Le 18 avril 1955, Einstein décède à l'hôpital de Princeton. Après avoir rempli sa première mission, Thomas Harvey, en charge de l'autopsie du physicien, fait une folie : subtiliser son cerveau ! C'est le début d'une histoire rocambolesque digne d'un film hollywoodien...


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    Le 14 mars 1874, Ulm, en Allemagne, voyait naître l'un des scientifiques les plus célèbres de l'histoire, si bien que son nom est devenu un mot courant pour décrire quelqu'un de surdoué : Albert Einstein. Si l'importance de ses travaux scientifiques est connue de la plupart des gens, il y a une anecdote plus confidentielle à propos du cerveau du génie. Saviez-vous que la matièrematière grise d'EinsteinEinstein a été volée par celui qui a réalisé son autopsie ?

    Einstein décède à l'âge de 76 ans, le 18 avril 1955 à l'hôpital de Princeton dans son sommeil, vers 1 heure du matin. Le jour même, à 8 heures, sa dépouille est envoyée à la morgue pour une autopsie. C'est Thomas Stoltz Harvey qui officie ce matin-là. Le médecin de 43 ans a fait ses armes à Yale auprès d'Harry Zimmermann, un neuropathologiste d'origine lituanienne, pionnier dans l'étude des affections du système nerveux central. Méthodiquement, il procède à l'autopsie du corps d'Einstein ; il palpe ses viscères, ouvre sa cage thoraciquecage thoracique où ses organes baignent dans le sang. Cause de la mort du plus grand génie du XXe siècle : rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale. La nouvelle fait évidemment le tour des journaux du monde entier : « Einstein est mort », titre le Daily Princetonian, « Dr. Einstein, père de la bombe, est mort », peut-on lire à la Une de The Denver Post.

    Une photographie du cerveau d'Albert Einstein prise par Harvey juste après l'autopsie. © Thomas Harvey
    Une photographie du cerveau d'Albert Einstein prise par Harvey juste après l'autopsie. © Thomas Harvey

    Le cerveau du génie volé

    Albert Einstein avait donné des instructions très claires sur sa fin de vie, « je veux être incinéré, afin que personne ne puisse idolâtrer mes ossements ». Les os du génie n'intéressent pas Thomas Harvey, mais son cerveau oui. Suivant à la lettre les dernières volontés de son père, le fils aîné d'Albert Einstein, Hans, s'oppose à tout prélèvement d'organe sur la dépouille après autopsie. Une dernière volonté bafouée deux fois : par l'ophtalmologiste d'Einstein qui subtilisa ses yeuxyeux, et par Thomas Harvey. Dans le silence de la morgue de Princeton, le pathologistepathologiste rase les cheveux hirsutes d'Einstein et le scalpe. Il retire le cuir chevelucuir chevelu d'Einstein pour dévoiler sa boîte crânienneboîte crânienne, et avec une scie chirurgicale, il l'incise pour enfin atteindre l'encéphaleencéphale. Il détache avec précaution l'organe du reste du corps. 

    Le premier réflexe d'Harvey est de peser le cerveau d'Einstein. Il pèse 1.230 grammes, une valeur un peu en dessous de la moyenne qui est de 1.300 grammes pour un homme adulte. Harvey prend plusieurs clichés du cerveau et décide ensuite... de le couper en petits morceaux ! 240 pour être exact. Avec les morceaux de cerveau conservés dans des bocaux remplis de formaldéhydeformaldéhyde dans son coffre, Harvey prend la route vers Philadelphie. L'université de Pennsylvanie dispose d'un instrument rare à cette époque, un microtome. Comme une trancheuse à charcuterie, le microtome permet de faire des coupes ultra-fines (de l'ordre du micromètremicromètre) d'un tissu biologique congelé ou fixé. Les tranches de cerveau sont ensuite conservées entre deux lames et peuvent être observées au microscopemicroscope. Trois mois de travail sont nécessaires à Harvey pour réaliser 12 jeux d'une centaine de coupes chacun. Seuls quelques morceaux restent intacts. Harvey fait parvenir des coupes à ses collègues pathologistes. Un cerveau aussi brillant que le sien doit bien présenter des singularités et un intérêt pour la science.

