En réchauffant notre Planète, nous menaçons la stabilité de plusieurs systèmes naturels. Si les points de non-retour sont atteints, les conséquences seront catastrophiques. Mais nous pouvons encore les éviter, nous assurent aujourd’hui les scientifiques. En mettant ces points de basculement au centre de nos préoccupations. Parce que les décisions que nous prendrons à court-terme, dans les années qui viennent dessineront le futur de l’humanité pour des siècles et des siècles.


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    « Une trajectoire désastreuse. » « Aucune gouvernance mondiale adéquate. » « Les menaces les plus graves auxquelles l'humanité est confrontée. » Les mots sont forts. Ce sont ceux des quelque 200 scientifiques qui viennent de publier le Global Tipping Points Report 2023. Ce rapport évalue les menaces -- mais aussi des opportunités -- liées aux points de basculement -- les fameux points de non-retour -- de notre système Terre et de nos sociétés.

    Pour bien comprendre, rappelons qu'un point de basculement correspond à un seuil qui, s'il est franchi, entraîne des changements potentiellement irréversibles dans un système. Le moment où « un petit changement fait une grande différence et modifie l'état ou le destin du système ». Or, les scientifiques nous préviennent : les activités humaines -- le changement climatique, mais aussi la dégradation des milieux et la pollution -- mettent la stabilité de nombreux systèmes terrestres en péril.

    Sur la figure en bleu, le système est stable. Un petit coup porté à la balle va la faire grimper la pente, puis redescendre. Elle restera dans le même creux. Un signe de <em>« résilience »</em>. Comprenez, de capacité du système à résister aux changements. Sur la figure violette, le système a perdu en stabilité. Le premier creux est devenu moins profond. Et la balle pourrait plus facilement franchir le cap. Sur la figure rouge, enfin, le moindre coup va faire rouler la balle au fond du trou. Il sera alors extrêmement difficile de la faire remonter. Le point de non-retour a été franchi. © Lenton <em>et al.</em>, <em>Global Tipping Points Report 2023</em>
    Sur la figure en bleu, le système est stable. Un petit coup porté à la balle va la faire grimper la pente, puis redescendre. Elle restera dans le même creux. Un signe de « résilience ». Comprenez, de capacité du système à résister aux changements. Sur la figure violette, le système a perdu en stabilité. Le premier creux est devenu moins profond. Et la balle pourrait plus facilement franchir le cap. Sur la figure rouge, enfin, le moindre coup va faire rouler la balle au fond du trou. Il sera alors extrêmement difficile de la faire remonter. Le point de non-retour a été franchi. © Lenton et al., Global Tipping Points Report 2023

    Beaucoup de systèmes à point de non-retour

    Sur la base de centaines d'études scientifiques, le Global Tipping Points Report 2023 en propose une liste. De nombreux éléments de preuve montrent par exemple qu'il existe des points de non-retour « à grande échelle » associés à la fontefonte des calottes glaciairescalottes glaciaires de l'Arctique et de l’Antarctique occidental. La circulation méridienne de retournement atlantique (Amoc) -- l'un des principaux courants océaniques au monde -- pourrait elle aussi être à l'origine d'un point de basculement à mesure que les températures grimpent et qu'elle reçoit de plus en plus d'eau froide et douce issue de la fonte des glaces.

    Du côté de la biosphère, d'autres facteurs que le réchauffement climatique -- la perte d'habitat ou encore la pollution, par exemple -- peuvent avoir des effets délétères. Et rendre les points de non-retour plus faciles à atteindre. En Amazonie, la déforestation aide ainsi à pousser la forêt jusqu'à son dépérissement qui la fera basculer vers un paysage de savane.

    Les scientifiques signalent aussi que certains systèmes, comme la glace de mer en Arctique, ne sont pas des systèmes à basculement. Ils évoluent en fonction du réchauffement. Sûrement, mais progressivement. Sans montrer de signe de point de rupture.

    De grandes parties de la forêt amazonienne pourraient être remplacées par de la savane avec un réchauffement d’à peine +2 °C. De quoi bouleverser la vie sur l’ensemble du continent et entraîner l’émission d’encore plus de dioxyde de carbone (CO<sub>2</sub>) dans l’atmosphère. © quickshooting, Adobe Stock
    De grandes parties de la forêt amazonienne pourraient être remplacées par de la savane avec un réchauffement d’à peine +2 °C. De quoi bouleverser la vie sur l’ensemble du continent et entraîner l’émission d’encore plus de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. © quickshooting, Adobe Stock

    Des points de basculement vont être franchis

    Les scientifiques rappellent que plus notre Planète se réchauffe, plus la probabilité de franchir des points de non-retour augmente. Pour déterminer à quel moment cela risque d'arriver, ils étudient les oscillations des systèmes, les signes qui montrent qu'ils perdent en résiliencerésilience. Ils en ont observé dans la forêt amazonienne, par exemple. En 20 ans, les trois quarts de sa surface peinent à résister aux sécheressessécheresses et aux vaguesvagues de chaleurchaleur à répétition. Et la déforestation ne fait qu'aggraver la situation. Le point de basculement pourrait être proche.

    Plus généralement, le Global Tipping Points Report 2023 conclut que le niveau de réchauffement climatique que nous avons déjà atteint pourrait suffire à nous faire franchir cinq points de non-retour : l'effondrementeffondrement de la calotte glaciaire de l'Arctique et de l'AntarctiqueAntarctique de l'ouest, de la disparition des récifs coralliensrécifs coralliens d'eau chaude, du dégel brutal et généralisé du pergélisolpergélisol et de l'effondrement de la circulation inverse dans le gyregyre subpolaire de l'Atlantique nord. Si la température mondiale venait à se réchauffer jusqu'au fameux seuil des +1,5 °C, trois autres points de basculement pourraient être franchis à leur tour. Ceux qui touchent aux forêts boréalesforêts boréales, aux mangrovesmangroves et aux écosystèmesécosystèmes côtiers.

