Perçu comme un « bug » de notre cerveau, oublier est nécessaire à notre bonne santé mentale. Attardons-nous sur les mécanismes de l'oubli et ses vertus.


au sommaire


    « Touuuuut... il faudrait tout oublier. [...] Ce bonheur, si je le veux je l'aurai. » La chanson de la jeune chanteuse Angèle qu'on n'est pas prêt d'oublier rappelle une vérité fondamentale que notre société de la performance a, semble-t-il, bien oubliée : oublier est nécessaire à une bonne santé mentale.

    Récemment, un article publié dans The Journal of Applied Research in Memory and Cognition soulève le fait que, dans notre vision des choses, l'oubli a souvent une connotation négative. Il est associé à un défaut, à une limitation de l'esprit, à un « bugbug » de notre cerveau. Si bien que nous, les humains, avons développé tout un tas de stratégies composées d'exercices cognitifs, de prises de compléments alimentaires, de médications (plus ou moins efficaces, mais ce n'est pas le sujet) et de stockage de données pour ne pas oublier. En effet, il est aisé de se souvenir (ou peut-être pas, du coup) de la dernière fois où nous avons oublié quelque chose au sein d'une conversation et ô combien cela nous a agacés.

    Il faut, bien évidemment, distinguer l'oubli et ses vertus dont discutent les chercheurs dans leur article de l'oubli pathologiquepathologique que l'on retrouve dans la plupart des maladies neurodégénératives telles que la démence ou encore Alzheimer. Cependant, comme nous venons de le souligner, l'oubli possède des vertus nécessaires à la vie humaine. Mais au fait, comment et pourquoi oublie-t-on ?

    Nos algorithmes cognitifs encodent et oublient constamment une infinité d'informations. © JEGAS RA, Adobe Stock
    Nos algorithmes cognitifs encodent et oublient constamment une infinité d'informations. © JEGAS RA, Adobe Stock

    Les mécanismes de l'oubli

    Un oubli se produit généralement lorsque l'attention, pour différentes raisons, privilégie certains détails par rapport à d'autres lorsque le cerveau se trouve au sein d'un processus d'encodage de nouvelles informations. Cependant, même au cours de cet encodage, il peut encore oublier, si l'information est contradictoire (par exemple, si l'on clique sur un article au titre aguicheur et que l'on constate que le contenu est en inadéquation totale avec ce dernier) ou si l'information ne parvient pas à être traitée convenablement. Toutefois lorsqu'une information est enfin encodée, elle peut encore être oubliée aisément.

    Plusieurs théories s'affrontent pour expliquer comment on en vient à oublier quelque chose. Du côté de la neurobiologie, on parle de décomposition des souvenirs, peut-être due à la mort de certains neurones ou de certaines connexions au sein du cerveau. En psychologie cognitive, une théorie incontestée est celle des interférencesinterférences. Elle suggère plutôt que les expériences se font concurrence, ce qui a pour conséquence la perturbation des apprentissages antérieurs par les nouveaux et vice versa. D'autres théories existent, mais elles sont plus discutées et ne font pas consensus. 

    Les trois agents et les sept vertus

    Les auteurs ont résumé la nécessité de l'oubli pour notre santé en trois agents et en sept vertus, chaque agent conférant un nombre donné de vertus.

    Tout d'abord, il y a « le gardien » qui se charge de garder intact notre « sérénité » et notre « stabilité ». Grâce à lui, nous évitons de recroiser trop souvent la route de certaines conséquences émotionnelles d'évènements passés, soit en les rendant relativement inaccessibles, soit en affaiblissant leurs propriétés émotionnelles. Cela facilite également le pardon, nous aidant à dépasser les actions négatives des autres et à nous motiver malgré une récente adversité.

    Ensuite, il y a « le libraire » qui s'attelle à conserver notre « clarté » et nos « capacités de révision et d'abstraction ». Il fait en sorte que l'on se débarrasse des détails qui ne seront probablement pas importants plus tard. De plus, il nous permet de mettre à jour les expériences et les souvenirs avec de nouvelles informations pour maximiser leur pertinence et minimiser leur concurrence. Aussi, le libraire nous aide à la « digestion mentale » au travers de laquelle des détails spécifiques sont perdus, permettant à de larges points communs via des expériences similaires d'émerger et de former une base de connaissances plus générale. 

    Et pour finir, il y a « l'inventeur » qui s'occupe de préserver notre « inspiration » et notre « capacité à redécouvrir ». Il rejette les idées préconçues et les fixations du passé, nous permettant d'identifier des solutions créatives à de nouveaux problèmes. Il nous permet également de renouer avec des activités ou des personnes appartenant à notre passé et de ce fait, donner une seconde chance à toutes choses.

    Santé mentale versus biais cognitifs ? 

    Pour conclure, nous dirons simplement que si l'oubli est nécessaire pour notre bonne santé mentale, il nous rappelle constamment nos limites humaines. Aussi, peut-être que certains de ces rôles pourront se montrer plus ennuyeux concernant la lutte contre nos biais sociocognitifs et la réalisation d'une société moins biaisée. Faudra-t-il choisir entre un esprit serein ou un cerveau biaisé ? Ou bien se cache-t-il d'autres solutions dans les méandres de ce faux dilemme ? 


    Cerveau : les vertus de l'oubli

    Par Marie-Céline RayMarie-Céline Ray le 22/06/2017

    L'oubli est un élément essentiel à l'intelligence humaine car il permet de se concentrer sur ce qui est important. Une mémoire efficace ne se conçoit pas comme une accumulation de données : la conservation d'informations trop précises peut en effet s'avérer contre-productive.

    En général, on considère qu'une bonne mémoire permet de retenir de nombreuses informations sur une longue période. En neurobiologie, ces problèmes révèlent souvent des pathologiespathologies. Mais l'oubli reste indispensable au bon fonctionnement du cerveau. C'est ce que rappellent deux chercheurs de l'université de Toronto dans un nouvel article paru dans Neuron, où ils dressent un parallèle entre la mémoire humaine et la mémoire artificielle.

    Le cerveau ne fait pas que du stockage de données, il s'évertue aussi à les effacer. Comme l'explique Blake Richards, l'un des deux chercheurs, « il est important que le cerveau oublie des détails non pertinents et se concentre plutôt sur les choses qui vont aider à prendre des décisions dans le monde réel ». D'après les auteurs, l'objectif de la mémoire n'est pas de transmettre l'information la plus fidèle, mais plutôt d'optimiser la prise de décision en ne conservant que celles de valeur.

    L’oubli est aussi important que le souvenir

    Certains mécanismes favorisent la perte de mémoire. L'un d'eux consiste à affaiblir, voire éliminer, des connexions synaptiques entre neuronesneurones qui servent à coder la mémoire. Un autre mécanisme en génère de nouveaux à partir de cellules souchescellules souches : quand les neurones s'intègrent dans l'hippocampe, les nouvelles connexions remodèlent les circuits existants, ce qui rend plus compliqué l'accès à certaines informations. Ceci expliquerait pourquoi les enfants, chez qui l'hippocampehippocampe produit plus de nouveaux neurones, oublient beaucoup d'informations.

    L'oubli permet de s'adapter à de nouvelles situations en laissant de côté des informations datées et trompeuses qui ne sont pas forcément utiles dans un environnement qui a changé. « Si vous essayez de naviguer dans le monde et que votre cerveau émet constamment de multiples souvenirs conflictuels, cela rend plus difficile une prise de décision éclairée » explique Blake Richards.

    Source : The Persistence and Transience of Memory