Après la pluie de critiques qui s’est abattue sur les auteurs de l’étude d’une bactérie censément capable de remplacer le phosphore de ses molécules par de l’arsenic, l’équipe a enfin répondu. « Notre travail est bon mais pas terminé. Nous allons continuer et nous espérons que de nombreux laboratoires s’empareront de cette question » expliquent-ils en substance.

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    GFAJ-1, la bactérie qui surprend tout le monde. Ici en pleine forme et en croissance dans un milieu contenant de l'arsenic mais pas de phosphore. © Jodi Switzer Blum

    GFAJ-1, la bactérie qui surprend tout le monde. Ici en pleine forme et en croissance dans un milieu contenant de l'arsenic mais pas de phosphore. © Jodi Switzer Blum

    La bactérie à l'arsenicarsenic continue à agiter le monde de la biologie mais aussi la planète Web. La NasaNasa avait fait très fort en organisant le buzz autour d'une conférence de presse axée sur la « vie extraterrestre ». Finalement, c'est une drôle de bactérie, bien terrestre, qui a été présentée par Felisa Wolfe-Simon (chercheuse au U.S. Geological Survey), le 2 décembre 2010, en même temps que paraissait l'article scientifique dans la revue Science.

    Apparaît alors une nouvelle star : GFAJ-1. Elle est une bactérie classique, déjà connue, recueillie dans les sédimentssédiments alcalins du lac Mono, naturellement riches en arsenic. Mais elle a révélé un don exceptionnel : celui de se développer en milieu dépourvu de phosphorephosphore mais comportant de l'arsenic. Les analyses menées par les auteurs ont montré que cet arsenic est lié à l'ADN et aux protéines. D'où la conclusion que si la bactérie parvient à se multiplier, donc à fabriquer des acides nucléiques et des protéines alors qu'il n'y a pas de phosphore, c'est qu'elle est capable de remplacer cet atomeatome par de l'arsenic (présent sous forme d'arséniate), lequel a en effet des propriétés chimiques voisines (il occupe la même colonne que le phosphore dans le tableau périodique des élémentstableau périodique des éléments).

    Felisa Wolfe-Simon au travail, en train de recueillir un échantillon d'algues. © F. Wolfe-Simon/J. Glass

    Felisa Wolfe-Simon au travail, en train de recueillir un échantillon d'algues. © F. Wolfe-Simon/J. Glass

    Communiquer : un art difficile pour un scientifique

    Un tel échange n'a jamais été observé et paraît proprement stupéfiant à un biochimistebiochimiste. La vie utilise un certain nombre d'atomes, en premier lieu le carbonecarbone, l'hydrogènehydrogène, l'oxygène, l'azoteazote et le phosphore. On les retrouve comme constituants des acides nucléiques (ADN, ARN), des protéines, des glucidesglucides et des lipideslipides, chimiquement associés entre eux de la même manière, que ce soit chez les bactéries, les virusvirus, les crabes, les humains, les alguesalgues ou les séquoias.

    Les réactions des scientifiques ont d'abord été empruntes de scepticisme, ce qui est logique, comme pour l'exobiologiste André Brack que nous avions interrogé sur le sujet. Et la manière dont la nouvelle a été présentée, de manière si médiatisée, a généré elle aussi des critiques. La Nasa s'en est défendue et les commentaires se sont multiplié sur le Web, tandis que l'équipe refusait de s'exprimer et même de s'expliquer devant les journalistes. Pour les auteurs de l'étude, ce travail scientifique devait être critiqué selon la méthode scientifique...

    Finalement, Felisa Wolfe-Simon a dû descendre dans l'arènearène. Un communiqué a d'abord été publié, sous la forme de questions-réponses, les questions étant soulevées publiquement par les scientifiques. La chercheuse a ensuite accordé un entretien à la revue Science, publié sur le site Web de la revue. Felisa Wolfe-Simon confie que la vie s'est compliquée pour elle après la conférence de presse de la Nasa. Pour elle, c'était une bonne manière de diffuser cette nouvelle. « Cela me semblait bien que ma mère puisse comprendre ce que j'ai fait » résume-t-elle.

    Elle confirme que ses coauteurs et elle n'ont pas voulu discuter plus avant des détails techniques de leur travail autrement que devant des collègues. Ce qu'ils ont fait, diffusant des données supplémentaires à qui le demandait. Felisa Wolfe-Simon avoue aussi qu'elle était épuisée...

    Le lac Mono, avec ses sédiments très alcalins et riches en arsenic, est plutôt inhospitalier. Mais la vie terrestre est coriace... © Nasa

    Le lac Mono, avec ses sédiments très alcalins et riches en arsenic, est plutôt inhospitalier. Mais la vie terrestre est coriace... © Nasa

    Des résultats à préciser

    À la question de savoir pourquoi l'équipe n'a pas réalisé les analyses démontrant indubitablement que de l'arsenic avait bien été intégré à l'intérieur même de la moléculemolécule d'ADN, en lieu et place d'atomes de phosphore, la chercheuse répond que de tels tests ont bien été réalisés. Ils ont donné des résultats « inhabituels que nous ne pouvions expliquer ». Les auteurs ont choisi de publier tout de même pour « initier des collaborations » avec d'autres équipes afin de pousser plus loin les analyses. C'est ce qui est en train de commencer, selon elle.

    Dans leur communiqué « questions-réponses », les auteurs reviennent sur les critiques techniques portant sur un possible défaut de purification de l'ADN (l'arsenic observé viendrait alors du milieu). L'argument est rejeté, notamment parce que l'expérience s'est appuyée sur trois analyses différentes. Certains doutent de la possibilité même qu'une chaîne comme celle de l'ADN puisse être suffisamment solidesolide quand les ponts de phosphore sont remplacés par de l'arsenic. Les auteurs conviennent qu'il y a là une question intéressante...

    Pourrait-il y avoir juste un peu de phosphore dans le milieu, même sous forme d'impuretés ? Non, répliquent les auteurs. Les bactéries ne se développaient pas du tout sur ce milieu en l'absence soit de phosphate soit d'arséniate.

    Conclusion des auteurs : que d'autres équipes reprennent ou continuent ce travail, indépendamment ou avec leurs échantillons. Affaire à suivre, donc !