    Les chercheurs notent par ailleurs que les modèles actuels sous-estiment probablement les risques pour les systèmes terrestres de basculer. En cause, des connaissances « inégales et fragmentées » qui nous font courir le risque que les seuils soient franchis à des niveaux de réchauffement climatique moindre que ceux qui sont aujourd'hui attendus.

    Des conséquences pour la Terre

    L'ennui, c'est que dépasser ces points de non-retour aura des conséquences sur notre système Terre. La perte de l'Amazonie serait dramatique pour la biodiversitébiodiversité. La fonte de la calotte glaciaire antarctique ferait monter le niveau des océans d'environ deux mètres avec pour conséquence, près de 500 millions de personnes exposées à des inondationsinondations annuellesannuelles. Le basculement de l'AMOC pourrait quant à lui menacer l'approvisionnement en eau et la sécurité alimentaire du monde entier.

    Le tout d'autant que le basculement de certains systèmes a des effets accélérateurs sur le réchauffement climatique. Le dégel du pergélisol, par exemple, qui libère des gaz à effet de serregaz à effet de serre dans l'atmosphèreatmosphère et réchauffe encore un peu plus notre Terre.

    Des conséquences aussi pour les humains

    Les auteurs du Global Tipping Points Report 2023 précisent enfin que franchir des points de non-retour « pourrait avoir des impacts catastrophiques sur les sociétés humaines ». Ils évoquent une augmentation de la violence et des conflits, des déplacements à grande échelle, une déstabilisation financière, une rupture de la cohésion sociale, une augmentation des troubles mentaux ou encore une plus grande radicalisation de certains groupes. Le tout avec le risque d'aller jusqu'à « l'effondrement des systèmes économiques, sociaux et politiques, déclenchant des points de basculement destructeurs dans des sociétés confrontées à des tensions dépassant leur capacité à y faire face ».

    Provoquer des points de basculement positifs

    « À l'heure actuelle, il n'existe pas de gouvernance mondiale adéquate à l'échelle des menaces posées par les points de basculement », soulignent encore les chercheurs. « La seule option réaliste » pour limiter ces risques se cacherait dans les points de non-retour positifs. Car la crise climatique est telle aujourd'hui qu'il est « trop tard pour agir progressivement ».

    Il est trop tard pour agir progressivement.

    Heureusement, plusieurs de ces points de basculement positifs sont eux aussi en passe d'être atteints. Les voitures électriques s'en approchent. Au moins sur les principaux marchés du monde. Et comme c'est le cas pour les points de non-retour négatifs, ici aussi, il peut se produire une sorte de réaction en chaîneréaction en chaîne. Plus de voitures électriquesvoitures électriques, cela signifie plus de batteries. De quoi faire baisser les prix du stockage de l'électricité et renforcer la place des énergies renouvelablesénergies renouvelables indispensables à la lutte contre le changement climatique.

    Voir aussi

    Réchauffement climatique : ces « points de basculements positifs » pourraient renverser la tendance

    Les chercheurs soulignent pour conclure, qu'en la matièrematière, la force de celle qu'ils appellent la « contagion sociale » ne doit pas être négligée. Selon eux, « plus il y a de personnes autour de vous qui adoptent des choix durables, plus vous avez de chances de le faire vous-même. Plus les choix durables sont visibles au sein de la population en général, plus il devient facile pour les politiciens de faire eux-mêmes des choix qui auraient pu paraître très difficiles sans ça. » Les points de basculement positifs, toutefois, ne se produiront pas par magie. Nous aurons besoin pour cela qu'une « action coordonnée ».


    Changement climatique : à quand le point de non-retour ?

    Depuis le début de l'ère industrielle, la Terre se réchauffe. Lentement, mais sûrement. Et elle semble aujourd'hui proche de ce que les scientifiques appellent son point de non-retour. Un seuil au-delà duquel la situation pourrait dramatiquement se dégrader.

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer paru le 17/03/2021

    Il n’y a pas de planète B. Mieux vaut donc éviter que la Terre atteigne son point de non-retour. Et c’est encore possible. © luisvilanova, Envato elements
    Il n’y a pas de planète B. Mieux vaut donc éviter que la Terre atteigne son point de non-retour. Et c’est encore possible. © luisvilanova, Envato elements

    Les scientifiques définissent un point de non-retour comme un seuil à ne pas dépasser. Sous peine de voir l'écosystème se dégrader brutalement. Ou même disparaître, purement et simplement. Un peu comme lorsque l'on pousse une tasse vers le bord d'une table. Arrive un moment où une petite poussée supplémentaire provoque la chute de la tasse. Sans espoir de retour en arrière.

    Pour notre Terre, le point de non-retour pourrait se situer quelque part entre +1 et +2 °C par rapport aux moyennes des températures préindustrielles. Une situation qui pourrait survenir, dans un scénario de business as usual, au plus tard, d'ici fin 2045. Mais au plus tôt, dès les derniers jours de 2027 ! D'autant que déjà l'Arctique semble flirter avec son propre point de non-retour. Tout comme l'Amazonie.

    Certains chercheurs se demandent toutefois si ce concept de point de non-retour correspond à une réalité écologique. Car la plupart des écosystèmes semblent se détériorer progressivement. Avec des conséquences dès la première perturbation.

    Pourtant, si des incertitudes demeurent, une chose fait consensus fin 2020 : rien n'est perdu. Notre planète peut encore être sauvée. Sous réserve de réduire drastiquement nos émissionsémissions de gaz à effet de serre dès aujourd'hui.