    Thomas Harvey s'attèle à l'analyse méthodique du cerveau d'Einstein et commence la rédaction d'un rapport avec ses observations. Il espère faire une découverte intéressante après un an de travail. La presse est enthousiaste, le New York Times titre le 20 avril 1955 « Un indice clé recherché dans le cerveau d'Einstein ». L'indice clé en question est la localisation du siège de l'intelligenceintelligence, une quête neurobiologique commencée en 1860 avec l'analyse du cerveau de Carl Frederich Gauss, le célèbre mathématicienmathématicien. À l'occasion de cet article, la famille d'Einstein apprend le vol de l'encéphale du génie de la famille. Harvey parvient à convaincre Hans de lui laisser les échantillons pour que les recherches se poursuivent, ce qu'il accepte à contre cœur. Mais, les analyses d'Harvey sont décevantes. Il n'est pas un expert de cet organe et les connaissances sur le cerveau de l'époque ne permettent pas de différencier le cerveau d'Einstein de celui du commun des mortels. Il est terriblement banal. Harvey ne livre pas le rapport au Einstein Medical Center Philadelphia qui l'avait demandé. Les résultats de ses pairs tardent aussi à arriver.

    Thomas Harvey et les morceaux du cerveau d'Einstein en 1994. © Photo D. Folk, F. Lepore, A. Noe
    Thomas Harvey et les morceaux du cerveau d'Einstein en 1994. © Photo D. Folk, F. Lepore, A. Noe

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    Le cerveau retrouvé

    Pendant plus de 20 ans, le cerveau spolié d'Einstein tombe dans l'oubli. Aucune publication scientifique à son propos ne paraît et la disparition de l'organe ne semble alerter personne. Harvey perd son poste à Princeton et emporte ses carnets de notes, ses effets personnels et des bocaux en verre dans ses valises. Il quitte l'État et disparaît des radars. Et puis, en 1978, un jeune journaliste de 27 ans, Steven Levy, qui fait ses armes au New Jersey Monthly, reçoit une requêterequête étrange de la part de son rédacteur en chef : retrouver le cerveau d'Einstein !

    Après une longue enquête, il met la main sur Harvey à Wichita dans le Kansas. Les derniers morceaux du cerveau d'Einstein étaient là depuis tout ce temps, toujours dans leurs bocaux en verre, rangé dans un carton de son bureau. Levy raconte, dans son article paru en août 1978, qu'Harvey lui a montré les morceaux qu'il conservait « le cerveletcervelet d'Einstein, un bout de son cortexcortex cérébral et des vaisseaux aortiques ».

    L'article de Levy relance la recherche sur le cerveau d'Einstein. On dit alors que le cerveau d'Einstein possède plus de neuronesneurones que les autres, qu'il présente une configuration particulière au niveau de la scissure de Sylvius qui augmente la taille de ses lobes pariétaux. Malheureusement, toutes ces observations sont peu convaincantes et le siège de l'intelligence reste un concept abstrait. Les seuls travaux qui sortent du lot sont ceux de Marian Diamond, une neuroanatomiste à l'université de Californie à Berkley. Elle calcule que le cerveau d'Einstein a un ratio cellules glialescellules gliales/neurones plus important que celui des 11 cerveaux témoins - qu'on imagine moins brillants que celui du physicienphysicienCes travaux sont publiés en 1985 dans la revue Neurology. Marian Diamond est au cœur du dernier épisode de notre podcast Chasseurs de Science ! Il est déjà disponible à l'écoute ici et sur toutes vos plateformes d'écoute préférées.

    En 1998, Thomas Harvey rend finalement les derniers fragments du cerveau d'Einstein qu'il possède à Eliott Krauss, son successeur au poste de pathologiste à Princeton. En 2005, pour les cinquante ans de la mort d'Einstein, le pathologiste accepte de revenir sur cette incroyable histoire lors d'une série d'interviews enregistrées depuis sa maison dans le New Jersey. Il décède le 5 avril 2007 à l'âge de 94 ans. Depuis, les recherches sur l'intelligence se poursuivent, mais sans le cerveau d'Einstein qui repose en paix au Mütter Museum de Philadelphie où le public peut observer les coupes faites au microtome par Thomas Harvey.


     

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