Ce processus constitue l'une des causes du cancer et du vieillissement. Normalement, il existe des mécanismes biologiques censés prévenir et éliminer des anomaliesanomalies lors de la mitosemitose, mais il arrive que ces derniers soient inactivés, ce qui peut alors conduire à ces cellules somatiquescellules somatiques tumorales.

    En réalité, les mutations anormales concernent une population bien plus large que les patients cancéreux, révèle une étude publiée le 7 juin dans la revue Science. Keren Yizhak, du Broad Institute du MIT et Harvard et ses collègues ont analysé l'ARNARN de plus de 6.500 tissus de 488 personnes saines, issus de 29 organes différents, et ont découvert que 37 % de ces échantillons étaient porteurs de mutations recensées dans l'Atlas du génomegénome du cancercancer (The Cancer Genome Atlas en anglais ou TCGA) qui catalogue les mutations génétiques des tumeurstumeurs. Et cela concerne la quasi-totalité des gens : 95 % des individus sont porteurs d'un de ces groupes de cellules mutantes.

    Des mutations concentrées au niveau de certains organes

    Ces mutations ne sont pas uniformément éparpillées dans l'ADN mais se produisent au niveau d'un groupe de cellules au sein de certaines parties d'un organe. Et certains semblent être beaucoup plus concernés, en particulier la peau, la muqueusemuqueuse de l'œsophageœsophage et les poumonspoumons. Logique, expliquent les chercheurs, ces derniers sont les plus exposés aux facteurs environnementaux susceptibles de provoquer des mutations.

    Les organes où l’on observe le plus de mutations sont la peau, le poumon, l’œsophage, et le sein chez la femme. © Yizhak et al., Science, 2019
    Les organes où l’on observe le plus de mutations sont la peau, le poumon, l’œsophage, et le sein chez la femme. © Yizhak et al., Science, 2019

    La peau reçoit ainsi des rayons ultravioletsultraviolets, connus pour leur effet délétère sur l'ADN. On estime ainsi qu'environ 25 % des cellules d'une peau normale exposée au soleilsoleil présentent des mutations potentiellement cancéreuses. Les poumons sont affectés par la fumée de cigarette ou la pollution tandis que l'œsophage est en contact avec tout un tas de nutriments potentiellement mutagènes. Comme on pouvait s'y attendre, l'âge semble également être un facteur prépondérant : les personnes de plus de 45 ans (l'âge moyen des individus représentés dans l'étude) présentent ainsi plus de mutations que les plus jeunes, puisque le risque de mutation augmente au fil des reproductions. Les tissus avec un faible taux de renouvellement ont d'ailleurs moins tendance à développer ces mutations liées à l'âge.

    Cellules mutantes : danger ou pas ?

    Faut-il pour autant s'inquiéter de la présence de toutes ces cellules mutantes ? Pas forcément. « Les cellules portant ces mutations sont parfaitement normales » et ne semblent pas provoquer la moindre pathologiepathologie, atteste Gad Getz, l'un des coauteurs de l'étude. « Le corps est comme un gigantesque puzzle avec des pièces de taille et de forme légèrement différentes », illustre le scientifique. Étonnamment, on trouve parfois plus de gènes considérés comme cancérigènes dans les cellules saines que dans les cellules tumorales. Certaines mutations pourraient même avoir un effet bénéfique. Une précédente étude de mai 2019 a ainsi montré que certaines cellules mutantes du foiefoie étaient protégées contre le tétrachlorométhane, un composé très toxique. « Cela vient remettre en cause le fait que les cellules "anormales" ont toujours un rôle négatif et évoluent en cancer », explique Kamila Naxerova, chercheuse à l'hôpital général du Massachusetts et la Harvard Medical School et auteure de cette étude.

    Des cancers diagnostiqués à tort ?

    Bien qu'elle présente certaines limites (la détection des gènesgènes mutants se limitant par exemple à ceux exprimés), cette découverte pourrait remettre en question la détection du cancer : le fait que les mutations soient présentes en grande quantité y compris chez une personne saine pourrait ainsi amener à diagnostiquer à tort un risque de cancer. « Il faudrait arriver à distinguer les mutations pouvant dégénérer en cellules cancéreuses ou étant en voie de sénescence de celles qui vont rester parfaitement fonctionnelles et sans danger », explique Gad Getz. Distinction, qui de l'aveu même du chercheur, est aujourd'hui impossible.