Contenir la pandémie grâce à la géolocalisation des smartphones se justifie à première vue. À première vue seulement car à la deuxième, les ONG de défense des droits humains se demandent si la vie privée ne sera la prochaine victime de la pandémie. Elles s'inquiètent de voir ces bonnes intentions en cacher d'autres, moins avouables et quelque peu liberticides. Sous couvert de traquer le coronavirus, verra-t-on apparaître la nouvelle arme des régimes autoritaires ? 


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    Surveiller les citoyens via leurs smartphones peut aider à contenir la pandémie de coronavirus, mais aussi coûter cher en libertés publiques et respect de la vie privée. De la Chine à Israël, des gouvernements contrôlent les déplacements des personnes grâce à des moyens électroniques. En Europe et aux États-Unis, des firmes technologiques ont commencé à partager des données rendues anonymes pour mieux surveiller la propagation du virus. Ces pratiques interrogent les ONG de défense des droits humains.

    « Les gouvernements exigent de nouveaux pouvoirs de surveillance extraordinaires pour contenir le Covid-19 », constate l'une d'elles, la Electronic Frontier FoundationElectronic Frontier Foundation, dans un communiqué. Ces pouvoirs pourraient « envahir notre vie privée, réduire la liberté d'expression et peser lourdement sur les groupes vulnérables, continue-t-elle. Les autorités doivent prouver que de telles mesures sont efficaces, scientifiques, nécessaires et proportionnées ».

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    Hong Kong demande aux personnes arrivant de l'étranger de porter des bracelets de suivi, et Singapour a une équipe de détectives numériquesnumériques pour surveiller ceux qui sont en quarantaine. En Israël, le service de sécurité intérieure (Shin Bet) a commencé à utiliser des technologies sophistiquées et des données télécoms pour pister les civils. La Chine va jusqu'à attribuer des codes couleurscouleurs aux smartphones (vert, jaune, rouge), qui déterminent où un citoyen peut aller ou pas.

    Des banlieusards portant des masques facial et regardent leurs téléphones portables dans le Métro du Singapour, le 18 mars 2020. © Catherine Lai, AFP 
    Des banlieusards portant des masques facial et regardent leurs téléphones portables dans le Métro du Singapour, le 18 mars 2020. © Catherine Lai, AFP 

    Va-t-on vers la normalisation de la surveillance ?

    Selon l'ONG Freedom House, Pékin en profite aussi pour renforcer la censure, en bloquant certains sites web ou accès à internetinternet. « Nous observons des choses inquiétantes, montrant que les régimes autoritaires utilisent le Covid-19 comme prétexte (...) pour restreindre les libertés fondamentales, en allant plus loin que les besoins de santé publique ne l'exigent », a déclaré Michael Abramowitz, le président de cette organisation. Certains militants font le rapprochement avec les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, qui avaient ouvert la porteporte à une surveillance renforcée au nom de la sécurité nationale.

    Le problème de la surveillance en temps d'urgence, c'est que les gens vont s'habituer

    « Il y a un risque que le recours à ces outils ne se normalise et continue même quand la pandémie ralentira », note Darrell West, qui dirige le Centre pour l'innovation technologique de la Brookings Institution. « Le problème de la surveillance en temps d'urgence, c'est que les gens vont s'habituer », abonde Ryan Calo, chercheur à l'université de Washington et affilié au Centre pour internet et la société de Stanford. Il admet cependant la nécessité de trouver un compromis difficile entre les impératifs sanitaires et la sensation d'être traqué en permanence.

    Traquer le virus avec la loi des grands nombres 

    Le débat se concentre surtout sur la géolocalisation via les smartphones. Depuis le début de la pandémie, plusieurs applicationsapplications ont été développées pour suivre la propagation du virus. Celle conçue par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) détermine par exemple si l'utilisateur a « croisé le chemin » d'une personne contaminée. Un concept qui ne pourra évidemment marcher que si cette application est très largement utilisée. Des ingénieurs de l'université Cornell proposent eux de partager sa position géographique et son statut (infecté ou pas) pour recevoir des alertes sur les cas de contamination à proximité. Mais gare à la fausse sensation d'être en sécurité, avertit Ryan Calo. Selon lui, les données récoltées sur la base volontaire seront sans doute « truffées d'erreurs ».

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    Une autre application, baptisée Covid-Watch, permet de partager des données sur son emplacement et sa santé, grâce au BluetoothBluetooth, sans compromettre sa vie privée. « Nous l'avons conçue de façon à ce qu'une personne qui attrape le Covid-19 puisse envoyer une alerte aux gens à proximité sans qu'ils ne puissent l'identifier », explique Tina White, diplômée de Stanford et cofondatrice de Covid-Watch. L'application est en cours de développement. Avec son équipe de chercheurs, Tina White veut proposer une alternative aux mesures autoritaires adoptées dans certains pays.

    Comme l'application ne servira que si elle est très répandue, elle précise que la technologie serait fournie gratuitement. Et suggère que les deux principaux systèmes d'exploitationsystèmes d'exploitation des smartphones, AndroidAndroid et AppleApple, « l'ajoutent en option lors d'une mise à jour » afin d'assurer son adoption par le plus grand nombre.