La Corée du Sud, le Vietnam, Singapour ou la Thaïlande sont vantés pour leur politique de lutte anti-Covid-19. Mais le faible nombre de cas et la faible mortalité pourrait aussi s’expliquer par une immunité « naturelle » acquise de très longue date…


au sommaire


    En Chine, on compte 63 cas de Covid-19 et 3 morts par million d'habitant depuis le début de l'épidémie. Le chiffre est encore inférieur au Vietnam (14 cas et 0,4 par million) ou encore à Taïwan (30 cas et 0,3 mort par million). Par comparaison, la France affiche 35.140 cas et 850 morts de Covid pour un million d'habitants, et les États-Unis 46.044 cas et 874 morts par million.

    Une pandémie de rhume en Asie de l’Est

    La plupart des observateurs s'accordent à penser que ces différences s'expliquent par une gestion plus rigoureuse de l'épidémie (gestes barrières renforcés, traçage systématique, confinement plus sévère...). Certains scientifiques commencent pourtant à soupçonner un autre facteur : une immunité naturellement acquise par de nombreuses expositions préalables à d'autres coronavirus ressemblant au Sars-Cov-2.

    « Il existe une théorie, et je pense qu'elle est assez crédible, selon laquelle en Asie de l'Est, un rhume similaire au coronavirus s'est largement propagé et qu'un grand nombre de personnes l'ont attrapé », affirme dans le Wall Street Journal Yasuhiro Suzuki, qui était jusqu'en août conseiller médical au Ministère de la Santé japonais. « Bien que cela ne confère pas une immunité totale, cette immunité empêche que les gens ne développent une forme grave de la Covid-19 ».

    Tous les pays de l’est asiatique affichent un nombre de cas relativement faible par rapport à leur population. <em>© Our World In Data</em>
    Tous les pays de l’est asiatique affichent un nombre de cas relativement faible par rapport à leur population. © Our World In Data

    Rhume et Covid-19 : une immunité croisée ?

    Cette hypothèse repose sur différentes études qui montrent qu'une exposition au virusvirus du rhume protège partiellement du Sars-Cov-2. Une équipe du Francis CrickFrancis Crick Institute de Londres a récemment montré que de nombreuses personnes, en particulier les enfants, possèdent déjà des anticorps neutralisants contre le Sars-Cov-2 sans jamais y avoir été exposées. Une autre étude de l’université de Boston montre que les personnes ayant été affectées par un coronavirus du rhume ont 70 % de risques en moins de décéder de la Covid-19. Ces études ne sont cependant pas détaillées par zone géographique.

    Voir aussi

    Covid-19 : une infection antérieure à un coronavirus réduirait la sévérité de la maladie

    L’Asie, terre d’émergence des pandémies

    Un autre fait penchant en la faveur de « l'immunité asiatique » est que les deux épidémies de Sras (celle de 2003 et l'actuelle) ont émergé en Chine, ainsi que de nombreuses autres pandémiespandémies de grippegrippe, comme la fameuse grippe de Hong Kong qui a causé un million de morts dans le monde dont 31.000 en France en 1968. Si ces épidémies graves se sont révélées particulièrement mortelles et se sont propagées au reste du monde, d'autres virus de ce type ont pu émerger et rester dans le pays sans que personne ne les remarque.

    Les Japonais ont déjà croisé quelque chose comme le Sras-Cov-2

    Tatsuhiko Kodama, biologiste au Centre de recherche pour la science et la technologie avancées de l'université de Tokyo, avance que des infections par des virus ressemblant au nouveau coronavirus se sont probablement produites à plusieurs reprises en Asie de l'Est. Selon ce spécialiste, des données inédites recueillies par son équipe suggèrent que les patients japonais atteints de Covid-19 produisent un anticorpsanticorps ciblé appelé IgG peu après l'apparition de la maladie, tout en produisant relativement peu d'un autre anticorps appelé IgM qui marque généralement la réponse immunitaireréponse immunitaire initiale. « Cela implique qu'ils ont déjà croisé quelque chose comme le Sras-Cov-2 », assure-t-il.

    La mortalité en France est 283 fois plus élevée qu’en Chine et 2.150 fois plus élevée qu’au Vietnam en fonction de sa population. <em>© Our World In Data</em>
    La mortalité en France est 283 fois plus élevée qu’en Chine et 2.150 fois plus élevée qu’au Vietnam en fonction de sa population. © Our World In Data

    Une immunité asiatique remontant à 25.000 ans

    D'autres scientifiques pensent que l'immunité asiatique remonte à beaucoup plus loin dans l'histoire. Une équipe de chercheurs australiens et américains a récemment publié une étude sur le site bioRxiv affirmant avoir trouvé parmi les Chinois, les Japonais et les Vietnamiens de forts signes de sélection dans les gènesgènes impliqués dans la lutte contre les coronavirus.

    D'après leur analyse, les Asiatiques de l'Est avaient commencé à lutter contre une pandémie de coronavirus il y a environ 25.000 ans. Cette dernière aurait laissé des traces dans le génomegénome des populations actuelles, qui possèderaient ainsi une « adaptation » naturelle contre les coronavirus. Une autre étude publiée dans Nature indique qu'un gène hérité de NéandertalNéandertal et qui constitue un facteur de risque aggravant de Covid-19 est presque absent chez les Asiatiques de l'Est (4 % contre 30 % en Asie du Sud ou 8 % en Europe).

    Plus une épidémie se propage loin de son lieu d’origine, plus sa gravité est élevée

    Tout cela reste bien entendu à l'état d'hypothèse. Celle-ci devrait cependant être prise au sérieux dans la perspective d'une prochaine pandémie. Si les Chinois avaient une certaine résistancerésistance préexistante au Sars-Cov-2, les données initiales de ce pays auraient pu conduire l'Occident à sous-estimer la facilité avec laquelle le virus pouvait se propager en dehors de l'Asie de l'Est, écrivent Alireza Bolourian et ZahraMojtahedi dans un article sur Archives and Medical Research. « Plus une épidémie se propage loin de son lieu d'origine, plus sa gravitégravité est élevée », concluent-ils.